Le débat a duré cinq secondes, un vendredi soir, dans un hémicycle de l’Assemblée nationale en grande partie vide. Ou plutôt, il n’y a pas eu de débat. Vendredi 12 novembre vers 21 heures, les quelques députés présents étudient à la chaîne des amendements au projet de loi de Finances (PLF) pour 2022. « Il s’agit d’octroyer une garantie d’État aux mines de potasse d’Alsace », expose simplement le ministre délégué en charge des Comptes publics, Olivier Dussopt. « Qui est pour ? », demande la présidente de séance, Laetitia Saint-Paul (LREM). Quelques bras se lèvent timidement. « Qui est contre ? » Personne ne se manifeste. Cet « amendement additionnel » du gouvernement est adopté à main levée. La séance se poursuit avec une autre modification, qui concerne l’hydrogène. (voir la séquence à partir de 35’50 »)
La loi a ensuite été votée dans sa globalité mardi 16 novembre par 348 voix contre 205 lors du vote solennel. Il n’y a aucune surprise dans le résultat sur ce texte général et hautement symbolique. Les députés des groupes de la majorité (LREM ; Modem ; Agir) ont tous voté pour, et ceux des oppositions (FN ; LR ; PS ; PC ; LFI) ont voté contre.
Contourner la décision de justice
Sauf que cet amendement spécifique, voté à l’initiative du gouvernement, le dernier jour de l’examen de la loi, vise à contourner la décision de la cour administrative d’appel de Nancy du 15 octobre au sujet des 42 000 tonnes de déchets toxiques enfouis à Stocamine, une ancienne mine de potasse à Wittelsheim. Les magistrats avaient alors interdit le confinement total et illimité de ces déchets toxiques, décidé par un arrêté préfectoral du 23 mars 2017. Une décision qui avait pourtant été soutenue par la ministre de l’écologie Barbara Pompili en janvier 2021, lorsqu’elle avait – à son tour – ordonné leur confinement définitif et total. Elle s’est donc pourvue en cassation auprès du Conseil d’État pour contester la décision de la cour d’appel de Nancy, décision qui empêche le rebouchage de l’ancienne mine.
Les magistrats de Nancy avaient donc invalidé cet arrêté car il ne prévoyait pas de garanties financières suffisantes pour « le coût des travaux et de la surveillance » que doit assurer la société des Mines de Potasses d’Alsace (MDPA, filiale de l’État chargée du site).
Avec cet amendement, le gouvernement a donc trouvé une solution : il prévoit une garantie de 160 millions d’euros jusqu’en 2030 et réaffirme cette « dérogation » au code de l’Environnement. Si la société des MDPA devait être liquidée, ce serait « par exemple » l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) ou du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) qui mèneraient la fin des opérations, ajoute l’exposé de l’amendement. D’après les analyses, le contact entre les déchets toxiques stockés et la nappe phréatique d’Alsace, où l’on puise l’eau potable, interviendra d’ici quelques centaines d’années.
Un vote très discret, qui a échappé aux connaisseurs du dossiers
Mais ce vote express et ses répercussions semblent avoir échappé à la plupart des suiveurs du dossier. Personne n’a relevé cette situation dans le week-end précédant l’adoption de la loi le mardi 16 novembre. D’ailleurs, les deux députés du secteur, Bruno Fuchs (Modem) et Raphaël Schellenberger (LR), qui ont respectivement voté « pour » et « contre » admettent : ils n’avaient pas conscience qu’ils votaient sur cette garantie lors du vote final. Tous deux disent l’avoir découvert après ce 18 novembre à la lecture d’un article du journal l’Alsace.
