C’était devenu un emblème des impasses de la démocratie locale lors des deux mandats précédents. Il aura fallu un changement de municipalité et de curé pour que cette situation du cœur de Robertsau se décante. Comme acté à la fin du mandat précédent, le foyer ne sera pas détruit. Ce lieu héberge une grande salle centrale, des plus petites pièces de réunion, des espaces pour des fêtes de familles, des locaux utilisés par les Scouts, etc.
Mais la nouveauté, c’est que plusieurs parcelles qui devaient être construites deviendront des petits espaces verts en cœur de quartier.
La paroisse voulait un nouveau foyer
Retour sur l’historique. Au début des années 2010, la paroisse Saint-Louis souhaite vendre son foyer pour en construire un nouveau à côté de son église, deux rues plus loin, sur le lieu dit du « jardin du curé » (voir notre article). Cette parcelle lui appartient et a été classée constructible en 2012.
Pour financer l’opération, elle comptait vendre son foyer vieillissant et les terrains attenants, idéalement placés au centre du quartier. L’opération devait permettre la fabrication de 37 logements. Montant de la vente à Icade : 2,7 millions d’euros. Mais c’était sans compter une levée de boucliers d’habitants qui réclament que la municipalité se saisisse du dossier pour s’impliquer financièrement afin de préserver et même améliorer « un Cœur pour la Robertsau ». Le collectif se compose de personnalités de différents bords politiques et attachés à ce lieu historique et à ses fonctions diverses.
À force de recours, et de dissensions dans la majorité de Roland Ries, le projet est alors remis à plat en 2017.
Roland Ries pensait avoir trouvé un équilibre
Avant de passer la main, Roland Ries pense avoir trouvé un point d’équilibre. Moins de logements (11), quelques bureaux et une maison des services publics. La municipalité achète donc une partie de la cour (pour 142 600 euros) et abonde financièrement la rénovation du foyer (117 400 euros sur 1,3 million estimés), qui est finalement préservé. La délibération est votée fin 2019, avec quelques abstentions dans l’opposition et la majorité.
Mais rien ne bouge jusqu’en 2020, alors que les élections municipales envoient à la mairie une nouvelle majorité. Dans l’équipe de la maire Jeanne Barserghian figure Marc Hoffsess, l’un des piliers du collectif « Un coeur pour la Robertsau ». Devenu troisième adjoint, co-président du groupe des élus écologistes, et élu chargé de la Robertsau, cet ancien conseiller de Jacques Bigot et de Roland Ries est l’un des élus qui compte dans la nouvelle majorité.
La nouvelle équipe reprend le dossier. En face, il y a aussi un nouveau curé, Franck Guichard. Cela tombe bien, les relations étaient très tendues avec son prédécesseur, Didier Mutzinger, devenu archiprêtre à la cathédrale en 2021. Lors d’une conférence de presse épique en 2019 aux côtés du maire, Didier Mutzinger n’avait pas hésité à qualifier « d’idéologues » et « d’anti-cléricaux » les membres du collectif, mettant leur combat sur le compte de « frustrations personnelles ».
Opérations en cascade
Les nouvelles négociations aboutissent notamment sur le rachat de la parcelle à l’arrière du foyer Saint-Louis, qui devait être urbanisé et cédé à Avant Garde Promotion.
Cette décision entraîne une cascade de changements pour la Robertsau :
- La Ville achète la parcelle du « jardin du curé » au Conseil de Fabrique, qui gère les biens de l’Église pour 591 000 euros. Cet espace lui est rétrocédée via un bail emphytéotique pour un loyer symbolique de 15€ par an pendant 50 ans. La gestion revient à la paroisse et ne sera pas accessible à tous.
- La Ville achète aussi le reste de la cour du foyer pour 624 440 euros, prix estimé par les Domaines de France. Le promoteur Avant Garde Promotion avait déboursé 930 000€ en 2019.
- Deux bâtiments de la Ville situés rue Boecklin, au 84 (mairie de quartier) et 119 (maison des associations) ne seront pas vendus à des promoteurs immobiliers. L’argent tiré de leur vente devait permettre de déménager la mairie de quartier, la direction de territoire, le bureau de l’adjoint-e de quartier ainsi qu’une salle de réunion modulable dans un nouveau bâtiment construit dans la cour du foyer Saint-Louis.
- Un projet immobilier au 88 rue Mélanie est agrandi. C’est la « porte de sortie » pour le promoteur Avant Garde Promotion.
