Les cinéphiles et journalistes se bousculent sur son sujet, certains criant au chef d’oeuvre culte instantané, d’autres au film creux complètement vide et épuisant. Peu importe. Tous les médias culturels se l’arrachent -non sans le racolage qui va avec les actrices dénudées- car pouvant enfin mettre en avant une oeuvre à la fois populaire mais aussi incroyablement stylisée.
Alors, populaire Spring Breakers ? Pas tellement, bien qu’il ait attiré des hordes de fans des actrices lors de son avant-première parisienne et très certainement ailleurs. On est finalement à des années lumières de la chose attendue et conventionnelle livrée au grand public, en témoignent les nombreuses jeunes demoiselles ressorties choquées (rappelons que le film n’est pas passé loin de l’interdiction aux moins de 16 ans). Ceux et surtout celles qui s’attendaient à voir leurs idoles de chez Disney dans un film de fête à la Project X tomberont dans un trou sans fin… pour le plus grand bonheur des distributeurs. C’est aussi ça qui est intéressant, le jeu avec le public qui n’était pas forcément venu pour ce résultat expérimental.
Du Spring Break au film de gang
On peut dire que dès le début Spring Breakers est jouissif d’ironie, ceci à l’aide d’une introduction qui en met plein la vue et développe déjà tous les clichés forcément attendus pour ce genre de film : Sexe, boobs à profusion et bikinis à perte de vue, le tout dans un rythme effréné qui vient dépeindre en quelques minutes la liberté absolue dont jouit ce genre de festivités. Festivités qui reviendront hanter tout le film (à l’aide de flash-backs) afin d’asséner la désillusion lente de l’esprit fêtard-trash et, peut-être, en dévoiler des conséquences.
La présentation ainsi faite de ce qu’est un Spring Break, Harmony Korine peut alors susciter l’attente de l’arrivée de celui-ci pour nos quatre héroïnes, jeune américaines plongées dans la solitude universitaire et la routine des études (illustrées par des plans d’environnements bien calmes juste après l’effervescence du début). Dès les premières secondes apparaît ainsi l’idée que le retournement de l’utilisation de starlettes Disney (Selena Gomez et Vanessa Hudgens entre autres) est une bonne idée, surtout que c’est bel et bien à de la création artistique à laquelle on assiste et non pas à un divertissement sexe & rock n’roll. Spring Breakers a de bonnes idées de mise en scène tout du long, qu’elles soient sonores ou visuelles, de la photographie jusqu’au montage.
Pop culture et fascinations crédules
Le Spring Break n’est finalement qu’un prétexte au basculement des ces petites Alice dans la contre-société libérale, un contre-système fait de crasse et qui se développe pour le plaisir du fric, pour lequel on est prêt à tout, et pour lequel on glisse du plaisir phallique à l’arme à feu (n’est-ce pas l’une d’elles qui d’ailleurs utilise un pistolet à eau pour le vider dans sa bouche). C’est dans cette lutte de pouvoir que s’opère alors le glissement de la première partie à la deuxième dans laquelle les jeunes minettes se servent de guns en tout genre pour laisser exploser leur témérité. Evocation d’un jeu de séduction ou sexisme par l’utilisation des armes pour se hisser au niveau de l’homme ? Qui verra jugera, mais les nombreux rapports bucco-génitaux avec les flingues donnent des pistes.
Leur véhémence ne trouve ceci-dit pas de réelles justifications dans leur quotidien auquel on assiste au début, tout juste peut-on évoquer leur culture cinématographique et vidéoludique (« Imagine que c’est un jeu vidéo, imagine que c’est un film »), et donc la culture a priori populaire dans laquelle les jeunes filles ont grandi. Les multiples références à Britney Spears en sont un exemple puisque c’est avec gaîté de coeur qu’elles poussent la chansonnette, et cela donne par ailleurs la plus grande scène de pop-music depuis l’utilisation de Katy Perry chez Audiard dans De rouille et d’os.
Le Spring Break apparaît alors comme symbole de la croisée des possibles au cours duquel chacun se révèle de par ses choix, et permet surtout l’impulsion d’un univers fantasque par le cinéaste. On est observateur de la fraction de deux mondes, la réussite sociale et financière ayant deux vecteurs. Sur fond de consumérisme exacerbé, Korine capte alors cette jeunesse matérialiste pour mieux lui tendre un miroir et l’attirer vers ce monde nouveau, cet espace de paradis rêvé : celui de la fête, de la liberté absolue des moeurs, un monde fascinant et fasciné, hors temps et bien réel, constitué d’une débauche sans limites, ou presque. Une expérience unique en somme, mais plus sexy que sexuelle.
Plongée dans un univers à l’esthétique hors-norme
C’est un rêve, une autre planète que l’on découvre, le personnage « Alien » (interprété par un très bon James Franco) n’est alors pas en reste pour les conduire dans cette voie et les amener à s’enfoncer dans les ténèbres fluorescents de leurs fantasmes. Les moins fortes et les plus croyantes resteront sur le côté et arriveront à temps à reprendre pied, se retrouver, et ne pourront découvrir cet autre monde sans dessus dessous. À tous ces éléments s’ajoute une force visuelle qui souligne cette ambiance enchanteresse de pays des merveilles, l’american dream ni plus ni moins.
Plus le film avance, plus la prédominance du flashy explose à l’écran avant de se conclure dans des coloris quasi-hallucinatoires sur un pont dont le dernier plan évoque d’ailleurs ce basculement achevé. Tout y est fou, sauvage et envoûtant, Cliff Martinez signe une nouvelle composition douce et électrique pas si éloignée de celle de Drive à laquelle il avait également participé. On est alors noyé dans des effets de style à profusion et plongé dans l’esthétique d’un Gaspard Noé (tendance Enter the Void et néons vifs).
L’un des défauts (ou qualité discutable) du long-métrage se trouvera plutôt dans son découpage, multipliant les flash-backs incessants et les retour avant-arrière comme pour densifier la narration du récit qui n’a pourtant pas besoin de quelconque complexité faussée. Chaque nouvelle séquence est alors marquée par un bruit de tir et capture l’instant passé, cet instant dont chaque personnage aimerait qu’il dure éternellement. On se dit finalement que le tout forme une spirale infernale de déversement de paroles et d’images qui se lancent l’un-l’autre et font progresser l’intrigue étrangement, voire maladroitement. Du Skrillex dubstep on conclut sur du Skrillex adouci, la boucle est bouclée avec tendresse et mélancolie.
L’idée est donc là : c’est un trou noir de bêtise qui s’étale devant nous et qui tourbillonne, non pas la bêtise du film mais celle de personnages qui ont choisi une voie différente et dont les actes ne sont pas critiqués, sinon simplement montrés par une mise en scène au moins autant tourmentée qu’eux. C’est tout, et c’est incontestablement d’une beauté folle. On ne peut qu’apprécier cette aventure aux confins du réel qui prend des allures de conte extravagant. En l’état, Harmony Korine a fait un travail subjuguant à plusieurs niveaux, à voir pour s’en faire une idée et percer à jour cette oeuvre moins amusante que prévue mais tout de même très stimulante. Une parenthèse sur le monde qui fait du bien.
Y aller
A voir au Star St-Exupery, VOST, 18 rue du 22-Novembre, à Strasbourg et à l’UGC Ciné-cité Strasbourg, VOST 25, route du Rhin, à Strasbourg.
Aller plus loin
Écouter la bande originale en intégralité
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