Désespoir à tous les étages, au 12 rue Watteau. Devant ce petit immeuble de l’Elsau à Strasbourg, les galères commencent dès la porte d’entrée. Jeudi 1er août, vers 14h, Hüzüme Özdemir n’arrive pas à ouvrir la porte principale avec son badge. « Il y a aussi la sonnette qui est cassée depuis près de deux ans », souffle la fille d’un couple de sexagénaires vivant au premier étage.
Tout en gardant un œil sur sa fille, adolescente, Hüzüme fait visiter l’appartement de ses parents, partis en vacances en Turquie. Elle raconte cette situation intenable et les demandes envoyées au bailleur social CDC Habitat, anciennement Nouveau Logis de l’Est :
« Chaque jour, une infirmière doit passer trois fois pour soigner mon père, qui a le diabète, des problèmes rénaux et qui est quasiment aveugle. Si la sonnette ne marche pas, la soignante repart parfois… C’est un fardeau pour moi, je m’inquiète tous les jours à cause de ça… Mais ils n’ont toujours rien fait… »
Hüzüme a fait remonter d’autres plaintes concernant l’appartement de ses parents auprès du bailleur social CDC Habitat. Force est de constater que ses demandes n’ont rien changé : dans la salle de bain, aucune rambarde au niveau des toilettes pour permettre à Ceman Özdemir de se relever. L’homme de 63 ans n’a plus aucun doigt de pieds. « Il lui faut cette barre pour pouvoir se déplacer… », assure sa fille. Elle demande aussi à ce que le garage à vélos soit fermé à clé… La porte ne présente même pas de serrure.
Asthme et moisissures
Dans le même immeuble, une famille vit à l’étroit dans un trois pièces. Quatre filles dorment dans une même chambre. « À cause des moisissures, toute la famille a de l’asthme », assure la mère en montrant une dose de Ventoline posée sur la table. Le père se lève et montre les recoins de pièce pleins de tâches sombres, où la peinture s’effrite. « Les moisissures, c’est encore pire l’hiver », affirme-t-il.
Électricité défectueuse
La famille rêve de quitter cet appartement. Malgré deux visites, ils continuent de se doucher en utilisant le flash de leur téléphone portable pour s’éclairer : « Depuis trois mois, chaque ampoule qu’on branche dans la salle de bain casse… », explique le fils. Dans un français fragile, le couple tente de décrire toutes leurs difficultés. Parfois leur fils traduit :
« Il y a aussi la porte d’entrée qui tombe parfois. Et la pièce à vélo qui n’est pas fermée. On s’est fait voler la poussette trois fois déjà. Et dans la cuisine, la prise électrique ne fonctionne pas. Elle a déjà cassé notre bouilloire plusieurs fois… Et les toilettes fuient de temps en temps… »
Le boitier électrique de l’appartement est aussi défectueux, selon les locataires. « Ça saute tout le temps », souffle le père… Dans la cuisine de l’appartement, cette prise a déjà cassé plusieurs bouilloires…
Plaintes à tous les étages…
Le père de famille tient à montrer l’état de la cave. Ici aussi, aucune porte n’a encore de serrure. Chaque planche en bois a un énorme trou à la place de la poignée… Puis le locataire frappe à la porte d’un voisin. Tout le monde a quelque chose à dénoncer dans cet immeuble. La porte s’ouvre sur un enfant, un jouet Superman à la main. Il appelle quelqu’un, en tchétchène. La mère arrive d’abord puis elle cherche son mari.
Ici aussi, le locataire ne se fait pas prier pour décrire les problèmes qui le rongent. Il y a d’abord les lampes dans la salle de bain, qui n’ont jamais fonctionné. Mais il y a surtout une facture annuelle d’eau chaude, qui augmente chaque année… sans qu’Adam (le prénom a été modifié) ne comprenne pourquoi :
« Déjà en septembre 2018, j’ai dû payer 450 euros en plus des charges mensuelles… Cette année, on me demande 1 000 euros… Ce n’est pas possible, ça fait des années qu’on fait attention… J’ai appelé le bailleur social, qui m’a dit qu’il trouverait une solution… Mais je viens de recevoir un premier avertissement de l’huissier pour le paiement. »
Puis la résignation…
Tous les locataires rencontrés ont cessé d’essayer de joindre leur bailleur social. Pour Üzüme, la visite d’un technicien n’a pas été suivie d’effets. La mère de famille asthmatique ne veut plus retourner au local de CDC Habitat, situé au 7 rue de Wallonie dans le quartier Vauban : « La dernière fois que j’y étais, il y a trois mois, j’ai pleuré dans le bureau… »
Un peu plus loin dans la rue Watteau, le sentiment d’abandon prévaut aussi. « Tous les soirs, je vois des rats rentrer dans les caves. Ils me font peur, ça fait deux ans que je n’y ai pas mis les pieds… », raconte Ayhan Karakoc. Elsauvien depuis 1981, ce commerçant décrit une dégradation des conditions de vie depuis sept ans environ. Le supermarché, la boulangerie, le distributeur de billets ont fermé les uns après les autres.
Chez lui, la fenêtre est cassée depuis plusieurs années. Lorsqu’il pleut, l’eau s’infiltre dans le salon. Le parquet gondole légèrement sous le radiateur. « J’ai appelé le bailleur au moins six fois mais rien n’a jamais été fait… », regrette Ayhan.
« Il manque des gens sur le terrain »
Daniel Bonnot, président départemental de l’association Consommation Logement et Cadre de Vie (CLCV), ne semble pas étonné par les photos prises dans les logements elsauviens. Selon cet acteur de la défense des locataires, il est difficile d’établir la responsabilité des bailleurs sociaux en général :
« Ca pêche partout au niveau de l’entretien des logements. À l’Elsau, tout le monde s’en plaint. Mais face à des moisissures, le bailleur pourra dire que le locataire n’aère pas assez. S’il y a des rats et des asticots, il dira que les sacs poubelle ne sont pas fermés. »
Pour ce spécialiste du logement social, la disparition du concierge dans les immeubles elsauviens joue un rôle important dans cette dégradation des conditions de vie : « Il manque de la proximité, des gens sur le terrain qui soient connus des habitants. » Daniel Bonnot recommande aux locataires de faire part de leurs problématiques à l’association CLCV : « Quand nous intervenons, le bailleur social répond souvent plus vite… »
Le combat continue
Contacté, le directeur régional de CDC Habitat n’a pu répondre que sur les situations de Ayhan Karakoc et de Hüzüme Özdemir, qui n’ont pas demandé à être anonymisés. Gilles Pauchet promet une réparation rapide de l’interphone « dont la panne est liée à un acte de vandalisme important. » Concernant les rats, le responsable souligne qu’il existe des « opérations de dératisation régulières, dont la dernière remonte à juin et la prochaine est prévue pour septembre. »
Concernant l’électricité défectueuse, les charges anormalement élevées ou les moisissures, Gilles Pauchet invite les locataires concernés à joindre CDC Habitat par téléphone, sur internet ou par une visite en agence. Pour les anonymes en situation de précarité, l’éternel combat continue.
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