C’est sur le plateau du nouveau Maillon que les spectateurs s’installent : un petit cercle de bois avec quatre rangées de gradins simples, tel un cirque sans chapiteau. Dans l’obscurité, un chant s’élève tandis que la scène circulaire accueille trois acrobates et une chanteuse lyrique.
Un équilibre menaçant à portée de main
Les trois acrobates commencent sur une simple souche de bois. Ils vont y évoluer, se superposer, glisser les uns autour des autres. Sans jamais toucher terre, les trois corps se contorsionnent et se soulèvent, formant une masse humaine toujours changeante. Il y a, dans ces étreintes, beaucoup de sensualité et de douceur. Puis le moment se termine, et enchaine sur un autre tableau. Strach – a fear song fait se succéder les moments sans tisser d’intrigue, mais en construisant une ambiance.
Dans leur petit espace circulaire, les acrobates intensifient le rythme au fur et à mesure de la représentation. Ils se retrouvent juchés les uns sur les autres, se balancent le corps de leur voltigeuse, Airelle Caen (en alternance avec Alice Noël), comme un ballon, et tournoient dans de dangereuses figures au-dessus du public.
Ce petit plateau crée un effet loupe. Tout est visible : les muscles contractés, la sueur sur le visage, les souffles. Les torsions de ces corps donnant la pleine mesure de leur potentiels captivent. Guillaume Sendron supporte comme un tronc ses acolytes.
Lorsque c’est au tour de Denis Dulon, en apparence moins massif, de porter tout leur poids, l’équilibre demeure intact quoique changeant. La tour humaine qui oscille dangereusement fait craindre qu’elle ne s’écroule dessus nos têtes. Cette menace est factice car les artistes sont rompus à leur exercice, mais la proximité des corps crée une tension puissante. On a peur.
Le mélange des arts au service de la poésie
Les spectateurs du Maillon commencent à s’y habituer : il est difficile de classer les spectacles proposés dans ce théâtre par genre artistique. Avec Strach – a fear song il faudrait parler de crique contemporain-opéra-marionnette-concert. Il semble que Patrick Masset, le metteur en scène, pioche allègrement dans tous ces domaines pour son spectacle.
La représentation se découpe en moments, alternant les séquences d’acrobatie et de musique avec quelques pantomimes. Une marionnette traverse l’espace à plusieurs reprises. Elle représente le rêve qu’exprime l’unique narratrice du spectacle : devenir un cowboy rouge et défendre les indiens.
Le musicien (Jean-Louis Cortès, en alternance avec Yohann Dubois) accompagne tout le spectacle. Il soutient également la soprano Julie Calbete. Sa voix puissante, jouant sur plusieurs registres musicaux, trouble. Il est inhabituel d’entendre de tels chants dans un spectacle de cirque.
Mais malgré son incongruité, cette association produit une émotion forte. Le plus impressionnant c’est que la chanteuse se prête aussi aux exercices de voltige. Malgré ses envolées, sa voix ne vacille pas. Elle s’élève en marchant sur les mains des porteurs comme sur des marches, figure fantastique en lévitation.
Strach est muet, malgré ses chants et son court passage de texte. Il est muet en cela qu’il n’explique rien. Tout passe par le ressenti. Le petit écrin du cirque favorise l’immersion dans une ambiance singulière. La sensation d’être proche des autres spectateurs, de les toucher et de se regarder tous, de part et d’autre du plateau, affirme un sentiment de collectivité.
Le public est d’ailleurs aussi au contact des artistes. Les acrobates grimpent régulièrement dans les gradins, entraînent quelques spectateurs dans une danse, et marchent même sur un public qui se prête benoîtement au jeu. Pour profiter au mieux du spectacle il est recommandé de se mettre au premier rang. Pour mieux ressentir la peur également.
Surmonter sa peur dans le collectif
Plusieurs tableaux sont là pour effrayer. Notamment celui où Guillaume Sendron agite une grande faux vers le public et danse avec la lame autour d’Airelle Caen. Mais la peur n’est pas traitée comme un fin, plutôt comme un élément à apprivoiser. C’est pour cela que la peur est surtout présentée par le prisme de l’enfance et de ses cauchemars.
Tout le spectacle inspire un sentiment de communauté et d’entraide. Jusque dans les moments plus calmes de chorégraphie, les quatre performeurs font montre de leur confiance mutuelle et de leur synchronicité.
Le public est convié à partager de cette communion, par son implication physique et par l’empathie qui se forme autour de cette danse. Strach – a fear song relève du conte comme du cirque. C’est un retour aux peurs primitives de l’enfance et un rappel des efforts nécessaires pour les surmonter.
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