Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Du Slam à l’Islam, qu’Allah bénisse la France, Strasbourg et le Neuhof !

Qu’Allah bénisse la France a été projeté début novembre à L’UGC Ciné Cité de Strasbourg en avant-première. Naissance d’un réalisateur sur les lieux de son enfance, rencontre avec une salle comble et retrouvailles avec la cité du Neuhof dans l’affection et la complicité. Pour cette projection très particulière aucun mur n’a été érigé entre le quartier de la banlieue strasbourgeoise et Abd al Malik, ni entre le passé d’apprenti-délinquant du jeune Régis et son présent de cinéaste virtuose.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89 Strasbourg, abonnez-vous.


Une histoire du Neuhof et de toutes les cités de France (Photo Ad Vitam)

La salle 20 de l’UGC vibre dans une attente fébrile ce 3 novembre 2014. Les réservations sont bouclées depuis longtemps. Tout le monde attend Abd al Malik pour la sortie de son premier film adapté de son propre roman autobiographique.

Les fans de sa musique, les familiers de ses écrits, ceux qui le découvriront ce soir mais surtout tous ceux qui le connaissent personnellement depuis le temps où il habitait le Neuhof ; tous sont présents, impatients de découvrir l’image qu’il a donné de cette cité qui fait si souvent parler d’elle…

Une légende à la fois singulière et universelle sur l’adolescence (Phot Ad Vitam)

Si ce soir le quartier est à l’honneur, ce n’est pas pour annoncer que le record des voitures brûlées à la Saint-Sylvestre a été dépassé. Dans ce long-métrage très attendu, Marc Zinga incarne Abd al Malik, mais c’est le Neuhof, la cité «chaude» de Strasbourg, qui tient le premier rôle.  Ce scénario, qui retrace le destin d’un jeune congolais né en France, est avant tout un hommage et un signe de reconnaissance à l’égard de ces lieux particuliers. Mais ce témoignage émouvant est aussi l’histoire de toutes les cités, et d’une multitude de quartiers français.

Quant à la légende d’Abd al Malik, elle aspire à raconter l’aventure quotidienne de tous les adolescents qui se cherchent dans les difficultés d’un monde sans pitié où la problématique de l’identité côtoie celle de la pauvreté et de la délinquance. Sous toutes les formes possibles, de façon implicite ou explicite, le film interroge aussi le rôle de la famille et la place que tiennent  l’amour et l’amitié dans ces existences en quête d’indépendance.

Un film très inspiré

Le film démarre avec des images saturées de sons qui nous plongent directement dans l’ambiance très électrique de tout son déroulement. On est surpris de le découvrir en noir et blanc. La Haine version 2.0 ? Abd al Malik expliquera que sa mise en scène très singulière de la cité est aussi un hommage au cinéma. Il a appris de Mathieu Kassovitz évidemment, mais aussi d’autres géants du 7e art auprès desquels il a nourri sa passion et puisé de l’inspiration : Marcel Carné, Visconti ou Eric Rochant.

La bande annonce

La douceur de la voix off qui retrace les tribulations de la vie intérieure du héros, alterne avec les cris et les injures de la cité. Les immeubles du quartier apparaissent à l’écran, magnifiquement esthétisés par une caméra qui fait du Neuhof une citadelle imprenable dont les murs sont à franchir dans les deux sens. Les préjugés et les exclusions ne viendront pas à bout de cette réalité qui effraie. Le cinéaste traverse l’intimité de ces gladiateurs des temps modernes par des séquences qui disent leurs craintes, leurs émotions et toutes leurs questions existentielles. Abd al Malik raconte avec une grande pudeur et de manière le plus souvent elliptique la façon dont la cité peut engloutir une jeunesse désœuvrée qui flirte avec l’argent facile, la drogue et même le crime.

La culture et la musique, planche de salut de l’adolescence

À la vue des murs de la citadelle, l’émotion est palpable dans la salle : les rues et les entrées d’immeubles, le bitume sur lequel on traîne ses baskets, sa solitude, ses rêves et ses espoirs secrets, tout est là. Mais à travers l’objectif de celui qui est né au Neuhof, la cité rayonne et se dresse fière, majestueuse, imprenable. Strasbourg défile également par petits bouts. Le centre ville, la Cathédrale, le Lycée Fustel de Coulanges, le Palais Universitaire, la Petite France, les pelouses du Parc de l’Orangerie.

Tous les recoins de la ville participent de ce dialogue qui raconte comment la vie de Régis le romantique-apprenti-caillera est devenue celle d’Abd al Malik. Les lieux disent les tournants successifs de cet adolescent que la réussite scolaire ouvre à la culture, à la philosophie, et à un avenir qui lui donnera la possibilité de dépasser les frontières de la banlieue.