Pour Bruno Fuchs, la manœuvre était néanmoins prévisible :
« On savait que le gouvernement allait passer cet amendement dès qu’il en aurait l’occasion. Mais j’aurais préféré qu’on m’appelle avant, qu’on puisse au moins avoir ce débat. À part le rapporteur du texte, aucun député n’est capable d’avoir une vision complète du budget. »
Pour l’opposant Raphaël Schellenberger (LR), la séquence révèle l’impuissance des députés à pouvoir traquer tous les amendements gouvernementaux :
« La réalité c’est qu’on n’a pas les moyens de passer en revue tous les amendements. Il a été déposé le 6 novembre dans une énorme liasse de documents. Même si tous mes collaborateurs passaient leur temps à les lire, ils auraient pu ne pas le voir. Quand on sait qu’un sujet qui nous concerne va passer, on est mobilisés dans l’hémicycle, on peut au moins faire entendre ses arguments, même si on n’emporte pas l’adhésion. Le groupe LR était représenté en séance, mais quand ma collègue entend juste parler d’une garantie d’emprunt, elle ne peut pas savoir ce que ça implique. Je n’avais aucune idée que le gouvernement utiliserait le projet de loi de Finances pour aborder Stocamine. Il n’a pas communiqué dessus avant, alors qu’il a communiqué à d’autres occasions sur le dossier, et qu’il avait d’autres occasions de passer cet amendement. En temps normal, un député de la majorité qui n’est pas d’accord avec un texte mais ne peut pas le dire publiquement aurait pu nous avertir discrètement, ce qui relève d’un fonctionnement démocratique sain. Là, ce n’est pas arrivé, ce n’est pas loyal. »
Pour l’avocat d’Alsace Nature, François Zind, cet amendement n’a pas d’incidence sur le recours au Conseil d’État « car c’est l’arrêté de 2017 qui va être jugé ». Selon lui, le gouvernement se prépare juridiquement pour prendre un nouvel arrêté. « Mais l’enfouissement étant définitif, il faut un contrôle définitif. Or, la garantie est annoncée uniquement jusqu’en 2030 », relève-t-il. La situation « rappelle 2004 et l’amendement de Michel Sordi (député de la majorité de droite et de la circonscription concernée ndlr), qui a permis la non-réversibilité ».
Le Sénat aura-t-il l’occasion de réagir ?
Le projet de loi de Finances doit être examiné par le Sénat, puis voté en deuxième lecture par l’Assemblée nationale en décembre pour l’adoption définitive. Le sénateur Jacques Fernique (EELV) « peine à croire » qu’aucun député alsacien n’ait eu connaissance de la manœuvre. « Un article de Contexte le mentionnait bien avant le vote (le 9 novembre) », relève-t-il. Il se demande si les députés de la majorité ou de droite sont encore mobilisés sur le sujet. « Il y a eu peu de réactions à la décision de justice, puis à l’appel de Barbara Pompili ».
La perspective de l’élection présidentielle, qui va interférer avec le chassé-croisé parlementaire, inquiète Jacques Fernique :
« La droite, qui a la majorité au Sénat, devrait présenter une motion de rejet mardi, ce qui nous priverait de tout un travail d’examen, notamment la deuxième partie où cet amendement figure désormais. L’Assemblée nationale n’aura plus qu’à voter la première version, avec l’amendement désormais intégré à la loi. Je souhaite que le travail parlementaire puisse se faire, que l’on puisse aborder sérieusement ce passage. On n’est pas élu pour juste rejeter un texte qui ne nous convient pas. »
Malgré la colère sur la manière de faire, un certain fatalisme traverse les clivages. « On pourra avoir ce débat en deuxième lecture, mais il n’y a pas de majorité pour aller contre un amendement du gouvernement sur ce sujet, qu’en dehors de l’Alsace, personne ne maîtrise. Même les députés bas-rhinois de la majorité devraient suivre le gouvernement », analyse Bruno Fuchs. Quant à Raphaël Schellenberger, il se projette dans l’après. « J’ai déposé une résolution européenne pour que le contrôle de l’enfouissement soit indépendant, et non pas placé sous le contrôle du préfet. À un moment ou un autre, on enfouira et il faut savoir quoi ».
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