1. – Combien les déboires de l’usine d’incinération de Strasbourg ont coûté jusqu’à présent à l’Eurométropole ?
Depuis janvier 2015, L’Eurométropole de Strasbourg (EMS) s’est déjà engagée à payer près de 70 millions d’euros au titre de ses responsabilités de propriétaire dans la crise qui touche l’usine d’incinération des ordures ménagères de Strasbourg depuis 2014.
Cette somme se compose des frais des travaux de désamiantage, du coût des détournements des déchets qui ne peuvent pas être traités à l’usine de Strasbourg, de la compensation des pertes d’exploitation de l’exploitant Sénerval, filiale du groupe Séché Environnement, et des pénalités pour les clients de l’usine qui devaient être fournis en énergie.
Le désamiantage des 4 fours a coûté 20,2 millions d’euros. Le détournement des déchets de novembre 2014 à décembre 2016 a coûté 22 millions d’euros. Enfin la compensation des pertes d’exploitations et les pénalités ont coûté jusqu’en décembre 2016 40 millions d’euros. Ces sommes ont été votées lors de trois avenants successifs au contrat de délégation de service public (DSP) passé avec Sénerval, entre janvier 2015 et juin 2016.
2. – Combien ça va encore coûter avec la fermeture complète pendant 2 ans et demi ?
Comme cela avait été le cas pour l’année 2015, des ajustements sur le coût réel des détournements des déchets et des pertes d’exploitations en 2016 peuvent encore s’ajouter à la facture actuelle à l’occasion du prochain avenant au contrat de délégation de service public.
En juin 2016, l’Eurométropole avait annoncé qu’elle délibérerait de ce nouvel avenant fin septembre au plus tard. Il devra aussi fixer les coûts définitifs des travaux de désamiantage de l’usine et les conséquences financières pour la période de fermeture du site.
L’EMS prévoit que du second semestre 2016 jusqu’à la réouverture de l’usine, le détournement des déchets devrait lui coûter 60 millions d’euros, plus 56,7 millions de pertes d’exploitation et d’autres coûts. Si on ajoute ces sommes à l’investissement pour le désamiantage des façades, 15,2 millions d’euros, la fermeture de l’usine va donc peser de 134 millions d’euros de plus sur les finances de la collectivité.
3. – Où en sont les travaux ?
Après deux années de difficultés à l’usine d’incinération de Strasbourg, l’Eurométropole a décidé en juin 2016 de fermer complètement le site pour deux ans et demi. Après la découverte d’amiante dans les quatre fours de l’usine, Sénerval, l’exploitant, et l’Eurométropole, propriétaire, avait d’abord décidé de continuer à faire fonctionner deux des quatre fours pendant que les deux premiers étaient en réparation.
Mais ce principe dit de « coactivité » n’a jamais vraiment tenu la route. Les fours qui continuaient de fonctionner alors qu’ils étaient en très mauvais état, ont enchaîné les problèmes et ont dû régulièrement être arrêtés. Les deux derniers fours en fonctionnement ont donc été arrêtés définitivement les 29 août et 3 septembre.
Un autre problème a motivé la fermeture de l’usine : une dernière expertise sur le site menée début 2016 a conclu que non seulement les fours, mais aussi les façades intérieures et extérieures de l’usine libéraient des poussières dangereuses d’amiante.
L’usine est donc fermée pour être entièrement désamiantée avant sa réouverture prévue en février 2019. À ce jour, les travaux de désamiantage et de reconstruction de deux premières chaudières sont presque terminés. Il va rester à Sénerval à désamianter et reconstruire les deux autres fours et à l’Eurométropole à organiser le désamiantage et la repose des façades de l’usine. Pour ces deux chantiers, les offres sont à l’étude.
4. – Comment l’Eurométropole justifie-t-elle son choix de fermer l’usine ?
Pour l’Eurométropole, la décision de fermer l’usine pendant deux ans et demi pour la désamianter répondait à une urgence sanitaire et réglementaire. Pour justifier son choix, elle l’a mis en balance avec un autre scénario, celui de raser l’usine et d’en reconstruire une nouvelle, plus moderne. D’après des estimations présentées lors du conseil de l’Eurométropole du 3 juin, cette deuxième solution aurait coûté 421,3 millions d’euros, soit plus de deux fois le coût estimé de la solution qu’elle a finalement retenue.
