« J’ai trois enfants à l’école primaire, alors je compte bien accompagner encore pas mal de sorties scolaires », sourit Marie-Jane Auraghi, déterminée, un foulard rose clair noué autours de la tête. Avec le collectif Parents Strasbourg, dont elle est une des membre fondatrice, ainsi que des parents élus des écoles des Romains et Gustave Stoskopf, elle se mobilise contre la discrimination des mères musulmanes ayant fait le choix de porter un voile.
Un amendement du Sénat finalement retiré
Le 15 mai, le Sénat adoptait un amendement dans le cadre de l’examen du projet de loi « pour une école de la confiance » du ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer. Cet amendement, déposé par « Les Républicains », visait à interdire le port du voile pour les mères d’élèves accompagnatrices lors des sorties scolaires. « Cet amendement ne mentionnait pas simplement les signes ostentatoires, il visait clairement les femmes musulmanes », abonde Marie-Jane Auraghi.
L’amendement est finalement retiré du projet de loi le 13 juin à l’occasion de la commission mixte paritaire (qui a aussi abordé la question des jardins d’enfants). Mais des mères d’élèves restent inquiètes. « Jean-Michel Blanquer a fait savoir qu’il mettrait tout en œuvre pour qu’il y ait le moins de personnes possibles portant des signes ostentatoires en accompagnement des sorties scolaires. Nous craignons qu’une circulaire allant dans ce sens et excluant les mères voilées ne soit envoyée au rectorat », explique Marie -Jane Auraghi. « C’est pour cela que nous restons mobilisées », poursuit-elle. Ainsi une manifestation a rassemblé une soixantaine de personnes dans l’après-midi du 19 juin dernier.
Une stigmatisation des mères et des enfants
Pour Mme Auraghi, une circulaire visant à exclure les femmes voilées des sorties scolaires serait stigmatisante et humiliante à la fois pour les parents et pour les élèves eux-mêmes.
« Comment pourrais-je expliquer à mes enfants que je ne peux pas les accompagner en sortie scolaire juste parce que je porte le voile ? Cela empêcherait de bâtir une relation de confiance entre les parents, les élèves et l’école. Ma fille est en maternelle. Comment peut-elle avoir envie de faire de longues études au sein d’une institution qui la rejette depuis ses trois ans et qui rejette sa mère ? Je ne veux pas que mes enfants soient humiliés parce que je porte un foulard sur la tête. »
Injonction contradictoire
Marie-Jane Auraghi souligne également l’injonction contradictoire qu’une interdiction de la sorte adresserait aux mères d’élèves musulmanes, déjà souvent victimes de stéréotypes:
« On nous montre souvent du doigt en disant que les musulmanes qui portent le voile sont des femmes soumises et qui peinent à s’intégrer dans la société. Mais en excluant les mères voilées des sorties scolaires, on empêcherait justement des femmes qui le souhaitent de s’investir dans la vie des écoles. »
Marie-Jane Auraghi craint, à terme, si une circulaire est mise en place, de ne plus pouvoir prendre part du tout aux activités scolaires.
« Je suis déléguée de parents d’élèves. Est-ce qu’on va me dire un jour que je ne pourrai plus l’être à cause de mon voile ? Ce serait comme si on voulait dire que je n’existe plus. »
Une mobilisation inédite
À l’origine, le collectif Parents Strasbourg, fondé en octobre 2018, luttait pour le retour à la semaine des quatre jours dans les écoles de Strasbourg. Après avoir eu gain de cause, il s’est ensuite articulé autours de l’opposition au projet de loi de Jean-Michel Blanquer et la revendication d’une Atsem par classe maternelle.
« C’est surtout parce que nos enfants risquent d’être touchés que j’ai lancé une mobilisation avec le collectif Parents Strasbourg », explique Marie-Jane Auraghi. Une mobilisation a priori inédite, selon elle qui n’a pas souvenir d’un autre rassemblement de mères musulmanes autour de la question scolaire.
Des établissements plus réticents que d’autres
La jeune femme reconnaît toutefois qu’à Strasbourg, « aucune mère voilée ne s’est vue refuser frontalement d’accompagner une sortie scolaire ». Mais certaines écoles seraient tout de même plus réticentes que d’autres. Une mère d’élève aurait confié à Mme Auraghi :
« Certains enseignants ciblent les parents qu’ils veulent prévenir en priorité pour accompagner les sorties scolaires et ensuite seulement ils font passer un mot dans le cahier de vie des élèves pour informer les autres. »
« Nous nous mobilisons en prévision »
De son côté, Marie-Jane Auraghi reconnait elle aussi ne jamais avoir essuyé le moindre refus, que ce soit pour accompagner une sortie scolaire ou dans le cadre de son engagement auprès des parents d’élèves.
La situation au sein des écoles de Strasbourg serait ainsi loin d’être catastrophique. C’est justement ce qui pousse Marie-Jane Auraghi à passer à l’action. « Nous nous mobilisons en prévision de ce qui pourrait arriver si jamais une circulaire est adoptée par le Rectorat et pour que toutes les mères puissent continuer d’accompagner les sorties scolaires de leurs enfants ».
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