Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

« Si vous n’avez pas de question, c’est que je suis un guide parfait… »

Comment Strasbourg se présente aux touristes – 3. Depuis 18 mois, Gabriel Wetzer propose des « Free tours » (tours gratuits) de Strasbourg… rémunérés au pourboire. Tous les jours s’agglomèrent autour de lui entre 10 et 30 touristes pour près de deux heures de visite au pas de charge, mais avec un très grand sourire.

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Gabriel Wetzer, guide des Free tours strasbourgeois – Ici, place de la République (Photo MM / Rue89 Strasbourg)

Jeans usés, tee-shirt siglé défraichi, tatouages aux bras et barbe fournie… Gabriel Wetzer, la trentaine, n’a rien du guide propre sur lui, armé d’un parapluie ou d’un drapeau, indiqué par l’office de tourisme. Et pour cause, Gabriel est un pirate de la profession : depuis 18 mois, il guide quasi-quotidiennement sans être référencé nul part, excepté sur internet, où l’on trouve calendrier, types de tours et présentation de ses prestations sur son site Happy Strasbourg. Il n’a pas non plus de carte officielle de guide-conférencier et ne peut, de ce fait, rentrer ni dans les églises, ni dans les musées de la ville.

5 ou 10€ glissés dans la casquette

Et pourtant, à l’issue de près de deux heures de visite dans le secteur Cathédrale-République-Kléber, la dizaine de touristes rassemblés ce jour-là autour de Gabriel semble enchantée et, avec reconnaissance et non sans une pointe de gêne pour certains, glisse un billet de 5 ou 10€ dans la casquette du jeune homme, déposée par terre à l’arrivée.

Tout commence à 14h30 – pétantes – au milieu de la place de la Cathédrale, où le guide est repérable par sa pancarte montée sur un gros manche à balais en bois. Les participants, quatre couples de Chinois, Allemands, Hollandais et Latino-Américains âgés d’environ 25-30 ans s’agrègent rapidement autour de lui, ponctuels.

Personne n’a réservé la visite, mais la majorité a consulté les horaires de Gabriel sur Facebook ou sur son site internet. Ce jour-là, un vendredi ensoleillé de la fin juillet, le guide propose son « happy original tour », en anglais, « comme d’habitude ». Les tours en français se font sur demande, nous indique-t-il, car rares sont les touristes maîtrisant la langue de Molière.

« D’abord, vous avez un SUPER tour, ensuite… »

Rapidement, le principe est posé, le tour est gratuit mais les pourboires sont encouragés. Sur son site, Grabriel l’explique d’ailleurs clairement :

« In case you liked the tour, you are encouraged to tip your guide any affordable sum for you. This is because we are convinced that you don´t have to prepay for a service that you don´t know how it is. First you just get an AWESOME tour, and then, if you are « happy », you will be more than welcome to tip ! »

(Traduction) « Si vous aimez le tour, vous êtes encouragés à donner un pourboire du montant que vous souhaitez à votre guide. Nous privilégions ce fonctionnement, car nous sommes convaincus que vous n’avez pas à payer un service que vous ne connaissez pas encore. D’abord vous avez votre SUPER tour, et ensuite, si vous êtes « contents », vous serez on ne peut plus les bienvenus à laisser un pourboire ! »

Questions attendues, réponses du tac-au-tac

Après cette courte introduction, la visite commence par quelques anecdotes sur le fronton de la cathédrale, telle celle sur les vierges, le « bon mari » barbu (« comme moi », s’amuse Gabriel) et le séducteur, reconnaissable aux serpents qui lui grimpent dans le dos… Sollicitant les questions de ses auditeurs, le guide répond du tac-au-tac, notamment sur celle, très attendue, de la deuxième tour manquante.

Très vite, la troupe se met à cavaler pour ne pas semer son guide, longeant le mur nord de la cathédrale, descendant la rue des Frères et celle des Ecrivains, direction la place du Marché-Gayot. Là, Gabriel explique le concept des places spécialisées à Strasbourg, précisant que celle-là était réservée aux… poulets. Questionné sur la nature des pavés, il précise leur provenance (les berges du Rhin) et glisse : « Pas très pratiques pour rouler à vélo et marcher en talons hauts ! » Et s’amuse encore : « Vous voyez cette maison à quatre étages ? Elle était mise à disposition des nains – vous savez ce que veut dire « dwarfs » ? – par les évêques de Strasbourg ! »

Place de la « french » République, construite par les « Germans »

Place Saint-Etienne, le guide sert son petit topo sur les maisons à colombages, biens « mobiliers » qui, intégrés aux dots des jeunes filles, pouvaient être déménagées et reconstruites ailleurs ; ou la légende du « meiselocker » (le charmeur de mésanges) et sa blague afférente sur les « chicks » (filles) que les jeunes garçons Strasbourgeois chassent désormais à la place des « chickadees » (mésanges à tête noire) d’antan.

