« Je dois toujours justifier mon travail… Ça me freine de voir la peur des autres. » Ayman est calligraphe. D’origine syrienne, il vit à Strasbourg depuis 2007. Il passe sa thèse en Arts plastiques en 2013. Face au développement de la guerre civile syrienne, l’artiste décide de ne pas rentrer à Alep et obtient le statut de réfugié. Depuis, l’expert en calligraphies arabes, mais aussi gothiques ou orthodoxes, vivote de son art et de quelques cours de dessin. Il travaille dans son petit appartement dans un immeuble de Hautepierre.
Mais l’artiste ne se plaint pas de sa précarité. Auprès de Rue89 Strasbourg, il a souhaité relater les tags racistes, les remarques agressives et une intervention de la police injustifiée qu’il a subis ces derniers mois…
Des remarques agressives
Mi-octobre, l’association Nouvelle Ligne commande à un calligraffiti (mélange de calligraphie et de graffiti) à Ayman dans le cadre du projet Colors. Le 20 octobre, l’artiste commence à réaliser sa calligraphie sur un boîtier internet dans le quartier de la Meinau. Un premier couple s’approche sans dire bonjour. La femme l’interroge sur la signification de l’oeuvre. Elle n’est pas convaincue par la réponse d’Ayman. L’homme demande l’autorisation de la Ville de Strasbourg en menaçant d’appeler la police…
La police alertée
Un deuxième homme succède au couple. Il prend une photo de l’oeuvre, s’en va, puis revient avec une feuille sur laquelle un verset coranique a été imprimé. « Votre travail, ça ressemble à ça », lui dit-il. « J’avais beau lui expliquer qu’il y avait des lettres gothiques et japonaises dans cette oeuvre, il ne voulait rien entendre », se souvient Ayman. La police arrivera peu après pour vérifier l’autorisation de la Ville. « Les gens ont peur », auraient dit les policiers.
Plus d’une cinquantaine d’artistes ont participé à ce projet de l’association Nouvelles Lignes. À sa connaissance, Ayman est le seul à avoir subi ces remarques et cette intervention de la police…
Plus de stéréotypes que de questions…
L’artiste strasbourgeois comprend que son art interroge. « Si on m’aborde poliment, j’explique ce que je fais. C’est normal. » Mais pour Ayman, les gens viennent plus souvent avec des stéréotypes que des questions :
« Parce que j’ai la peau foncée, ils me prennent pour un arabe, et donc un musulman (ce qui n’est pas le cas d’Ayman par exemple, ndlr) De même, parce que le texte ressemble à de l’arabe, ils prennent ça pour un texte coranique… Toutes ces associations sont complètement fausses ! »
Calligraphie sans texte
Depuis plusieurs années, Ayman s’intéresse à une calligraphie sans texte. « Déjà en Syrie, je me posais la question de la lisibilité, se souvient l’ancien étudiant de l’université d’Alep, les gens cherchent toujours à lire quelque chose dans mes œuvres. Mais pour moi, ce qui est important, c’est la plastique des lettres, la gestuelle de l’écriture. »
Tags racistes en juin
En juin, une autre calligraphie d’Ayman a été recouverte de tags xénophobes dans le quartier de Cronenbourg. À droite, l’inscription « Muz (musulmans, ndlr) dégagez ! ». À gauche : « This is not art! (ce n’est pas de l’art) », accompagné d’une croix celtique, symbole du GUD, un ancien groupuscule d’ultradroite. Le graffiti d’Ayman n’avait pourtant aucune signification littérale. « Pour moi, l’art doit être détaché du politique, explique-t-il, s’il y a un message dans mon travail, c’est un message d’amour. »
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