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Sexisme à l’Université de Strasbourg : deux ans après, une charte et encore beaucoup de travail

Deux ans après la publication des propos sexistes sur le blog Paye Ta Fac, l’Université de Strasbourg et Sciences-Po ont réagi avec… une charte et une cellule d’écoute. Des gestes insuffisants et inadaptés, d’après des étudiantes qui dénoncent une persistance des propos et des violences sexistes.

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« Si c’est pas oui, c’est non » rappellent des affiches avant un week-end d’intégration de Sciences-Po Strasbourg. Mais certains ont cru bon d’ajouter « ou c’est peut-être. » Près de deux ans après les graves témoignages de discriminations et de propos sexistes tenus à l’Université de Strasbourg et particulièrement à Sciences-Po, il n’est toujours pas évident de rappeler la simple notion du consentement… Un des professeurs, enseignant à Sciences-Po, dont des propos avaient été relayés sur le dit-blog, a été maintenu en poste après un avertissement de la direction. Il avait alors lu une lettre d’excuse en début de chacun de ses cours.

Pourtant, la direction de l’Institut d’Études Politiques (IEP) assure avoir réagi et met en avant ses deux mesures : une charte anti-discrimination, rédigée en écriture inclusive, et l’installation d’une déléguée à la lutte contre les discriminations à partir de la rentrée 2017. Cette magistrate indépendante de la direction est à l’écoute des étudiants, et peut mener une enquête approfondie ainsi que demander des comptes à la direction. Elle a été saisie 5 fois au cours de l’année 2017-2018.

Le Directeur de l’IEP, Gabriel Eckert en est très fier :

« C’est un outil totalement inédit dans le monde de la recherche en France, car elle entend lutter contre toutes les formes de discriminations : le sexisme bien sûr, mais aussi les discriminations sociales, religieuses… Le bilan qu’on en fait, pour l’instant, c’est que cela contribue à renforcer la pédagogie et à faire un travail de sensibilisation aux stéréotypes de genre. On enseigne à nos étudiants des valeurs et on se doit d’être exemplaire sur ces valeurs. »

En outre, l’IEP propose désormais aux promotions de première année une demi-journée de formation sur les discriminations, avec la présentation de la déléguée, une intervention d’un enseignant de la faculté des sciences sociales et une spécialiste des questions de cyber-harcèlement.

Ambiance macho dès que possible

Mais pour le Collectif Copines, association féministe d’étudiantes et étudiants, ces actions sont loin d’être à la mesure des enjeux. Les étudiantes racontent que comme d’autres écoles, l’IEP est particulièrement touché par une ambiance macho, qui se révèle lors des nombreuses soirées ou lors du week-end d’intégration (WEI) : on y chante, on y fait des concours de « chope » (celui qui a embrassé le plus de camarades en un week-end), on y élit Miss et Mister WEI… Un étudiant raconte qu’en 2017, les candidates devaient lécher le nombril des garçons, qui devaient, eux, s’illustrer par des pompes.

Le WEI 2018 a été plus « soft ». Il y a quelques années, c’était en caleçon et sur le bureau d’un amphi que les garçons étaient poussés à s’exposer au vote de leurs camarades de promotion. Une période où était encore d’actualité la rubrique « Sciences Potins » dans le journal de l’IEP, qui relatait alors « qui avait chopé qui, » et d’autres rumeurs sur la vie sexuelle et amoureuse des étudiants.

Le critérium inter-IEP est aussi un événement durant lequel peuvent se dérouler des violences sexuelles. Il s’agit de quelques jours de compétition sportive enrobés de soirées, arrosés d’alcool et de chants pour le moins grivois. En 2017, une « safe-zone » y a été mise en place par la fédération organisatrice. Le Collectif Copines y a joint ses forces en 2018 pour l’édition strasbourgeoise. Le dispositif permet aux personnes qui le souhaitent d’y trouver du calme et une écoute en cas d’agression.

L’IEP de Strasbourg n’est pas épargné par le sexisme ambiant (Photo Wikimedia Commons / cc)

Où est la libération de la parole sur les violences sexuelles ?

Au-delà des propos sexistes, (qui est le seul domaine dans lequel la nouvelle déléguée peut agir), les étudiantes demandent une vraie politique autour des violences sexuelles, comme l’explique Barbara, ancienne porte-parole du Collectif Copines :

« La conférence annuelle est là avant tout pour dire que Sciences-Po fait des trucs “super”. Nous avions demandé que soient abordées les questions de consentement et de viols. On s’était proposé de le faire. On est dans une ère post « MeToo » et on n’est pas capable de faire une conférence sur le consentement ! »

Le directeur nuance en affirmant que le consentement est abordé dans les actions de l’IEP, qui avait notamment diffusé dans ses vidéos une animation expliquant le consentement avec la métaphore de la tasse de thé.