Pour permettre aux touristes de digérer l’histoire des relations franco-allemandes à Strasbourg, Gabriel fait asseoir son auditoire (Photo MM / Rue89 Strasbourg)

La troupe court ensuite jusqu’à la place de la République, après un petit arrêt devant la Poste centrale et son architecture allemande, puis française, en introduction du propos sur les relations franco-allemandes, traitées avec beaucoup d’humour et de solides connaissances historiques. « Parce que ça va être assez long, je vous propose de vous asseoir », annonce-t-il, une fois parvenu sur la place de la (« french ») République.

A gros traits, l’âme alsacienne et ses ressorts

Là, Gabriel évoque Charlemagne, Strasbourg ville libre d’empire, les bombardements de 1870, les deux guerres mondiales et la réconciliation. Il émaille son récit de précisions sur tel arbre ou telle statue, de blagues un brin chauvine, tantôt pro-allemandes, tantôt franchouillardes. Son auditoire rit, questionne, s’extasie. Il fait mouche. Pour dépeindre à gros traits l’âme alsacienne et ses ressorts, le « free » guide souligne les changements de langue officielle, de l’allemand au français, du français à l’allemand et rebelote. Il raconte les guerres opposant hier des frères et, en 2017, le tram vers Kehl qui reliera Strasbourg à Kehl, nouveau symbole de l’amitié franco-allemande.

« Un aqueduc pour symboliser la fondation de Strasbourg par les Romains… même s’il n’y a jamais eu d’aqueduc à Strasbourg », s’amuse Gabriel, « free » guide (Photo MM / Rue89 Strasbourg)

Après un nouvel arrêt devant la fontaine de Janus, inaugurée en 1988 à l’occasion des 2000 ans de la fondation d’Argentoratum, Strasbourg au temps des Romains, Gabriel fait une pause devant les canons du Mess des officiers, place Broglie. Là, outre quelques mots sur les fonderies royales, la défaite d’Henri II et l’annexion de la ville par Louis XIV, le guide rappelle :

« Vous pouvez me poser toutes vos questions ! Cela dit, si vous ne me posez aucune question, c’est que je suis un guide parfait ! Et si je suis un guide parfait, il me faut un pourboire parfait ! Ah, voilà, une question… »

Leclerc, Kléber, Gutenberg : les figures incontournables

Leclerc et Koufra, la campagne d’Egypte, Napoléon et le général Kléber… La discussion sur les mérites et figures des armées de et à Strasbourg se poursuit place Kléber, où Gabriel ne manque pas d’évoquer la création de la Marseillaise (et de l’entonner), ce chant de guerre révolutionnaire composée pour les troupes de l’armée du Rhin.

Place Gutenberg, dernier arrêt avant la fin du tour, c’est Gutenberg – « sur la statue, il ressemble à un monstre, mais ce n’est pas un monstre » – et sa célèbre invention qui sont au centre du commentaire. Parce qu’il identifie un couple de Chinois et un couple d’Allemand dans la petite assistance, Gabriel joue de la supposée rivalité entre Chine, France et Allemagne pour la paternité de l’imprimerie. Donnant du grain à moudre à tous, tout en réussissant l’exploit de ne vexer personne, le guide met tout le monde d’accord :

« Les Chinois ont inventé une technique bien avant les Européens, mais l’idée de l’imprimerie actuelle a été imaginée à Strasbourg par Gutenberg, où il a imprimé la première Bible. Et c’est à Mayence qu’a été imprimée la première série de livres… Et puis Gutenberg était allemand, tout comme Strasbourg à l’époque. Donc l’imprimerie est une invention allemande et strasbourgeoise ! Yeah ! »

De retour devant la Boutique culture place de la Cathédrale, Gabriel pose sa pancarte par terre, raconte une dernière histoire à propos du « büchmesser » ou pilier « mesureur de ventre » au coin de l’ancienne pharmacie du Cerf et lance dans un sourire : « Any other question ? »


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