Le 88 rue Mélanie, une porte de sortie à 22 logements supplémentaires
Le prix de la vente (1 215 440 euros) coïncide – à l’euro près ! – aux dépenses faites par la municipalité pour acquérir les deux parcelles à la paroisse. C’est ce qui permet de dénouer le situation.
À cette adresse, près du parc de Pourtalès, la municipalité avait cédé une maison lui appartenant datant de 1900, avec une grange, un hangar et une dépendance. La vente, pour 300 000 euros au profit du bailleur social Ophéa (ex-CUS Habitat), avait été actée lors du dernier conseil municipal avant les élections municipales de mars 2020. Personne n’avait rien trouvé à y redire, le point n’ayant même pas été retenu. Il prévoyait alors 13 logements sociaux. L’opération telle que votée le 21 mars prévoit cette fois 34 appartements dont 12 sociaux qui reviendront à Ophéa.
Tous les élus, y compris l’opposition, les Socialistes et LREM anciens membres de la majorité ont voté « pour » l’acquisition des deux parcelles auprès de la paroisse qui ne seront donc pas construites. En revanche, les groupes LREM et LR ont voté « contre », la porte de sortie au 88 rue Mélanie.
« Un alignement des planètes »
Passé du côté des décideurs, Marc Hoffsess revient sur ces négociations :
« Certes, la bataille avait évité le scénario du pire pour le foyer. Mais nous avons voulu apporter un regard nouveau. Pour nous, le foyer fonctionne avec ses espaces extérieurs, par exemple pour que les Scouts déploient leur matériel, le stocke ,ou organisent des jeux (Marc Hofsess confie avoir lui-même été scout dans cette paroisse). La solution permet à la paroisse d’avoir plus de recettes pour mener à bien la rénovation jusqu’au bout.
Il faut aussi saluer le nouveau curé Franck Guichard, qui a vite vu que c’était une épine dans le quartier et qui a su faire preuve d’intelligence et de bienveillance, tout comme le promoteur, pour permettre un alignement de planète. Ce qui reste incompréhensible, c’est l’attitude de nos prédécesseur, de non seulement ne pas s’impliquer, mais même d’être facilitateurs en achetant des espaces et déménageant ses services pour satisfaire le projet de la paroisse, mais pas le quartier. Par exemple, le 119 rue Boecklin est l’une des plus anciennes maisons du quartier, dans l’ancienne gendarmerie, et aurait été détruite. »
Pour Jacques Gratecos, dont l’association de défense des intérêts de la Robertsau (Adir) a porté les 7 recours et recueilli les dons pour le collectif, la satisfaction est totale :
« On a enfin eu ce qu’on attendait avec cette municipalité. Certes, au sein de l’association, tout le monde n’est pas satisfait avec l’opération rue Mélanie. Mais il faut faire des arrangements et s’il faut passer par là, il faut l’accepter. Depuis des années, on me dit que cet endroit sera construit. Si le quartier est visé par les promoteurs, c’est aussi car il y a des acheteurs. C’est un cas d’école, plus de monde veut habiter à la Robertsau car c’est un quartier agréable, mais où on ne veut pas sur-construire pour que ça le reste… »
Sur la nouvelle équipe et sa gestion de la démocratie locale qu’elle tente de réformer, le président associatif fait le parallèle avec l’équipe de Catherine Trautmann en 1989 : « Des gens qui ne pensaient pas gagner, mais qui étaient impliqués dans des associations ». Selon lui, il y a « peut-être plus de naïveté », chez les nouveaux élus, « mais aussi plus de volonté à voir des choses se réaliser ».
Un espace vert à construire
Que deviendront donc les espaces centraux achetés par la municipalité ? Depuis l’été 2021 quelques palettes en bois ont été installées sur la parcelle déjà acquise par la municipalité, le 66 rue Boecklin (où devait s’ériger la nouvelle mairie de quartier). « C’est aux Robertsauviens d’inventer l’aménagement, », estime Marc Hoffsess. Le lieu sera néanmoins affecté à un espace vert. « Nous, on a évité l’urbanisation. On fixera un cadre, mais je veux l’aménagement le plus consensuel possible », ajoute-t-il. En conseil municipal, l’opposant et élu du canton de la Robertsau Jean-Philippe Vetter (LR), peu convaincu par les palettes actuelles, a demandé qu’un effort particulier soit fait pour cet espace émblématique.
Jacques Gratecos aurait bien quelques idées, mais « ce n’est pas juste à l’Adir de décider », tempère-t-il. Pour faire fonctionner la démocratie locale, il conseille : « Ce qui marche, c’est quand on confie des missions aux gens, avec un temps donné et des missions claires. »
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