Il aurait fallu d’après elle pas moins de 143 millions d’euros pour rompre le contrat de délégation de service public de 20 ans passé avec Sénerval. Ce scénario catastrophe n’a pas convaincu tous les élus, dont certains considèrent qu’il a été surévalué pour favoriser la solution du désamiantage. Au-delà du coût financier, l’Eurométropole mettait aussi en avant que la construction d’une nouvelle usine après destruction de celle existante aurait pris cinq ans minimum. Un délai beaucoup trop long et hasardeux au regard des besoins des entreprises du Port autonome en fourniture d’énergie et de chaleur notamment.
5. – Comment ces dépenses sont-elles financées ?
Pour financer le désamiantage et la reconstruction des 4 fours de l’usine, l’Eurométropole a réaffecté l’enveloppe qu’elle avait prévue pour créer une unité de méthanisation. Les détournements de déchets de novembre 2014 à décembre 2016 sont payés en direct grâce au budget déchets de la collectivité. En 2015, ce budget a absorbé les surcoûts de 9,6 millions d’euros, grâce à l’augmentation de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM).
L’Eurométropole a promis qu’il n’y aurait pas de nouvelles augmentations des impôts pour financer cette crise. Mais la collectivité a déjà augmenté la TEOM de 4% en 2015 et de 2,5 % en 2016. Ces augmentations avaient été annoncées comme temporaires pour financer le détournement des déchets de 2014 à 2016. Aujourd’hui, il n’est plus question de revenir en arrière.
Pour le reste des coûts, donc les pertes d’exploitation surtout, l’Eurométropole a augmenté la Rpp, la redevance qu’elle paie à Sénerval pour l’incinération des déchets. Cette Rpp est passée de 32,70 euros en 2010 à 56,27 euros en avril 2016 par tonne incinérée. Cette augmentation de 72 % devrait permettre à l’EMS de rembourser ses dettes actuelles à Sénerval d’ici 2030, à la fin du contrat de DSP. Mais la Rpp va à nouveau augmenter dans le prochain avenant pour amortir les nouveaux coûts.
Compte tenu des surcoûts à venir de 60 millions d’euros pour le détournement des déchets pendant la fermeture de l’usine, l’Eurométropole a demandé à la Direction générale des collectivités locales de la laisser utiliser 50 millions d’euros d’excédents de son budget eau et assainissement. L’Etat a accepté cette dérogation à titre exceptionnel. Elle doit toutefois encore être validée par un vote de l’Assemblée nationale.
Pour financer le désamiantage des façades et des chemins de câbles de l’usine, l’Eurométropole prévoit de demander une subvention au fonds de soutien à l’investissement local, qui dispose d’un milliard d’euros pour toutes les collectivités locales depuis 2016.
6. – Une politique « déchets » qui reste à préciser
La fermeture de l’usine doit être l’occasion pour l’Eurométropole de réfléchir à l’optimisation de la valorisation des déchets. Des évolutions techniques pourraient être décidées et faire l’objet d’un dernier avenant avec Sénerval pour adapter la DSP. Le groupe de travail sur les déchets, qui suit la crise à Sénerval depuis 2014, a été élargi dans ses fonctions pour pouvoir faire des propositions sur la politique « déchets » de l’agglomération.
Mais pour beaucoup d’élus, ce raisonnement prend le problème à l’envers et manque de vision à long terme. Pour eux, c’est l’étude sur la réduction des déchets menée par l’EMS cette année qui aurait dû dicter le redimensionnement de l’usine. Les travaux de désamiantage prévoient de reconstruire ses 4 fours à l’identique. Dans ce contexte, tous les scénarios pour la suite pourront-ils être étudiés, y compris celui sans incinération ?
Si à sa réouverture, l’usine reste calibrée pour traiter 270 000 tonnes de déchets par an comme aujourd’hui, et pour traiter des déchets de même nature, elle ne sera plus adaptée à l’évolution des déchets de l’EMS, qui prévoit par exemple de développer le tri et le compost.
