Lundi 26 juin, fin d’après-midi. En conseil municipal, l’adjointe à la maire Hulliya Turan (PCF) dresse un sombre tableau de la délégation de service public concernant l’incinérateur de Strasbourg : « De nombreuses alertes ont été émises, pointant du doigt (…) la présence de cendres cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques et d’amiante. » L’élue évoque aussi l’inspection de la Dreal en janvier 2022, et ces cendres toxiques présentes partout dans l’installation, l’amende de 10 000 euros qui s’en est suivie, mais aussi une enquête judiciaire en cours et une perquisition menée en juin. Elle termine la lecture de la motion du groupe « Pour la justice sociale et l’écologie populaire » :
« Le conseil municipal de la ville de Strasbourg affirme son soutien aux salariés qui revendiquent de meilleures conditions de travail et défendent leur santé (…) et enfin demande à l’Eurométropole d’explorer différents scénarios prospectifs pour l’avenir du site, y compris des hypothèses de fin de contrat. »
« On pense avoir réglé un problème, un autre arrive »
Cette fois, l’incinérateur est bien de retour dans le débat politique. Jean-Philippe Maurer, conseiller municipal d’opposition (LR) s’en désole :
« J’ai l’impression que ce dossier Sénerval est un vrai chemin de croix. À peine on pense avoir réglé un problème, un autre arrive. C’est presque désespérant de recommencer presque tous les deux ans ce dossier. »
Du côté des soutiens de la majorité présidentielle, même position, exprimée par le conseiller municipal Renaissance Nicolas Matt. La motion présentée par Hülliya Turan sera votée à l’unanimité des voix exprimées. Seuls les socialistes, menés par Catherine Trautmann, s’abstiennent en revendiquant la première alerte sur le dossier.
Depuis les révélations de Rue89 Strasbourg et la diffusion d’un reportage au journal télévisé de France2, l’Eurométropole a entamé un nouveau rapport avec Sénerval, filiale du groupe Séché et délégataire de service public jusqu’en 2030. Un document confidentiel, auquel Rue89 Strasbourg a pu accéder, révèle le suivi rapproché de l’EMS sur son incinérateur. En décembre 2022, en février 2023 et en mai 2023, des visites sur site de la part d’élus et des réunions ont eu lieu entre la présidence de l’Eurométropole et la direction de l’entreprise.
Une source syndicale confirme à Rue89 Strasbourg les effets bénéfiques de cette surveillance renforcée par l’Eurométropole : « Comme ils s’attendent à des visites surprises, maintenant la direction est hyper vigilante sur le port des équipements de protection quand des cendres sont évacuées. » Résultat : les derniers contrôles sur place n’ont révélé aucune anomalie. Le 2 février, la médecine du travail n’a pas identifié de risque supplémentaire face à l’exposition aux cendres. Quelques jours plus tard, une inspection de la Dreal mettait fin à la mise en demeure concernant la présence de résidus d’épuration à l’air libre dans l’usine. Fin mars, un agent de la Dreets n’observait plus aucun problème dans l’exposition des salariés sous-traitants aux mêmes cendres cancérigènes.
Plus de 30 millions d’euros de travaux
Dans une délibération prévue pour le conseil du 28 juin, l’EMS prévoit d’embaucher un chef de projet pour une durée de trois ans au service « collecte et valorisation des déchets ». La personne recrutée sera chargée d’élaborer et de conduire « les opérations de rénovation partielle du bâti et de travaux sur le process de l’unité » mais aussi de contribuer « à la réflexion sur l’évolution du site et de son mode de gestion. »
Car l’Eurométropole envisage d’importants travaux au sein de l’Unité de valorisation énergétique (UVE), la désignation officielle de l’incinérateur. En conseil ce mercredi 28 juin, les élus métropolitains voteront aussi la commande de plusieurs études qui permettront de chiffrer le montant des investissements nécessaires. Un premier audit estimé à près de 180 000 euros concerne l’état du bâti et les rejets polluants de l’incinérateur. Selon les teneurs en mercure ou en dioxine révélés, la collectivité devra investir entre 13 et 25 millions d’euros pour améliorer le système de traitement des rejets gazeux et aqueux de son installation. Cet axe d’intervention s’inscrit notamment dans la mise aux normes qui évoluent en matière de pollution.
