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Services d’ordre, tractage, réseaux sociaux : la riposte des antifas locaux contre l’extrême-droite

À Strasbourg, deux organisations s’affirment antifascistes : la Jeune Garde et l’Action Antifasciste. Rue89 Strasbourg a interrogé ces activistes discrets qui prônent l’autodéfense populaire face aux attaques de militants d’extrême-droite lors de mobilisations de gauche. Avec des syndicats, associations et partis politiques, elles ont formé le Collectif Antifasciste 67 en décembre.

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Leurs chants rodés, leurs fumigènes, et leurs banderoles ne sont pas passés inaperçus. À Strasbourg, entre cinquante et cent militants se sont rejoints dans des blocs antifascistes lors des manifestations depuis 2021, contre la loi sécurité globale, celle du 1er mai, ou encore en décembre, contre les violences sexistes et sexuelles. Avant cela, le 29 novembre 2020, ils avaient repoussé des hooligans néonazis qui attaquaient le cortège contre la loi sécurité globale et frappaient des manifestants.

Affrontements lors de la manifestation contre la loi Sécurité globale du 28 novembre 2020 (vidéo Jeune Garde Strasbourg / Facebook)

Dans la capitale alsacienne, deux collectifs politiques se revendiquent antifascistes : la Jeune Garde Strasbourg, née en octobre 2019, et l’Action Antifasciste Strasbourg (AFA), créée en septembre 2020. « Notre engagement est surtout une réaction aux agressions des militants d’extrême droite, et à la forte présence médiatique d’Éric Zemmour, de Marine Le Pen, de l’extrême droite en général », pose Cem Yoldas, porte-parole de la Jeune Garde Strasbourg. « On ne souhaite pas communiquer sur notre nombre », déclare t-il, tout comme William (prénom modifié) de l’AFA.

Organisation de services d’ordre et sensibilisation

Concrètement, ils assurent « régulièrement le service d’ordre d’événements militants, pour prévenir les attaques dans les rassemblements et réagir collectivement en cas de violences en repoussant les groupes de fascistes », expose Cem. Ils organisent aussi des séances de tractage et de discussion, « souvent dans des quartiers populaires ou sur le campus universitaire, pour sensibiliser sur ce qu’est l’extrême-droite et le danger qu’elle représente pour la société », indique William.

Cem ajoute :

« Nous affirmons notre présence en collant des affiches et en appelant à participer à des cortèges antifa dans les manifestations. Aussi, nous investissons les réseaux sociaux et postons régulièrement des textes, notamment des rappels historiques sur le fascisme. Tout cela fait de nous des cibles. »

Sur Facebook, les sections strasbourgeoises de la Jeune Garde et de l’AFA comptent, fin janvier, respectivement 2 400 et 1 600 abonnés. William souligne :

« Bien sûr, quand on tracte, on se prend des râteaux, comme tout le monde. Mais comme on milite contre l’extrême-droite, on a quand même beaucoup de personnes réceptives, qui veulent en savoir plus. Après l’attaque de la manif, on avait eu de nombreux retours positifs de gens qui trouvent rassurant de voir que des groupes s’organisent pour s’opposer aux mouvances fascistes et racistes. »

Le 12 décembre 2020, un grand cortège antifa s’était constitué suite à l’attaque d’une manifestation quelques jours plus tôt. Photo : TV / Rue89 Strasbourg

« L’antifascisme n’est pas une fin en soi, c’est une réaction nécessaire »

En Alsace, plusieurs groupuscules actifs d’extrême-droite mènent ou projettent des actions violentes. En août 2021, les forces de l’ordre ont trouvé 4 bombes radioactives dont trois prêtes à l’emploi chez un homme à Rouffach, qui avait également une tenue du Ku Klux Klan (un mouvement raciste américain) et des écussons nazis. En mai, six membres d’un groupuscule néonazi suspectés de préparer un attentat contre une loge maçonnique ont été arrêtés en Alsace et dans le Doubs.

Les militants de gauche sont aussi des cibles. Dès le 28 mars 2018, six étudiants qui sortaient d’une assemblée générale contre les réformes du gouvernement, avaient été passés à tabac sur le campus de l’Esplanade par des membres du Bastion Social, dissout depuis. Le 13 décembre 2019, des membres de l’Action française, une organisation royaliste, ont agressé physiquement des étudiants qui bloquaient le bâtiment du Patio à la fac, pour lutter contre la réforme des retraites.

Cet automne, des militants d’extrême-droite sont allés jusqu’à imprimer et coller des stickers à Strasbourg, avec le visage de Cem et une étoile juive en fond. « Malheureusement, on a l’habitude de ce genre de pratiques. Leurs tentatives d’intimidations nous donnent encore plus de force pour lutter », promet Cem.

Il complète :

« Il y a aussi de nombreux cas d’agressions en marge de manifestations. C’est une nécessité de nous organiser face à cette menace. L’antifascisme n’est pas une fin en soi, mais une réaction nécessaire contre l’extrême-droite. Cette inclinaison politique est très violente, notamment contre les militants du mouvement social. À la Jeune Garde, plusieurs d’entre nous en sont issus. C’est cela qui nous a concerné et obligé à réfléchir à nous défendre. »

« Il est important pour nous d’être organisés, de créer un rapport de force »

William, de l’AFA, abonde : « Nous refusons de baisser les yeux, d’être dans une posture victimaire, nous militons pour l’autodéfense populaire », affirme t-il :

« C’est pas que ça nous amuse de jouer les gros bras. En fait, nous ne considérons pas que la police nous protège, surtout pas si on est des militants de gauche. Au contraire, elle réprime nos mouvements. De l’autre côté, les hooligans néonazis ne sont pas inquiétés. C’est évident que nous devons nous auto-organiser, pour protéger nos luttes. »

Parallèlement, une quinzaine de personnes ont fondé le collectif Strasantifa en fin d’année, aussi dans le but de sécuriser les cortèges. Les militants ont notamment participé à des manifestations au Luxembourg et à Nancy.

