
C’est un pied de nez que l’Appas entreprend à l’égard de la loi. Et un défi. Jusqu’à la jurisprudence ? C’est en tout cas ce qu’espère le président de l’association pour la promotion de l’accompagnement sexuel (Appas), Marcel Nuss, et son équipe, constituée notamment de quelques juristes. Ses détracteurs, et ils sont nombreux, y voient de la prostitution. Mais le président de l’association le soutient mordicus : il s’agit d’une thérapie. Niet les « fantasmes farfelus » et autres rendez-vous alambiqués. L’Appas ne touche pas un kopeck sur les rencontres entre les accompagnants sexuels et leurs clients.
Ni prostitué, ni assistant social
L’accompagnant est une sorte de thérapeute qui permet aux personnes de se reconnecter avec leur corporalité. Marcel Nuss, explique :
« L’idée est de retrouver l’estime de soi. L’accompagnement sexuel doit donc rester quelque chose de temporaire. Six séances maximum. La finalité est de retrouver les ressources pour créer du lien, réinvestir sa vie et devenir autonome, voire de trouver l’amour. »
Et Jill, secrétaire de l’association et accompagnante sexuelle, de détailler :
« Le but est très précis, et surtout pas du tout le même que les escorts. Il y a un processus de reconstruction. Nous ne sommes pas là pour aller au restaurant. C’est une chose que certains ont du mal à comprendre. Par le toucher, les caresses et la sensualité, nous devons permettre aux personnes en demande de retrouver un lien avec leur corps, au-delà des purs fantasmes sexuels. Cela passe du simple corps à corps à la pénétration en passant par la masturbation. L’accompagnant est toujours nu. Mais il n’y a pas autant de personnes qu’on le pense qui veulent vraiment faire l’amour, beaucoup attendent parfois, simplement, de voir une femme nue, de pouvoir la toucher. »
Un site, une page Facebook et 80 adhérents
Alors que les députés français votaient à l’Assemblée le 4 décembre 2013 une proposition de loi visant à pénaliser l’achat d’actes sexuels d’une contravention de 1 500 euros et d’une amende de 3 750 euros en cas de récidive, l’Appas se met en place et compte bien sortir de l’ombre avec un site, une page Facebook et plus de 80 adhérents. Selon ses membres, c’est plutôt la loi sur le proxénétisme qui pourrait les inquiéter, comme l’explique Jill :
« Nous pourrions être considérés comme des “proxénètes bénévoles” parce que nous mettons des personnes en lien avec des accompagnants sexuels. Même si nous ne percevons pas d’argent et que nous ne sommes que la passerelle entre eux. »
Depuis janvier, l’Appas travaille avec une dizaine d’accompagnants sexuels, dont quatre en Alsace. Parmi ces professionnels, une infirmière, une aide-soignante, un auxiliaire de vie et les sept autres travaillent dans l’escorting. Tous sont indépendants. Sur le long terme, l’objectif serait d’étendre le réseau à chaque ville de France et, pourquoi pas, puisqu’il faut voir grand, à l’échelle européenne.
Des formations pour devenir accompagnants sexuels
Pendant ce temps là, en Europe
L’accompagnement à la vie affective et sexuelle est apparu aux Pays-Bas dans les années 80, suivi par l’Allemagne, le Danemark et la Suisse. C’est en 2010 que les « services sexuels » commencent à faire débat en France. Mais au droit à la sexualité pour tous s’oppose un refus de la marchandisation des rapports sexuels. En France, la pratique demeure donc assimilée légalement à de la prostitution. En mars 2013, le conseil général de l’Essonne avait relancé le débat de la légalisation du statut d’assistant sexuel pour finalement abandonner. En Belgique, au Danemark, en Suisse, en Italie, en Allemagne (parmi d’autres), la pratique est autorisée et des formations existent.
Sur le site de l’Appas, un programme de formation pour devenir accompagnant sexuel, sur trois jours, a été mis en place mi-avril et devrait se dérouler pour la première fois en septembre en Alsace. Encadrés par un sexologue-psychologue, un juriste, une spécialiste en massages tantriques et une accompagnante sexuelle, les participants rencontreront des accompagnants sexuels pour parler de leurs expériences, des questions de droits, d’éthique et des spécificités liées aux différents types de handicaps. Ils apprendront aussi des exercices de massages.
Et pour les professionnels du médico-social, une formation spéciale sera également proposée dès l’automne, pendant deux jours. Bref, des formations « très pratiques » selon Marcel Nuss, qui décrit la démarche :
« Pour un travailleur du sexe, il n’est pas question de leur apprendre ce qu’ils connaissent déjà. En revanche, il y a des gestes éthiques à connaître, comment enlever une sonde urinaire par exemple, gérer une trachéo, bref, beaucoup de détails liés aux différents handicaps et qu’ils ne connaissent pas forcément. Tout ne se passe pas en dessous de la ceinture ! »
Une séance dure une heure et demie et coûte 150 euros, sans compter les frais de déplacement (les prix varient alors beaucoup, entre tram et TGV). Mais pour ce qui est du coût et de la prise en charge, Marcel Nuss est catégorique, l’Appas est contre une prise en charge par la Sécurité sociale :
« La sexualité est un choix, handicap ou pas, il faut l’assumer. On compte trois millions de personnes en France qui souffrent de misère affective et sexuelle, pourquoi les personnes handicapées bénéficieraient d’un remboursement plus que les autres ? Et puis, il n’y aura plus d’effet thérapeutique si la Sécu rembourse. En revanche, nous serions pour une participation de l’État dans les charges spécifiques PCH. »
Donc pas question de « jouer les Saint Bernard » comme le précise Jill :
« Il faut comprendre les enjeux thérapeutiques et être soi-même très à l’aise avec son corps et sa sexualité. »
Le sexe, ce tabou
Selon Marcel Nuss, la France est toujours très en retard en matière de droit à la sexualité. Et des propositions de loi obsolètes qui ont la peau dure :
« Pour l’instant, l’Appas n’a pas été confrontée à de réelles réactions. Le gouvernement ne s’attendait probablement pas à ce qu’on ose, nous créons un peu la surprise. Et si deux associations (l’APF, association des paralysés de France et le CNPCH, le conseil national consultatif des personnes handicapées) sont déjà mobilisées et de longue date dans le droit à l’accompagnement sexuel, elles n’ont jamais rien fait dans la pratique. Notre association les prend de cours. Nous proposons des formations et ça, c’est totalement novateur ! »
Un autre projet sur le feu, la création d’un site de rencontre entre les accompagnants et les personnes en demande.
