Alors qu’aux États-Unis, le dernier film Spiderman rafle la première place du box-office, est salué unanimement par la critique et obtient la reconnaissance du public américain, les dernières aventures du tisseur de toile peinent à trouver leur public dans l’hexagone – pour ne pas dire qu’il fait un bide total. Comment expliquer ce désamour des Français pour Spiderman : Into the Spider-verse (renommé New Generation en France) ?
Sans doute en raison d’une promotion ratée : vendu comme un film familial, le marketing s’est contenté de rappeler que des footballers prêtent leur voix à plusieurs personnages, sans préciser qu’ils n’ont que six répliques à eux deux dans le film. L’accueil du film rappelle l’égarement proprement français à considérer le cinéma d’animation comme l’occasion d’occuper les marmots, cibles de ces campagnes promotionnelles à côté de leurs pompes.
Quel dommage ! Réalisé par Peter Ramsey, Bob Persichetti et Rodney Rothman, cette dernière mouture de l’homme-araignée est un miracle visuel, une proposition inédite, hybridant les arts et les formes, le tout au service d’une histoire formidablement bien écrite.
C’est quoi ta définition d’une clique ?
Miles Morales, un ado afro-américain, appréhende sa rentrée scolaire dans un établissement chic et bien comme il faut. Terrifié par cette promesse d’ascension sociale, il préfère la compagnie de son oncle Aaron avec qui il partage sa passion pour la musique et le graffiti. Alors qu’ils s’infiltrent dans les égouts pour taguer un mur, une araignée mord Miles : vous connaissez la suite.
Pendant ce temps, le Caïd, chef de la pègre new-yorkaise, parvient à ouvrir un portail multi-dimensionnel. En sortiront des Spiderman improbables : Spider-Gwen, alter ego féminin, mais aussi Spiderman Noir (incarné avec brio par Nicolas Cage !), Penni Parker, jeune fille issue d’un manga de mecha ou… Spider-cochon. Une version quarantenaire de Peter Parker, ventripotent dépressif dont le cynisme jure avec l’enthousiasme habituel de l’homme-araignée, deviendra le mentor malgré lui du jeune Miles.
Leur relation est l’un des tours de force du film car sans trop en faire, cette transmission filiale, thème clé de Spiderman, est l’occasion de plusieurs scènes touchantes où les deux personnages apprennent l’un de l’autre. Miles doit gérer ses nouveaux pouvoirs et choisir qui il veut être alors que Peter B. Parker va devoir accepter d’échouer pour atteindre la rédemption dans son univers. C’est en ce sens que Spiderman: Into the Spider-verse est un film familial, il raconte la reconfiguration de personnalités radicalement différentes mais dont les valeurs et les enjeux sont similaires. Longue vie au Spidergang !
World Wide Web
Jamais un style visuel aussi proche de celui des comics n’aura frappé les écrans de cinéma. Le mélange de dessin et d’animation 3D est prodigieux, les personnages sont caractérisés en une esquisse, les visages sont animés par des émotions plus vraies que natures et les textures des matières sont inédites. En effet, le film recourt à la quadrichromie, cette technique cheap d’impression par micro-points propre aux comics, et aux trames pour marquer les ombres et les reflets.
Les corps, dont les formes et styles d’animation varient selon la dimension d’origine, sont identifiables en une fraction de seconde (lire cette analyse des trailers montrant la virtuosité du film). Des procédés d’animations créés pour le film permettent ce rendu si saisissant : des arrêts sur images reproduisent les pages d’un comic book, des onomatopées ponctuent les actions des personnages et des pages se tournent.
La fixité des arts visuels est retranscrite par l’étirement de l’animation des personnages ; le rythme d’animation fonctionne par à-coup, pour mieux mettre en avant les images clés (à comprendre les images de début et de fin d’un mouvement) et le rendu donne un effet saccadé, propre à l’animation traditionnelle. Ce pari esthétique est une franche réussite. Le sens de l’action, des postures, de même que la puissance des comics ne sont pas évacués par le mouvement propre au cinéma : ils sont sublimés par une gestion parfaite du rythme. On saluera par ailleurs un montage impeccable qui laisse le temps aux émotions et à l’humour des scénaristes de se déployer malgré un rythme effréné qui nous fait ressortir essoufflé de la séance.
