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Alexandre Feltz : « Le ministère de la Santé ne veut pas dépenser pour le sport sur ordonnance »

Médecin généraliste et adjoint au maire en charge de la santé, Alexandre Feltz a initié le programme « Sport sur ordonnance » en 2012. Alors que se tiennent les deuxièmes Assises du « Sport Santé » à Strasbourg, l’élu espère un engagement plus fort du gouvernement pour développer et généraliser cette pratique en France.

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Le 26 septembre, le docteur Alexandre Feltz a été longuement reçu (2h35) par les commissions des affaires culturelles et des affaires sociales de l’Assemblée nationale, en présence des ministres du Sport et de la Santé. Strasbourg étant la ville pionnière d’activités sportives prescrites par les médecins, l’adjoint au maire est aujourd’hui identifié comme « Monsieur Sport sur ordonnance » en France. Un statut qui lui permet de glisser quelques idées dans les ministères à ceux qui réglementent tout doucement ces questions.

Après une première reconnaissance dans la loi de Santé en 2016, de l’ordre du symbole, ce membre du nouveau groupe politique « La Coopérative sociale, écologique et citoyenne », veut désormais que l’État s’engage financièrement sur ces questions. Mais le ministère de la Santé voit encore la prévention comme un coût, et non un investissement dans la santé.

Rue89 Strasbourg : La loi de Santé introduisait pour la première fois en 2016 la notion de sport sur ordonnance dans la loi. Qu’est-ce qui a changé depuis ?

Alexandre Feltz : L’amendement a été intégré par l’Assemblée nationale à l’initiative de l’ancienne ministre du Sport Valérie Fourneyron (PS), redevenue députée. Le représentant du gouvernement a voté contre, mais il était tout seul. L’article de loi est minimaliste, mais il permet d’établir pour la première fois le lien entre activité physique et santé.

Le problème, c’est que les décrets d’application n’ont été publiés que le 1er mars 2017. Ils permettent aux médecins de diriger le patient vers six praticiens différents, comme des masseurs-kinésithérapeutes, ergothérapeutes, psychomotriciens ou éducateurs sportifs. Le décret est fait pour que le médecin oriente chez l’un d’eux en particulier, de manière nominative, ce qui ne se passe pas comme ça dans la pratique. Il est aussi marqué en gros sur l’ordonnance que les activités ne sont pas remboursées par la sécurité sociale, ce qui a un effet assez rebutant.

« Rien sur le financement »

La loi comme le décret ne disent rien sur le financement. Cela a été une déception mais cela n’a pas empêché les villes de continuer à travailler. Les Assises de 2015 ont été un premier boom et on attend que les deuxièmes provoquent un effet similaire. Après Strasbourg, il y a eu Blagnac en 2013 et Saint-Paul de la Réunion en 2014. Aujourd’hui, 60 villes ont franchi le pas, réunies au sein d’un réseau.

Étant donné la raréfaction des dotations de l’État pour les communes et que leur compétence santé est minime, que des collectivités s’engagent est formidable. C’est un signe fort et transpartisan. Il est très rare que les villes soient moteur sur une loi nationale.

Et maintenant, quel est le cap ?

Il y a déjà deux promesses de campagne. Emmanuel Macron s’est engagé à construire 500 Maisons du Sport Santé en France, ce qui ressemble à ce que nous voulons faire aux Bains municipaux. Et le président a aussi proposé de rembourser les licences sportives aux personnes en mauvaise santé.

À plus court terme, l’objectif est d’avoir une directive dans le projet de loi de finance de la sécurité sociale (PLFSS) 2018 pour rectifier le tir. Peut-être que des députés « En Marche » peuvent voter des amendements dans ce sens. On a vu que par exemple sur le vélo électrique, certains élus de la majorité arrivaient enfin à prendre leur distance avec le gouvernement. Emmanuel Macron veut aussi un fonds d’innovation pour la Santé, donc je vais proposer que le sport sur ordonnance en fasse partie.

Avec les deuxièmes Assises du Sport Santé à Strasbourg, Alexandre Feltz va bientôt pouvoir changer la décoration de son bureau d’adjoint au maire (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

À Strasbourg, quel est le bilan du sport sur ordonnance ?

En cinq ans, 2 000 personnes se sont vu prescrire une activité physique à Strasbourg : du vélo, de la gym, des sports aquatiques, du basket, du badminton, soit avec un éducateur sportif de la Ville soit avec une association partenaire. À ce jour, 700 personnes en profitent. La première année c’est gratuit, et la deuxième et troisième année c’est une tarification solidaire : 20 euros par an pour le quotient familial le plus bas, 50 euros pour les personnes qui gagnent le SMIC et 100 euros au-delà.