Par ailleurs, garder la même capacité d’incinération dans l’usine de Strasbourg, alors que les déchets de l’agglomération vont baisser, pourrait obliger l’usine à traiter des déchets venant d’ailleurs, craignent les écologistes. Ils alertent sur le risque que Strasbourg deviennent « la capitale régionale de l’incinération ». En juin, le président de l’Eurométropole, Robert Herrmann (PS) leur avait répondu :
« Strasbourg n’a pas vocation à devenir la capitale régionale de l’incinération. Mais 7 ou 8 centres d’enfouissements vont fermer dans le Bas-Rhin et il faudra bien traiter ces apports de déchets. Il va bien nous falloir réfléchir au traitement des déchets à l’échelle de la région grand-Est. Ce temps de fermeture doit être mis à profit. »
7. – Comment on en est arrivés là ?
L’Eurométropole a confié en 2010 au groupe Séché Environnement une délégation de service public de 20 ans qui devait lui permettre d’amortir les investissements auxquels le groupe s’engageait pour transformer le site en une usine de valorisation énergétique.
Sénerval, la filiale de Séché à Strasbourg, s’est lancée dans la production de chaleur et d’électricité. Mais elle a tardé à faire les travaux de maintenance et de modernisation nécessaires sur les équipements d’incinération. En mars 2014, elle n’avait engagé que 37 millions d’investissement sur les 56,5 millions promis.
C’est le conflit social qui a finalement abouti à des premiers travaux de maintenance à l’été 2014, soit 4 ans après l’arrivée de Sénerval aux commandes de l’usine. Et au début des travaux sur les fours, des mesures ont détecté de plus en plus de fibres d’amiante libérées dans l’usine.
La présence d’amiante dans une usine construite dans les années 1970 n’est une surprise pour personne. Mais pour certains observateurs, la gestion de l’usine révèle le manque d’expérience de Séché. Au moment de conclure la DSP, La CUS, ancienne Eurométropole, a choisi le moins cher des deux candidats retenus à l’appel d’offres. Séché n’avait pas de référence sur la gestion d’une usine d’incinération de cette taille, alors que son concurrent, groupement de Tiru et Sita, avait les trois quarts des usines d’incinération en France.
L’usine d’incinération des ordures ménagères de Strasbourg est calibrée pour traiter 350 000 tonnes par an. Une usine fonctionne bien si chaque four est approvisionné avec la quantité de déchets pour laquelle il est calibré. Si on commence à en mettre moins, le four fonctionne moins correctement et génère des sous-produits d’incinération, des furanes. L’apparition de ces sous-produits augmente les risques de pannes et les besoins de travaux sur les fours. Pour des observateurs, ce sont les pannes de four qui ont contraint à des travaux qui ont libéré de l’amiante. Les arrêts dus au conflit social n’ont rien arrangé.
8. – Quelle transparence sur ce dossier ?
Pour tirer les leçons de cette crise, l’Eurométropole va confier le dossier complet à la Direction régionale des finances publiques pour qu’elle étudie sa gestion financière. Un groupe de travail « déchets » suit la situation de l’usine Sénerval depuis le conflit social en 2014. Il est composé d’élus de tous les partis du conseil de l’agglomération. Mais plusieurs d’entre eux se sont plaints du manque de transparence de l’exécutif communautaire à leur égard.
9. – Que vont devenir les salariés ?
Les 60 salariés de Sénerval ont passé un accord avec leur direction en juillet pour travailler à temps partiel à partir du 26 septembre. L’État, via la Direccte, va leur verser un complément financier pendant la durée de ce temps partiel dans une limite de 1 000 heures par an et par salarié. Ce dispositif est entré en vigueur le 26 septembre jusqu’au 31 décembre. Il doit ensuite être reconduit de six mois en six mois, jusqu’à la réouverture de l’activité d’incinération de l’usine.
10. – Que vont devenir nos déchets ?
Sénerval a diffusé un appel d’offres pour le traitement hors de Strasbourg de ces déchets pendant la fermeture de l’usine, par lots. L’entreprise vise un maximum de 10% d’enfouissement, pour 90% d’incinération. L’État, via la Dreal, doit l’accompagner dans les procédures de transferts de déchets hors de la région grand Est ou à l’étranger, en Allemagne ou en Suisse.
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