Régulièrement en manifestation à Strasbourg, sous l’impulsion des antifascistes, la foule entonne le célèbre slogan : Siamo Tutti Antifascisti, « Nous sommes tous antifascistes » en italien. Photo : TV / Rue89 Strasbourg

L’AFA et la Jeune Garde, qui manifestent souvent côte à côte, ne se concentrent pas sur les mêmes revendications. William témoigne que dans ses tractages et ses événements, l’AFA insiste sur les « dérives fascistes » du gouvernement, et dénonce le racisme dans la police : « Chaque année, il y a 10 à 15 personnes qui sont tuées par les forces de l’ordre », soulève t-il.

La Jeune Garde, quant à elle, « lutte en particulier contre les organisations et les idées d’extrême-droite », selon les mots de Cem :

« Si Éric Zemmour ou Marine Le Pen gagne l’élection présidentielle, cela serait très dangereux pour les syndicats, les associations comme le planning familial et les luttes sociales dans leur ensemble. Le Rassemblement national essaye de redorer son image mais c’est un parti dangereux. On a vu qu’un candidat aux élections municipales de 2020 à Strasbourg avait été condamné parce qu’il lançait des cocktails molotov sur des kebabs dans les années 2000. »

Pour dénoncer le « fémonationalisme », le fait de lier les violences sexistes et sexuelles et l’immigration, comme le groupe Nemesis, des militantes féministes et antifascistes ont défilé le 25 novembre. Photo : TV / Rue89 Strasbourg

Création d’un collectif antifasciste avec des associations et des syndicats

En décembre 2021, la Jeune Garde, l’AFA, les syndicats Solidaires, FSU, CGT, CNT, Alternative Étudiante, les associations Attac, Planning Familial, le collectif D’ailleurs nous sommes d’ici, et les partis France Insoumise (FI) et Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), ont formé le collectif Antifasciste 67. La page Facebook compte 2 700 abonnés fin janvier. « Nous pensons qu’il y a urgence à renouer des liens entre nos structures et à unir nos forces militantes pour combattre l’extrême-droite », déclarent-ils sur le réseau social.

Maria, étudiante syndiquée à Solidaires, donne le sens de l’engagement de son organisation :

« Pour nous, le fascisme est un ennemi du droit des travailleurs et des étudiants. L’extrême droite est historiquement contre les syndicats et le Code du travail. Nous avons dû lutter contre elle pour obtenir des acquis sociaux. Nous entendons aussi dénoncer le gouvernement, qui applique des politiques d’extrême-droite, par exemple pour l’accueil des migrants. La polémique sur « l’islamogauchisme » dans les universités ou le supposé « wokisme« , portée par des ministres, témoigne de la droitisation du débat public. C’est important de nous opposer à cela. »

Luc, de la France insoumise à Strasbourg, insiste aussi sur la nécessité de « contrer les discours de haine, qui sont la stratégie politique de l’extrême droite », en assumant « une position antifasciste » :

« Nous défendons un projet de société à l’exacte opposé, basé sur des valeurs humanistes. La riposte doit être massive à gauche. »

Présentation du collectif et diffusion d’un film le 27 janvier

Les soutiens de Jean-Luc Mélenchon sont d’ailleurs « souvent ciblés par les nationalistes », relève Luc. Des militants pro-zemmour se sont filmés entrain de s’entrainer au tir en citant les noms de députés insoumis en décembre. Quelques mois plus tôt, un youtubeur influent d’extrême-droite avait simulé le meurtre d’un militant insoumis. « L’extrême droite, ce n’est pas une orientation politique comme une autre, d’où l’importance de s’y opposer très fermement, tous ensemble », livre Luc. William analyse l’intérêt de la création du collectif :

« L’union de nombreuses organisations avait permis d’obtenir la fermeture de l’Arcadia, l’ancien local des fascistes du Bastion Social à Strasbourg. Nous avions lutté sur plusieurs plans, avec des événements festifs et des manifestations. La différence c’est qu’à l’époque, nous avions un objectif précis, donc notre impact était simple à mesurer. Aujourd’hui, nous sommes mobilisés contre les idées et les politiques d’extrême droite, c’est plus diffus. »

Les dégradations successives de la vitrine par des antifascistes avaient aussi poussées le propriétaire du local de l’Arcadia à ne pas renouveler le bail. D’après Maria, de Solidaires, le collectif aura tout de même des revendications précises, « comme demander à la mairie de refuser la tenue des meetings d’Éric Zemmour et de Marine Le Pen dans ses salles ». Le prochain événement du collectif Antifasciste 67 aura lieu au Molodoï le 27 janvier. Le collectif diffusera le documentaire « Generation Hate » sur l’infiltration d’un journaliste dans un local lillois de Génération Identitaire. Des manifestations et un concert au Molodoï sont aussi prévus en mars.


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