Vers 2h dans la nuit de mardi 4 à mercredi 5 août, une dizaine de personnes immigrées d’origine africaine se sont battues avec à peu près autant d’immigrés géorgiens au squat Bugatti, dans la zone industrielle d’Eckbolsheim. Certains se sont armés de couteaux, d’autres de tessons de bouteilles. Il y a eu plusieurs blessés, dont au moins un a été hospitalisé après avoir subi une importante blessure à l’œil.
« C’est quotidien les bagarres au squat »
Mamahoud (prénom changé), qui vient de Guinée, a été témoin de l’échauffourée :
« Personne ne sait vraiment pourquoi cette bagarre a démarré. Il y avait beaucoup d’alcool. De toutes façons, c’est quotidien les bagarres au squat. J’appelle la gendarmerie presque tous les soirs. Il n’y a aucune sécurité, certains résidents tchétchènes ont été propulsés vigiles, mais ils sont encore plus violents. »
Le capitaine Jean-Luc Breton, commandant en second de la compagnie de gendarmerie de Strasbourg, a refusé de confirmer l’intervention dans la nuit du 5 août. Il n’a pas non plus voulu préciser la fréquence du passage des gendarmes dans ce bâtiment.
La mairie d’Eckbolsheim ignore
Même discours distant de la mairie d’Eckbolsheim, qui avoue ignorer ce qui se déroule dans ce squat ouvert en septembre 2019 et qui héberge près de 250 personnes dans des conditions sanitaires très dégradées. Guy Spehner, adjoint au maire, déclare :
« On a vu apparaître quelques demandes de domiciliation à la mairie et on est inquiet parce que l’école pourrait avoir à accueillir des enfants à la rentrée alors que les classes sont déjà bien chargées. Mais quant au squat spécifiquement, on est au bord de la route et on attend… »
Un jugement autorise une expulsion
Ces anciens locaux de formation ont été acquis par le distributeur Lidl, qui a initié peu après leur occupation une procédure d’expulsion. Un jugement autorisant une éviction a été prononcé le 10 juillet par le tribunal judiciaire de Strasbourg, donnant aux squatteurs un délai de trois mois (voir ci-contre) pour évacuer les lieux. Le 16 juillet, un huissier a apporté au squat un « commandement de quitter les lieux » avant le 16 octobre. Contactée, l’entreprise Lidl a refusé de répondre à nos questions.
Gérant de fait du squat, Lahcen Oualhaci n’entend pas évacuer le bâtiment, arguant que « toutes les personnes visées par la procédure, sauf moi, n’y habitent plus. » Il reconnaît cependant un problème sécuritaire :
« On va interdire l’alcool dans le squat, fermer les portes à 23 heures et instaurer des contrôles à l’entrée. Six résidents sont chargés de la sécurité (2 Tchétchènes, 1 Daghestanais, 3 Français) et auront un “contrat de bénévolat” avec notre association « Terre Humaine », en cours de constitution. On a en outre rédigé un règlement intérieur, que tous les résidents devront signer et appliquer. »
Aucun contact avec la Ville d’Eckbolsheim
Lahcen Oualhaci revendique une présence quotidienne sur le site de 400 personnes, notamment aux heures de distribution de nourriture (à 11h30 et 18h). Outre les 234 personnes référencées comme résidentes du squat (au 12 août), quelque 150 personnes hébergées par l’État à l’hôtel des Colonnes, situé juste en face, s’y rendent pour leur subsistance.
Les pièces, prévues pour abriter des bureaux, sont séparées par des couvertures tendues. À l’intérieur, les résidents préparent leurs repas comme ils peuvent, malgré une plomberie dévastée. À l’extérieur, des toilettes sèches et des douches en bâtiments modulaires permettent aux résidents de rester propres.
« C’est devenu beaucoup trop compliqué de gérer tout ça »
Quasiment seul pour faire fonctionner ce site, Lahcen Oualhaci, 52 ans, appelle l’Eurométropole à l’aide :
« Je n’ai aucun contact avec la mairie d’Eckbolsheim. Zéro. C’est devenu beaucoup trop compliqué de gérer tout ça… Que faire quand 50 personnes se tapent dessus tout d’un coup ? Avec l’alcool, ça peut partir vite, un mot de trop… Il y a des gens ici qui sont en détresse totale, qui ont connu la guerre… Ça fait des mois que je demande des séances de soutien psychologique à l’Eurométropole. On sait bien qu’il y a des gens violents parmi les résidents. On ne les expulse pas, on essaie de les gérer… Sinon, où vont-ils aller ? »
Deux associations visitent régulièrement le squat. Le Service intégré d’accueil et d’orientation du Bas-Rhin (SIAO 67, financé par l’État) apporte chaque semaine environ 2 tonnes de produits alimentaires et des « tickets services » (d’une valeur de 35€ pour chaque résident enregistré, deux fois par mois). Directeur du SIAO 67, Henri Hannequin avoue son inquiétude :
« Le confinement a permis de débloquer l’apport de sanitaires supplémentaires, l’accès à l’eau et une livraison hebdomadaire de vivres. Tous ces services continuent malgré la fin du confinement mais la situation sanitaire et sécuritaire actuelle au squat Bugatti reste très préoccupante. »
Médecins du Monde effectue une visite de « médiation-santé » chaque semaine également, afin d’aider les résidents dans leurs parcours de soins. Nicolas Fuchs, directeur de l’association humanitaire dans le Bas-Rhin, constate :
« Il y a des problèmes de promiscuité exacerbés par les parcours migratoires difficiles des résidents et des habitudes de vie différentes… La situation générale au squat Bugatti est inacceptable mais pour beaucoup d’entre eux, c’est mieux que rien. Il est heureux que la situation n’ait pas dégénéré plus tôt. »
L’engagement de l’Eurométropole vivement attendu
Pour autant, les deux responsables indiquent avoir trouvé en Lahcen Ouahjali un « partenaire fiable. » Également logé par l’État à l’hôtel des Colonnes, ce dernier a bon espoir :
« Cette bagarre va permettre de débloquer l’aide publique. C’est malheureux mais toutes mes précédentes alertes n’ont servi à rien. Il aura fallu cet événement dramatique, qui aurait pu être beaucoup plus grave, pour que ça bouge. »
Dans la matinée du mardi 11 août, Marie-Dominique Dreyssé, nouvelle vice-présidente (EELV) de l’Eurométropole en charge des Solidarités, a rencontré Lahcen Ouahjali mais se garde bien de tout engagement :
« On voit bien que la situation ne peut pas continuer ainsi. Comme il s’agit d’une propriété privée, on ne peut pas établir de convention d’occupation comme avec l’Hôtel de la rue à Koenigshoffen. Nous sommes en train de voir quels sont nos moyens d’action pour venir en aide à ces familles. »
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