On en trouve partout en France, dans toutes les zones d’eau douce qu’il peut atteindre. En Alsace, dans le Rhin, dans l’Ill mais aussi dans les gravières comme le Lac Achard ou le Baggersee à Strasbourg, le silure a établi des populations viables.
Sa particularité est qu’il est l’un des plus gros poissons que l’on trouve dans les eaux douces européennes. S’il nage dans de bonnes conditions, il peut vivre jusqu’à 60 ans environ. Il grandit alors tout au long de sa vie et peut atteindre 2,50 mètres, voir plus.
Pierre Lettler, de la Fédération de pêche du Bas-Rhin, explique que le silure est probablement présent en Alsace depuis plus longtemps que certains le prétendent :
« Beaucoup disent que c’est une espèce colonisatrice, mais des fossiles de silures qui datent de plusieurs millions d’années ont été trouvés dans les environs, ce qui prouve qu’il était déjà présent il y a très longtemps. Il aurait disparu pendant la dernière ère glaciaire qui s’est terminée il y a 10 000 ans. Mais certains pensent au contraire qu’il n’a jamais complètement disparu du Rhin. Ce sont des populations qui viennent du Danube, en Europe de l’Est, qui lui auraient permis d’atteindre à nouveau l’Europe de l’Ouest. »
La peur du silure…
Le silure fait peur. Victime d’une réputation héritée des mythes populaires, il est vu dans l’imaginaire commun comme un poisson dangereux et nuisible pour l’environnement. Les chercheurs Jean-Marie Bodt, Frédéric Santoul et Muriel Lefebvre ont étudié le traitement médiatique du silure en 2017, avec des statistiques sur les termes employés et les manières d’évoquer ce poisson dans la presse.
Il est qualifié de « requin d’eau douce”, de « (notre) monstre du Loch Ness », de « Goliath du fleuve », de « baleine des eaux douces », de « monstre sanguinaire », de « monstre des rivières », de « nouveau colosse de nos cours d’eau », ou encore de « monstre dévoreur d’enfants ou de jeunes filles ». Ces manières de le nommer, très péjoratives, sont surtout marquées par une dimension mythique.
Celle-ci est exacerbée par l’utilisation d’un vocabulaire propice : « légendes, rumeurs, soupçons, bruits qui courent à son sujet, » explique l’étude. Des histoires sensationnelles se racontent à son sujet. Le silure aurait attaqué des baigneurs, mangé des chiens, des enfants et même des veaux entiers. Dans le Lot, un pêcheur muni d’un écho-sondeur en aurait repéré un de quatre mètres d’après le journal Sud-Ouest en mai 2004. Le 25 octobre 2005, on pouvait lire dans un article du Figaro :
« Il est gros, il est laid, il a colonisé les cinq grands fleuves de France au cours de ces vingt-cinq dernières années et fait fantasmer les pêcheurs de carnassiers. »
Le poisson star… des pêcheurs
Les derniers articles à son sujet qui ont paru dans les Dernières Nouvelles d’Alsace évoquaient en octobre 2018, la pêche au Silure, en septembre 2017, le record du plus gros silure pêché, ou en juin 2014, un silure de 2 mètres pêché à Saverne. Toujours cette dimension mythique et la mise en avant des tailles immenses que ce poisson peut atteindre. On essaye de le pêcher tel le cachalot Moby Dick.
Nicolas Thierry, président de l’association Silurus glanis, qui promeut la pêche sportive de cet animal aquatique et sa préservation, regrette que le silure soit « coupable d’un délit de sale gueule ». Il comprend les craintes des promeneurs et des baigneurs mais aimerait que la société change de regard sur cette espèce.
Pierre Lettler quant à lui, insiste sur le fait que le silure a la réputation (à tort) d’être une espèce invasive ou une menace colonisatrice. Il déséquilibrerait les écosystèmes en exerçant une trop forte pression sur d’autres espèces. Il a même été question de le classer dans la catégorie des « nuisibles », ce qui aurait poussé à le pêcher plus intensément. Mais pour le salarié de la Fédération de la pêche du Bas-Rhin, cette mesure est loin d’être nécessaire.
Un régulateur important
Mais d’après une étude publiée par Scientific Reports en 2017, le silure se nourrit de poissons, y compris d’autres prédateurs comme des sandres ou des brochets. Il s’alimente aussi de mollusques, d’oiseaux tels que des canards, des cormorans ou des cygnes, et même de mammifères comme des jeunes ragondins.
Doté de grandes capacités d’apprentissage, un silure peut adapter son alimentation à la situation, ce qui lui permet de coloniser de nombreux écosystèmes. D’après Mathieu Guillaume, qui a réalisé une thèse sur cet animal, sa présence dépend très peu des ressources alimentaires, car il trouve facilement de la nourriture. En revanche, son alimentation variée limite les dégâts qu’il cause sur chaque espèce.
Pierre Lettler explique qu’il peut même jouer un rôle important pour l’écosystème :
« Les petits silures se nourrissent de coquillages mais aussi notamment de l’écrevisse américaine qui est une espèce invasive. Souvent, il permet de réguler les populations d’autres espèces en exerçant sa pression de prédation. Il se focalise sur ce qui est le plus facile à trouver et donc souvent, sur ce qui est le plus abondant. Ainsi, les espèces qui prolifèrent le plus sont régulées par ce poisson. En plus, les grands silures pratiquent le cannibalisme en s’attaquant aux plus petits… Ça, c’est un mécanisme d’auto-régulation. »
Les dernières études montrent que la sur-pêche du silure pourrait avoir un impact négatif sur les écosystèmes en général puisque ce prédateur y joue un rôle de régulateur. Le classement en « espèce susceptible de provoquer des déséquilibres biologiques » n’est donc pas pertinent d’après la Fédération de la Pêche en France.
Pas de risque pour l’être humain
Ce qui est sûr, c’est que le silure ne se nourrit pas d’êtres humains, il n’a donc aucune raison de les attaquer spontanément. Des incidents sans gravité ont déjà été répertoriés, mais à faible fréquence. Le dernier date d’il y a deux ans : un plongeur a été mordu au Lac Achard, sur les rives d’Ostwald à côté Strasbourg. Le 15 mars 2013, dans le Doubs, une adolescente était attaquée par un silure et s’en sortait avec une égratignure.
D’après Sébastien François, guide de pêche qui étudie cette espèce depuis 25 ans, ce type de situation est extrêmement rare. Le silure peut devenir agressif à un moment dans l’année, lors de la période de reproduction de mai à juillet, ce qui coïncide toujours avec les incidents. À cette période, il fabrique un nid et le protège des prédateurs. Il convient donc d’éviter de se rapprocher excessivement de celui-ci, sous peine de provoquer logiquement une réaction de défense du silure et de risquer, au pire, une grosse égratignure.
Mais s’il ne se sent pas menacé, ce poisson n’a aucune raison d’attaquer les baigneurs. Il passe son temps plutôt en profondeur, proche du fond et d’autres silures. C’est peut être aux humains de réinterroger la légitimité de leur présence dans certains écosystèmes.
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