Pour le Collectif Copines, ce genre d’inscription est révélateur d’une culture du viol (Photo Collectif Copines)

Parler de la culture du viol

Pour Barbara, ce qui est en cause, ce sont les non-dits liés à une « culture du viol » :

« Des viols et violences sexuelles, il y en a chaque année, dans chaque promo, cela se sait plus ou moins. Des personnes sont venues se confier au collectif. Et cela a évidemment des conséquences sur l’ambiance de l’école : on sait souvent qui sont les agresseurs, on est en cours avec eux, en soirée avec eux… On devrait partir de ce constat pour avoir une vraie politique luttant contre la culture du viol, qui fait penser aux hommes que leurs agressions n’en sont pas. Il faut expliquer ce qu’est le consentement, que tout ce qui y déroge est un viol, aux hommes comme aux femmes qui ont souvent du mal à poser les mots sur ce qui leur arrive. »

Une déléguée sans pouvoir

Souvent, les victimes ne souhaitent pas porter plainte, et un flou juridique se pose alors : la charte n’est pas contraignante et ne traite pas des violences. De même pour la déléguée, comme le dénonce Barbara :

« J’ai demandé clairement à la déléguée : “si je me fais violer et que je ne veux pas porter plainte, mais que je ne veux plus voir mon agresseur sur les bancs de ma promo, que se passe-t-il ?” Elle m’avait dit qu’elle avait l’obligation de transmettre la situation au procureur de la République. La seule personne qui est donc mise à notre disposition est quelqu’un qui ne peut pas garder confidentiels les faits rapportés ! »

Ce flou juridique et le manque de sanction, certaines étudiantes de l’IEP l’ont éprouvé concrètement il y a quasiment deux ans, lors de faits de harcèlement et de cyberharcèlement. S’estimant victimes d’insultes et d’intimidations, des élèves avaient fait remonter les faits à la direction et à la déléguée. Elles racontent une prise en charge très lente… et inadaptée.

À l’époque, elles s’entendent dire que rien ne peut être fait sur le cyberharcèlement (pas assez « palpable ») d’un point de vue juridique au sein de l’université. Que cela n’est pas du ressort de la direction, qui ne peut agir que d’un point de vue scolaire, et que ce cyberharcèlement relève du domaine privé. Certaines racontent qu’elles auraient imaginé que la direction avait une certaine autorité et aurait pu faire des remontrances aux auteurs. Mais ce seront les victimes qui seront convoquées, individuellement… pour leur assurer qu’elles sont comprises et que ces comportements sont choquants, tout en leur rappelant que rien ne pouvait être fait.

Finalement, leur situation est transmise à l’Université, où seul le Président a le pouvoir d’engager une procédure en conseil de discipline. Et c’est seulement plusieurs mois après les faits, alors que les victimes sont parties en année Erasmus, qu’elles sont recontactées pour savoir si elles veulent poursuivre la procédure.

Ni écoutées, ni entendues

Pour les étudiantes, c’est décourageant, et décevant, comme le détaille l’une d’elle :

« J’attendais d’être écoutée et entendue et je n’ai été ni l’un ni l’autre. Le problème est qu’on a l’impression de devoir batailler et au final, d’avoir été menée en bateau. Il y a cette double violence, de ceux qui nous ont harcelées et de la direction. La charte ne sert à rien s’il n’y a pas de sanctions contre ceux qui la transgressent. »

Certaines parlent aussi d’un sentiment d’intouchabilité en voyant les harceleurs ne subir aucune conséquence, ce que Barbara résume en ces mots :

« Si on voulait qu’un viol soit sanctionné, il faudrait qu’il se passe dans les locaux de l’IEP. C’est comme l’histoire des étudiants qui avaient brûlé un drapeau LGBT à deux pas de l’institut. Il ne s’est rien passé, car ils étaient déjà en-dehors des locaux. »

Égalité murale (Photo Blandine Le Cain / FlickR / cc)

Pourtant, Gabriel Eckert assure que ces problématiques sont prises très au sérieux :

« Dans des cas graves comme des violences sexuelles, j’encourage à porter plainte. De notre côté, nous pouvons alors appuyer cette plainte et protéger la personne, en termes de soutien psychologique et d’organisation de la situation. Dans le cas où la personne ne souhaite pas porter plainte, elle peut venir vers nous, nous serons à l’écoute, comme pour toute difficulté. »

En termes de sanctions, la direction indique que des actions sont entreprises :

« Il y a eu des mesures collectives : j’ai suspendu pendant un an les activités d’une association qui avait engagé des actions s’apparentant au bizutage, pour qu’il soit bien compris que les rapports entre élèves doivent être des rapports de respect. Par ailleurs, dans des cas de harcèlement, si les faits sont précis et circonstanciés et relèvent de l’infraction pénale, je transmets à l’administration centrale de l’Université pour des conséquences disciplinaires. »