Bastien, la trentaine, auxiliaire de vie et accompagnant sexuel
Rue89 Strasbourg: comment êtes-vous devenu accompagnant sexuel pour personnes handicapées ?
Bastien (le prénom a été changé) : Je suis auxiliaire de vie à domicile et j’interviens donc dans le quotidien d’hommes handicapés. Au fil du temps, certains se confient et parlent de leurs désirs et de leurs besoins affectifs. J’ai pris conscience de toute la difficulté d’en parler pour eux, alors j’ai simplement dit ok quand certains m’ont demandé de l’aide. Quand ils souhaitent rencontrer des escorts, ils prennent rendez-vous et moi je les accompagne dans leur chambre d’hôtel par exemple, je les installe et ensuite, ils m’envoient un texto pour me dire de revenir les chercher.
Et puis un jour que je discutais sur internet avec une jeune femme de 35 ans, lourdement handicapée, elle m’a apporté un nouveau regard sur ce manque affectif. Elle n’avait jamais connu d’homme, en souffrait et commençait tout doucement à vouloir, elle aussi, connaître une première expérience sexuelle. Elle avait cherché parmi les escorts hommes, sur le net, mais beaucoup n’étaient intéressés par l’argent (souvent une grosse somme). La démarche en elle-même était déjà douloureuse, c’était une forme de résignation. Être une femme adulte intellectuellement mais, pour parler un peu crûment, « adolescente » du point de vue la sexualité, ce n’est pas facile pour avoir confiance en soi et faire des rencontres avec des hommes de son âge.
C’était une situation problématique parce que cette jeune femme ne pouvait pas bouger, elle en était d’autant plus vulnérable, comme tomber sur quelqu’un de pas net, incapable de maîtriser ses propres pulsions ou qui ne ferait pas attention à ses attentes, à elle. Je l’ai aidée mais nous n’avons trouvé personne. Alors je lui ai proposé venir chez elle. Nous avions beaucoup parlé de ce qu’elle désirait. J’ai commencé comme cela, pour rendre service. En fait, je me suis retrouvé face à une situation, ce n’était pas une vocation.
R89S : y a-t-il une si grande différence entre l’accompagnement sexuel et la prostitution ?
Bastien : Je ne suis pas dans une démarche de « trouver des clientes ». J’ai vu cette femme deux fois et d’autres aussi, mais pas de façon régulière. Il y a de gestes éthiques à connaître, des manipulations de base aussi, d’un point de vue purement médical. Je travaille moi-même avec des personnes qui ont subi des trachéotomies, qui sont parfois immobiles. Jusque là, leur corps n’a été considéré que comme objet de soins. Nous ne sommes pas dans la performance.
Pour ma part, je le fais « bénévolement », sauf pour les trajets quand c’est loin. Cela me gênerait de demander de l’argent. Je pense que la sexualité de la personne handicapée est taboue en France, et celle de la femme, encore plus ! Les débats sont concentrés sur les hommes et la prostitution féminine. Pour moi, il y a tout un travail qui se fait en amont avant de rencontrer quelqu’un, les choses doivent être claires sur le plan affectif également mais on est toujours sur le fil.
R89S : comment l’Appas pourra davantage vous guider dans cette démarche ?
Bastien : Pouvoir en parler avec d’autres accompagnants va permettre de libérer la parole, d’établir une cartographie de la demande. L’État parle sans cesse de la protection des personnes et, paradoxalement, met en danger celles qui sont les plus vulnérables. Cela évitera de tomber sur des tordus, des dévotes ou des personnes qui flancheront au dernier moment.
Juridiquement, les « clients » sont blindés, on accusera l’accompagnant… Alors avec un intermédiaire tel que l’Appas, on peut espérer que la parole va se libérer et qu’un jour, on puisse appeler un numéro et avoir quelqu’un en ligne qui ait un agrément, qui soit habilité à répondre à une demande qui existe déjà et continuera d’exister.
R89S : et avec votre entourage, comment cela se passe quand vous parlez de votre « autre » job ?
Bastien : Au travail, personne n’est au courant, surtout que c’est une activité qui y est totalement extérieure. Du côté de mes amis, il y en a qui me trouvent « fou » et d’autres qui trouvent ça « génial ». Ma mère, elle, a encore un peu de mal, elle ne comprend pas vraiment. Finalement, les réactions sont très partagées.
Aller plus loin
Sur France Inter : Faut-il autoriser des assistants sexuels pour les handicapés ?
Sur lemonde.fr : « Hasta la vista »: sur la route en fauteuil roulant (film)
Sur Vice : Les volontaires du sexe (vidéo)
Sur France Culture: Je veux faire l’amour: paraplégique demande assistance sexuelle
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