Elle jouait alors le rôle d’une jeune fille ambitieuse et perverse qui mena au suicide une femme plus mûre à qui tout réussissait en apparence : Helena. Alors qu’elle apprend dans le train la mort subite de l’auteur de cette pièce -son premier metteur en scène- on lui propose de remonter sur les planches, mais il s’agit cette fois de cheminer sur l’autre versant du paysage, dans le rôle d’Helena…
Une mise en abîme pour affronter le temps qui passe
Quelques rides plus tard, et avec quelques kilos en plus, l’actrice adulée désormais sur le déclin, devra donc composer avec une rivale, insolente de jeunesse et de certitudes, celle qui a sa place dans la vie et sur les tabloïds, comme à la scène.
Vous l’avez compris, Sils Maria est une mise en abîme d’un cinéma qui parle de mise en scène et de rôles à interpréter avec des acteurs qui sont dans la situation de ce que décrit ce scénario à trois niveaux de lecture… pas assez clair ? Je reprends. Sils Maria joue d’une façon qui se veut subtile, mais au final très académique et peu nuancée, avec l’identification du rôle que l’actrice devra jouer au théâtre, au rôle qu’elle joue dans le film quand elle s’y prépare avec son assistante.
Les deux personnages se confondant certainement à la posture de l’actrice Juliette Binoche dans la vie, la vraie, celle qui a lieu derrière les écrans et quand le rideau tombe, mais qui n’est pourtant jamais dénuée de sa dimension de représentation, réelle ou imaginaire.
La bande-annonce
On sent une Juliette Binoche douloureuse dans ce rôle en 3D où elle apparait plus que parfaite, mais peut-être parce que l’interprétation principale dont il est question est celle de sa propre carrière…. directement ? Pas tant que ça, et certainement de manière moins frontale que prévu. En effet, Juliette Binoche est-elle sur le déclin ? Je ne le crois pas, je l’ai encore admirée dans ce rôle extraordinaire où elle transcende l’idée de même de cinéma quand elle incarne Camille Claudel de Bruno Dumont (2013). Mais je note cependant qu’elle a accepté ce rôle de Sils Maria où elle incarne une actrice de 38 ans (si j’ai bien compté), alors qu’elle vient d’en avoir cinquante… What else ?
Le combat effréné des actrices face à celui qui été désigné comme le pire ennemi de leurs carrières, à savoir le temps qui passe, ne prend pas toujours l’allure de ce botox qui fabrique des bouches de canard et des joues prêtes à exploser. Tout subterfuge est bon à prendre, et le choix d’Olivier Assayas qui fait de Binoche une femme de trente-huit ans alors qu’elle vient d’en avoir cinquante en dit plus sur le propos de son film que tous les déplacements et les jeux de reflets un peu trop appuyés qu’il utilise pour le mettre en valeur.
Une assistante effrontée : premier rôle du film ? Peut-être bien…
Donc, tout se déplace à l’envi, dans le sens qui va de la réalité au cinéma, comme dans l’autre, en passant par la scène du théâtre ou la répétition du texte. Là où le scénario commence enfin à devenir subtil, est ce moment où le monde du show biz est envisagé comme un cirque à partir du regard de la fameuse assistante de l’actrice au passé glorieux… Étouffée par les caprices, les humeurs et les contradictions permanentes de celle dont elle est devenue l’esclave, l’ombre active de Maria se rebiffe. Le cœur du film est en définitive « la révolte » de cette assistante, l’émergence de ce second rôle en premier plan, personnage surprenant et intriguant, parfaitement jouée par Kristen Stewart.
L’assistante est omni-tâches. Elle est le notebook, la psychologue, le répondeur téléphonique, la page internet à consulter et l’amie-confidente. Elle doit être à la disposition de la diva, l’admirer, n’aimer qu’elle, ne pas vivre d’autre sentiment que celui qui entretient le souci permanent de son bien-être. Elle a surtout l’obligation implicite de se maintenir en retrait dans ses commentaires et modérée dans ses avis. C’est pourtant elle qui pousse Maria à accepter ce rôle d’Helena, alors qu’elle a tant de mal à supporter que c’est la place qui lui correspond désormais. C’est elle aussi qui donnera la réplique à Maria durant ses répétitions, alors que cette dernière n’a pas encore affronté sa véritable rivale.
Mais ce n’est pas tout, la fameuse assistante perpétuellement dans l’ombre fait basculer les dernières certitudes de l’actrice qui s’attache de toutes ses forces à son narcissisme en souffrance, en affirmant haut et fort que la jeune star montante qui sera sur scène avec Maria, est actuellement son actrice préférée. Tout est dit, et le drame que doit affronter Maria se joue déjà bien amont de ce qui se jouera sur les planches. La véritable rivale n’est pas celle que l’on croit. (L’insolente qui n’a pas oublié d’être opportuniste, lui fera d’ailleurs le cadeau hypocrite de grandes déclarations admiratives lors de leur première rencontre.) La rivale qui disparaitra du paysage immaculé de Maria aussitôt que sa mission sera accomplie, est bien davantage celle qui la connait depuis toujours, qui démasque ses moindres faux pas, qui manipule ses satisfactions et ses déceptions, qui joue de son obsession quand à ce qui se dit sur Internet et dans la Presse People.
Un film idéal pour les critiques de cinéma
Sils Maria est également le théâtre d’une ironie permanente sur la compulsivité des actrices à vouloir revenir sur leurs rôles, leurs films, les partenaires avec qui elles ont joué et ce qui se passa entre eux lors des tournages. Olivier Assayas aurait-il assez d’humour pour se moquer de lui-même et du premier rôle qu’il donna à Juliette Binoche, ou sombre t-il lui aussi dans ce narcissisme inévitable qui l’oblige à se poser comme trame implicite de son scénario ? Je vous laisse choisir, même si j’ai évidemment mon avis sur la question.
En définitive, le film est fort, rythmé, les paysages dialoguent avec les personnages, le calme extérieur et grandiose de la montagne alterne avec les orages qui explosent à l’intérieur, et les acteurs tous impeccables font parler le scénario à la perfection. Le tout s’imbrique dans une symbiose épurée mais sophistiquée, qui ne laisse aucun moment de répit au spectateur qui reste en tension malgré l’évidence du propos. La mise en abîme et le jeu de reflets donne à penser sur la vacuité du monde du cinéma, et de façon plus générale sur l’indigence tous ceux qui font de leur vie une représentation permanente.
Que veut le peuple (pardon, le réalisateur), une Palme d’Or ? Et bien non ! Toute cette virtuosité n’aura apparemment pas suffit, la simplicité de la montagne enneigée d’Anatolie de Winter Sleep aura supplanté les Alpes suisses (très snob) de Sils Maria, mais il s’en fallait de peu.
À voir en ce moment au Star Saint-Exupéry et à l’UGC Ciné-Cité.
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