Une rencontre entre le polar noir et les Looney Tunes
L’approche « Et si… », déjà explorée par les comics permet des folies visuelles et narratives bienvenues, comme la rencontre improbable entre le polar noir et la légèreté des Looney Tunes. Le long métrage recourt en effet à ce qui pourrait sembler être une addition de références que les amateurs reconnaîtront avec grand plaisir. L’héritage des comics est intégré dans son récit même, au point où les personnages du film sont gavés de produit dérivés de Spiderman, au point d’avoir droit à des glaces ou un album de noël estampillés Spiderman ! On se souviendra notamment des séquences où Miles apprend à se servir de ses pouvoirs en relisant les comics originaux, mise en abyme délicieuse et drôle à souhait.
Difficile de se contenter d’un seul visionnage tant l’œuvre fourmille de détails, d’idées nouvelles. C’est également en cela que Spiderman : Into the Spider-verse est un film important : il témoigne avec justesse de notre boulimie d’images. Tout y est excessif, l’esthétique du film relève à la fois du glitch, du street art et de la longue tradition du cinéma d’animation. Une maîtrise des motifs esthétiques accorde au film une densité impressionnante : « l’entre-dimension » où les protagonistes sont projetés est représentée par différentes toiles d’araignées reliant les univers entre eux, rappelant que le mythe fondateur de l’Homme-araignée reste la matrice de ces récits.
Impossible de ne pas évoquer la bande son, faite de musique concrète, de jazz mais surtout de rap US. Au programme, Duckwrth, Juice Wrld, Nicki Minaj ou Post Malone. La bande originale, signée Daniel Pemberton, est mémorable et on se surprend à retenir quelques thèmes instrumentaux (mention spéciale au thème du Rôdeur).
Une célébration du « What if… »
Spiderman : Into the Spider-verse est une bouffée d’air frais dans un genre rincé. Le film opère une déconstruction soignée du film de super héros. Il est certes l’origin story de Miles mais sans la prétention de réinstaurer une vision de Spiderman qui repousserait les films de Sam Raimi ou Marc Webb (comme le faisait Spiderman Homecoming dont le but était de se rattacher aux Avengers). Cette convergence des super-héros est le projet mégalomaniaque du Marvel Cinematic Universe (MCU) : relier toutes ses productions entre elles pour voir émerger un canon, une histoire officielle, qui cimenterait un univers commun. Si dans le MCU, les films se renvoient les références et clins d’œil pour authentifier cet univers étendu, Spiderman : Into the Spider-verse célèbre au contraire l’autonomie de son récit, sa capacité à détourner les attentes et devient à cet égard une proposition radicalement divergente. Si l’œuvre affirme que nous pouvons tous être Spiderman, c’est surtout qu’on peut faire de Spiderman ce que l’on veut !
Le film témoigne de la jouissance du « What if » et procède à la destruction du canon. C’est à cet égard que le film est une des œuvres les plus contemporaines, il propose une réappropriation parmi tant d’autres du mythe Spiderman. Il démontre notre capacité à se saisir de récits et mythes qui nous entourent et à les transformer, à la manière d’une partie de jeu de rôle ou d’une fanfiction.
En recourant aux mondes parallèles et à la « rupture du continuum espace-temps », c’est précisément l’enjeu du film que de rappeler sa condition post-moderne : la dimension de Miles ne vaut pas plus qu’une autre et il n’existe pas de vrai Peter Parker. Ainsi, les grincements de dents et préoccupations conservatrices quant aux enjeux de représentations en sont devenus caduques.
Sony, qui produit et distribue le film, confirme son ambition de varier les récits de l’Homme-araignée comme ce fut le cas avec le formidable Marvel’s Spiderman, sorti sur Playstation 4 en Septembre, et qui propose d’incarner un Peter Parker habitué à endosser le costume. Bien que l’histoire proposée par le jeu soit classique, elle ne fait ni ombre ni objection à celle du film ni aux productions antérieures. Qu’importe le flacon tant qu’on ait une bonne histoire ; cette réappropriation street de Spiderman (première au cinéma, Miles Morales existe depuis 2011 en comics) est absolument jouissive et est sans doute le Spiderman le plus réussi sur grand écran.
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