Chaque mois d’arrêt coûte 4,5 millions d’euros à l’EMS
Révélée dès le redémarrage de l’incinérateur en septembre 2019, la dégradation avancée de nombreux poteaux en béton de l’usine doit être traitée grâce à des travaux estimés à 8 millions d’euros. Une étude est en cours de finalisation pour disposer des solutions techniques envisageables et des méthodologies d’intervention. Dans un calendrier de l’EMS, plusieurs arrêts de ligne sont prévus sur une période de six mois environ, en plus d’un arrêt de l’UVE envisagé pour deux mois.
Il s’agit pour la collectivité de minimiser les coûts qui peuvent exploser si l’usine doit cesser son activité trop longtemps. Chaque mois d’arrêt coûte 4,5 millions d’euros, entre détournements des déchets (à 180 euros la tonne détournée) et indemnisation de l’exploitant (56 000 euros par jour). Une commission de conciliation doit rendre un avis d’ici la fin de l’année 2023 concernant le niveau de responsabilité de la collectivité et de l’exploitant quant aux travaux de consolidation du béton.
Un dernier chantier de 2,5 millions d’euros doit avoir lieu pour démanteler le système du traitement des fumées de la ligne 4, à l’arrêt depuis 2016. Il a ainsi fallu près de sept ans pour mettre fin à un risque d’accident lié à l’usure de pièces inutilisées. Une pièce de près d’une tonne avait ainsi chuté dans l’usine en septembre 2022.
Fin de la délégation en 2030
Une seconde étude portera sur le nombre de tonnes de déchets à traiter pour l’Eurométropole de Strasbourg entre 2030 et 2050. Elle complètera l’information des élus appelés à faire des choix politiques sur le devenir de l’UVE en 2025. La collectivité et ses services devront ensuite concrétiser deux décisions cruciales pour l’avenir de l’incinérateur.
Le premier choix concerne l’exploitation de l’usine d’incinération. En 2030, l’EMS devra renouveler la délégation de service public pour l’incinérateur. Or il semble peu probable que le groupe Séché souhaite poursuivre l’exploitation de l’UVE de Strasbourg. Les résultats nets du délégataire n’ont été positifs que qu’en 2011 et 2018. Ils ont même plongé à -14,3 millions d’euros en 2021. Et il n’existe que cinq exploitants d’UVE en France (Veolia, Suez, Paprec-Tiru, Urbaser Environnement et Séché Environnement). Et si personne ne souhaitait se lancer dans cette galère ?
Faut-il une nouvelle usine ?
La seconde décision de taille porte sur l'avenir du bâtiment de l'incinérateur. Selon l'état de vétusté constaté par les études et en fonction du nombre de tonnes de déchets à incinérer entre 2030 et 2050, l'EMS doit envisager la construction d'une nouvelle usine. Un chantier estimé à "300 millions d'euros de construction et des dizaines de millions d'euros de démantèlement" par la vice-présidence en charge de la gestion des déchets, Fabienne Baas, lors d'une conférence de presse mardi 27 juin. Dans un rapport commandé par l'ancien président de l'Eurométropole Robert Herrmann en 2016, le ministère des Finances évaluait plutôt le coût d'une construction neuve à 421,3 millions d'euros."
Interrogé sur la situation de l'incinérateur, Robert Herrmann défend son choix d'un désamiantage à près de 200 millions d'euros, frais de détournement et de traitement des déchets dans d'autres usines inclus :
"Nous avons choisi la sécurité des salariés en réalisant ces travaux. Bien sûr, on s'interrogeait déjà sur la nécessité de reconstruire une usine. Mais il était inenvisageable de reconstruire un incinérateur tant que son coût n'était pas amorti."
"De grands groupes n'auraient pas eu ce genre de difficultés"
Robert Herrmann se montre aussi critique de la délégation par le groupe Séché et affirme :
"Je m’étais interrogé si on ne pouvait pas casser la DSP à l’époque. Mais les juristes disaient que la collectivité prendrait un risque juridique et financier tout en supportant les mêmes coûts de réparation. Je trouve insupportable le traitement des personnels qu’il y a eu dans ce groupe. Il y a certainement une part de paternalisme dans la gestion, mêlé à un mode de fonctionnement qui ne me paraît pas de bon aloi. De grands groupes n’auraient pas eu ce genre de difficultés. Vu de l’extérieur aujourd’hui, ma tendance serait plutôt d’aller vers un gros groupe."
Contacté, le groupe Séché n'a pas donné suite à notre demande d'interview concernant notamment ses projets pour l'incinérateur après 2030.
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