« Mon corps, mon choix, et ferme ta gueule ! » Une soixantaine de militantes clament le slogan avec force. Elles font bloc devant la salle polyvalente du foyer paroissial du Munsterhof situé au centre-ville, rue des Juifs. Il est 20h15. La première séance d’un « cycle de formation en bioéthique » organisé par l’Alliance vita doit commencer un quart d’heure plus tard. « Ils se disent pro-vie. Ces personnes sont opposées à l’avortement, l’euthanasie. Ils sont homophobes. Nous voulons leur montrer qu’on les a à l’œil, qu’il y a une résistance », explique Gaby (prénom modifié), l’une des activistes.
Vers 20h20, quatre personnes tentent d’entrer mais sont empêchées par la chaine humaine, également composée de militants antifascistes. « Rentrez-chez vous », leur crie un manifestant. Le groupe scande : « Pas d’facho dans nos quartiers, pas d’quartier pour les fachos. » Refoulées, Élodie et Martine se disent choquées : « On nous interdit de participer à un événement. Ce n’est pas normal qu’on nous empêche d’aller à une conférence. On est en France. Où est la liberté ? » Les deux assurent ne plus se rappeler comment elles ont eu connaissance de cette « formation ». Elles sont « juste intéressées par la bioéthique » et préfèrent ne pas donner leur avis sur l’avortement et l’euthanasie.
« On choisit d’être offensives »
Pour Jacqueline, une participante du rassemblement féministe, « c’est eux, les catholiques réactionnaires, qui interdisent, et pas les féministes. C’est eux qui se mêlent de la vie des autres, qui militent contre nos droits ». Elle ajoute :
« Le droit de mourir si on le souhaite, le droit d’avorter, ce sont des droits humains fondamentaux. Se battre contre ça, ce n’est pas de la liberté d’expression, c’est une offensive réactionnaire dangereuse pour une partie de la population. En ce moment, les idées d’extrême-droite progressent. On ne peut plus être sur la défensive sur ces sujets, au contraire, on choisit d’être offensives face à ce phénomène. »
À l’intérieur, Alliance vita 67 entend diffuser, comme dans d’autres villes en France, une conférence en visio. Anne-Charlotte Rimaud, fervente opposante au mariage homosexuel et présidente de l’association, doit introduire « l’université de la vie », le cycle de formation en bioéthique. Tugdual Derville, l’une des figures de la « Manif pour tous », mouvement d’opposition au mariage homosexuel, doit prendre la parole au sujet de l’euthanasie, qu’il combat également. « L’université de la vie » doit avoir lieu quatre lundis d’affilée. Le 16 janvier, Caroline Roux, opposée à l’allongement du délai pour avorter, est au programme.
« Une association comme ça ne devrait même plus exister »
Christelle Wieder, adjointe à la maire de Strasbourg en charge des droits des femmes, soutient la mobilisation : « Il y a eu récemment une conférence contre l’avortement au Parlement européen. Or, nous sommes une ville féministe. Nous ne pouvons admettre que ce mouvement soit aussi décomplexé, se sente autant en confiance. » À 20h45, une quinzaine de personnes qui souhaitaient assister à l’événement sont regroupées de l’autre côté de la rue. Certaines ont appelé la police.
Un homme tente de forcer le passage, ce qui donne lieu à une petite altercation. Il s’insurge ensuite de s’être fait « voler son béret ». Une première voiture de la police nationale arrive aux alentours de 21h et deux agents se postent à 20 mètres de la porte. Estelle, du planning familial, participe pour la première fois à une action de ce type : « Une association comme ça, qui milite contre les droits des autres, ne devrait même plus exister. Ça me donne envie de m’investir à fond. »
La police intervient un peu avant 22h
La pluie tombe sur le pavé. Rien ne se passe pendant de longues minutes. Petit à petit, des véhicules des forces de l’ordre arrivent. La plupart de ceux qui voulaient participer à la conférence leur demandent d’intervenir pour qu’ils dégagent le passage. Les policiers attendent les consignes. Vers 21h45, ils s’avancent et demandent aux militantes de s’écarter.
Sans réelle sommation, une dizaine de policiers interviennent en tirant les activistes et rencontrent peu de résistance. Des manifestantes tentent de rester sur place quelques secondes et se retirent. « On ne veut pas prendre le risque de se retrouver en garde à vue pour rien », lance une militante.
La porte du Munsterhof est désormais protégée par les policiers. Six ou sept personnes entrent dans le foyer paroissial à 21h50. Les manifestantes, dont les rangs se sont amoindris au cours de la soirée entonnent un dernier chant (« Derrière la police, les fascistes ! ») avant de se disperser. Un policier glisse : « Salut les gauchiasses ! », ce qui provoque de l’agacement chez les militantes. Elles considèrent que la mobilisation est réussie. « Pour une action organisée aussi rapidement, il y avait du monde et leur conférence doit être quasiment finie », estime Jacqueline. Un peu après 22h, les forces de l’ordre quittent les lieux. Seul un sticker « révolte féministe » reste sur la plaque du Munsterhof.
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