Pour la collectivité, le coût est d’environ 600 euros par an par prescription. Nous avons été rejoints par le Conseil départemental, qui intervient dans le domaine spécifique de la prévention des chutes pour les personnes âgées. C’est un sujet sur lequel très peu de choses sont faites, alors qu’à ce stade de la vie, une chute est parfois le début de la fin.

« Des gens se demandent s’ils doivent déménager »

Partout, des solutions s’organisent, avec les agences régionales de santé (ARS), ici le régime local d’assurance maladie, ailleurs avec des mutuelles ou d’autres partenaires. Si l’État participait au tour de la table, le dispositif pourrait vraiment prendre de l’essor. Aujourd’hui, nous avons des habitantsde Schiltigheim qui nous demandent par exemple si elles doivent déménager pour profiter du dispositif strasbourgeois.

Je propose par exemple que l’État participe sous la forme de tickets de 150 euros par personne, mais on peut discuter des modalités. En plus, nous avons des jeunes formés à ces métiers, entre bac+3 et bac +5, et qui ne trouvent pas de boulot.

Lors de l’audience en commission, on avait l’impression que deux mondes ne parlaient pas la même langue. Certains disaient « Santé », d’autres répondaient « dépense »…

Dans le monde du Sport, on est très partant pour généraliser ce dispositif. On peut critiquer ce gouvernement, mais en tout cas la ministre des Sports, Laura Flessel, est top. Pour les Assises du sport sur ordonnance, elle vient en début de journée, participe aux ateliers, veut déjeuner avec tout le monde, visite des infrastructures et revient pour la clôture. Je n’ai jamais vu ça.

« Un système à côté des besoins »

La Ministre de la Santé Agnès Buzyn est plus prudente. Elle veut faire de la prévention primaire, c’est-à-dire à destination de tout le monde : c’est moins fumer, moins boire, manger équilibré, etc. C’est très bien, il faut le faire ! À Strasbourg, c’est par exemple l’esprit des parcours Vitaboucles.

Mais si on veut avoir des résultats, il faut aussi cibler le secondaire, c’est-à-dire des personnes avec les premiers symptômes. La France compte 11 millions de personnes souffrant d’une affection de longue durée et 20 millions avec des maladies chroniques type diabète ou hypertension.

Les deux vont ensemble. Si on propose de l’activité pour ceux qui sont déjà fragiles, ceux qui sont en bonne santé vont aussi comprendre que c’est bon pour eux. Le système actuel est à côté des besoins, et ça ne vaut pas que pour ce gouvernement.

Agnès Buzyn parle même de « risque majeur de rembourser de l’activité physique », ça doit vous faire bondir, non ?

Ce qu’elle appelle « le risque », c’est de dépenser pour le sport et pour l’instant le ministère s’y refuse. C’est une vision gestionnaire de la Santé, un domaine dans lequel Emmanuel Macron veut faire des économies. Or, le diabète coûte 20 milliards d’euros en traitements et même 40 milliards si l’on ajoute les autres conséquences comme les arrêts de travail. Le sport santé doit être vu comme un investissement pour réduire ces coûts là.

« L’inégalité d’accès au sport est une inégalité de Santé »

Les Macronistes ont pour consigne que pour chaque nouvelle dépense, il faut trouver une coupe correspondante. Or, la politique c’est aussi des choix. En 2012 lors du lancement à Strasbourg, le maire aurait très bien pu dire que ce n’était pas la priorité, ou qu’il fallait trouver une ressource pour le financer. Mais ça a été une volonté de la municipalité.

Vous dîtes parfois que c’est aussi une question d’égalité. De quelle manière ?

Parmi les inégalités de Santé, il y a entres autres l’inégalité d’accès au Sport. Au début du programme, nous avons par exemple mis à disposition 100 Velhops gratuitement, mais les bénéficiaires ne les demandaient pas et on ne comprenait pas. C’est en fait parce que 70% d’entre eux ne savaient pas faire de vélo.

Idem pour la natation, alors qu’une partie des activités proposées sont aquatiques. On pourrait penser que faire du jogging tout seul dans son coin suffit et ne coûte rien, mais au contraire c’est une activité en fait réservée à ceux qui sont en bonne santé. Il faut une activité régulière, modérée et surtout adaptée à l’état de santé, ce qui demande un accompagnement humain.


#Agnès Buzyn

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