La réputation du diplôme passe avant

Mais pour Barbara, qui estime que « les gens sont en colère », le problème est structurel. Au-delà de l’inertie, elle suggère qu’il y a une volonté active de masquer les problèmes :

« L’IEP n’est féministe que quand cela sert sa communication. On met en place une référente pour dire qu’on est féministe, mais sans dire pourquoi on l’a mise, d’où ça vient. On ne parle pas de consentement, pour ne pas dire qu’il y a des viols. Le problème principal est qu’on ne peut pas nommer les choses. Il y a une dictature du silence, la direction nous dit “Attention, ça va entacher votre diplôme”. »

Elle dénonce ce qui est selon elle une obsession de l’image, empêchant de faire face aux vrais problèmes :

« Sciences-Po est géré comme une entreprise, et on sait que tout ce qu’on a à vendre, c’est une réputation. Il nous arrive des choses, mais pour garder ce qu’on a « acheté » (le diplôme), on doit se taire. »

Elle rappelle que pour recruter du monde, le collectif avait fait des affiches constituées de compilation de commentaires sexistes en-dessous d’une publication sur le groupe Facebook des élèves de l’IEP à propos des noms de promotion, très souvent masculins. Le collectif avait dû retirer les affiches, qui d’après la direction nuisait à l’image de Sciences Po Strasbourg.

Une « cellule d’écoute » sur le campus

Un peu plus loin sur le campus, les étudiantes peuvent trouver une oreille attentive avec la nouvelle « cellule d’écoute et d’accompagnement. » Mais il ne s’agit que d’une adresse e-mail (violences-sexistes@unistra.fr), à l’adresse de toute personne victime de harcèlement ou de violence, qui aurait simplement besoin d’en parler (pour commencer). Ce dispositif fait suite au souhait formulé par la ministre Frédérique Vidal en décembre 2017 que toutes les universités se dotent d’une telle cellule. Là encore, Strasbourg serait à la pointe, d’après Isabelle Kraus, vice-présidente de l’Université chargée de la mission égalités-diversité :

« On était déjà dans les starting-blocks, car c’est un dispositif sur lequel on planche depuis plus d’un an. Alors que peu d’universités en France ont eu le temps de le faire. On s’engage à répondre à l’e-mail dans les 48 heures. Alors des personnes spécialisées dans l’aide et l’accompagnement peuvent recevoir l’étudiant ou l’étudiante. »

Isabelle Kraus rappelle aussi que les victimes peuvent trouver de nombreuses ressources sur le site de l’Unistra, les textes de lois, les contacts internes et externes à l’université… Elle confirme qu’en termes de sanctions, des procédures disciplinaires peuvent être engagées :

« On a eu quelques cas, mais ils sont rares et marginaux. Pour qu’une procédure soit engagée, il faut une déclaration écrite, circonstanciée et signée. Certaines ne sont pas encore prêtes à passer cette étape, et c’est pourquoi la cellule d’écoute peut être adaptée. »

Pour elle, la cellule répond enfin à un manque criant, et a été pensée par tous les acteurs du campus pour une réponse adaptée :

« Nous avons pris conscience qu’il manquait quelque chose, un espace où la personne pouvait parler de ce qui lui est arrivé et mettre des mots dessus. On a travaillé en commission avec des représentants du personnel, des professeurs, des représentants des étudiants. On a vraiment construit quelque chose ensemble. »

L’Université de Strasbourg a distribué des tracts à la rentrée pour faire connaître sa nouvelle cellule d’écoute (Document remis)

« Personne ne connaît la mission égalités-diversité »

Mais pour le Collectif Copines, les plaintes sont rares parce que « personne ne connaît la mission sur le campus » et qu’il y a « zéro communication autour de son action. » Les questions de harcèlement et violences sur le campus sont difficilement trouvables sur le site officiel de l’université si on ne connaît pas l’adresse directe.

Colin Jude, du syndicat étudiant Unef, découvre :

« C’est Rue89 Strasbourg qui m’apprend la création de cette cellule d’écoute à Strasbourg, c’est dire à quel point l’université prend tout cela au sérieux et est désireuse de faire connaître ce dispositif auprès des étudiantes qui pourraient en avoir besoin… On n’a pas été contacté en tant que tel, nos élus ne l’ont pas non plus été individuellement et on a vu passer ni flyer ni affiche. »

Isabelle Kraus répond que la mission multiplie les campagnes de prévention, d’affichage, les cycles de conférence, et reste toujours à l’écoute des demandes. À croire que les étudiants et étudiantes ont fait exprès de passer à côté.


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