La langue française pour composer de la poésie et de la liberté (Photo Ad Vitam)

La clé des champs sera pourtant celle de la musique, et notamment grâce au succès officiel de sa formation de rap. Le concert à La Laiterie dont on aperçoit quelques images en introduction du film, sera le véritable détonateur de l’histoire de Régis. Mais le Slam et tous les textes de cette poésie moderne qui disent la souffrance et la solitude du « soldat de plomb » qui se bat contre la misère de la cité, ne suffisent pas.

Allah a-t-il sa place en France ?

Entre temps, Régis dont la famille est catholique a croisé l’Islam. Il s’appelle désormais Abd Al Malik. La nourriture spirituelle du jeune homme en quête d’identité et d’une voie qui lui permettrait de se servir de l’énergie du quartier pour en décoller, devient progressivement celle du Soufisme. À l’instar de cette branche très universaliste de l’Islam, Abd al Malik parlera de décloisonnement des différentes populations françaises, de créer du lien et de faire entendre un langage commun à tous dans le respect et la tolérance de chacun.

Ses mots rassurants sur le devenir d’une religion qui effraie parfois les Français, martèlent l’assemblée. À chacune de ses interventions, Régis le congolais strasbourgeois du Neuhof alias Abd al Malik, est applaudi à tout rompre.

Respect de tolérance dans une France bénie qui garde espoir (Photo Ad Vitam)

La France est un pays merveilleux, riche de ses différences et de toute une population qu’il est désormais criminel et ridicule de laisser à la périphérie. Si certains d’entre eux sont en quête de spiritualité et de croyance, ce n’est pas pour se couper du destin national, mais pour explorer une voie de salut qui les rapproche de tous les Français. Qu’Allah bénisse la France ! Même si Abd al Malik reconnaît qu’il vaut mieux avoir affaire à l’Islam qu’aux musulmans, il s’agit de dédramatiser un rapport devenu pathologique, fondé sur les préjugés et nourri de toutes les phobies.

La mosquée du Neuhof apparait en gros plan comme un point de repère, on verra même l’aéroport de Strasbourg-Entzheim d’où Abd al Malik décolle vers le Maroc pour rencontrer les maîtres du Soufisme, cet Islam qui se veut universel et pacifiste.

La vision engagée d’un homme de l’intérieur

C’est de l’intérieur de la vie de la cité et de la bataille des rappeurs, ainsi que de sa foi en un Islam modéré et pacificateur, qu’Abd al Malik construit son scénario à la manière dont il a reconstruit son moi brisé par les traumatismes de la cité. C’est à partir de la perception interne de l’écartèlement de l’individu et de sa difficulté à exister hors d’un système depuis trop longtemps en conflit avec la loi, que le réalisateur envisage l’émergence d’un sujet qui se défait de ses stigmates.

Après la scène extrêmement violente de la descente de police, ce sont les murs de la maison d’arrêt de l’Elsau qui prennent le relais pour raconter les chemins de la liberté. La promenade des mineurs derrière les barbelés apparaît à l’écran sous la musique, mais sans commentaire. La boucle est bouclée, Abd al Malik a fait le tour de son parcours initiatique. Il va pouvoir accepter -et même vouloir- l’idée d’être aimé et de se faire enfermer derrière les barreaux de l’amour.

Croire en l’amour parce qu’on croit en soi et en son pays (Photo Ad Vitam)

C’est sur les mots du représentant de la République que le rideau tombe. Abd al Malik et son épouse se sont juré fidélité comme ils ont promis de ne jamais trahir cette France qui les a vu grandir en leur donnant la possibilité de vivre comme ils l’entendent. «On ne doit pas se sentir étranger dans son pays et notre pays c’est la France» déclare Nawel dont notre prophète rappeur-franco-musulman est amoureux. C’est face aux moulures de la mairie de Strasbourg que le jeune couple dit « oui » à l’amour et à la France.

Si chacun le veut vraiment, demain sera meilleur pour tous les Français. Tel est le message d’Abd al Malik à tous les fans, les voisins et connaissances du quartier venus l’applaudir à l’UGC. Il les embrassera un par un, et se prendra au jeu d’une très longue séance de photo où chacun emportera avec lui le souvenir de cette soirée inoubliable.

Sortie en salles le 10 décembre 2014


#Abd Al Malik

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles

Autres mots-clés :

Partager
Plus d'options
Quitter la version mobile