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Le séisme Deaf Rock dans le monde de la musique à Strasbourg

Quelques jours après l’enquête de Mediapart et Rue89 Strasbourg sur des faits de harcèlements et d’agressions sexuelles visant Julien Hohl du label Deaf Rock, les artistes et responsables de structures culturelles réagissent, entre colère et indignation.

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« On était tous sur nos téléphones, nuit et jour, à échanger les uns avec les autres. C’était vraiment un choc, pour nous tous ». Les artistes des groupes associés à Deaf Rock ont eu une semaine difficile, après la parution de l’enquête sur des faits de harcèlements et d’agressions sexuelles visant le patron du label, Julien Hohl. Devaient-ils faire des communiqués sur leurs pages Facebook, pour se « désolidariser publiquement » ? Ne pas le faire, pour ne pas paraître « opportunistes », au risque de se taire sur un sujet aussi lourd ? Nommer le label au risque d’y être associé à nouveau ? Et comment « faire la distinction entre l’homme et le label », quand un groupe est bien souvent associé aux deux ?

Pour certains, qui n’étaient plus en contact avec le milieu musical strasbourgeois depuis plusieurs années, les choses ont été plus évidentes que pour d’autres, encore proches parfois de membres du label. Finalement, tous ou presque ont décidé de prendre les devants, et une majorité a lancé les démarches pour quitter Deaf Rock Records.

Un micro sur une scène de rock (Photo Milosz Karski / Pixabay)

Au moins onze artistes et groupes ont (re)demandé à quitter le label 

D’après nos informations, en plus de Last Train et Décibelles qui avaient déjà annoncé de façon officielle leur départ du label, au moins 9 artistes (solo et groupes confondus) tentent de quitter Deaf Rock. Certains depuis longtemps, bien avant le post de MusicToo publié cet été sur les réseaux sociaux. Le groupe strasbourgeois pop Amoure par exemple, avait entamé une procédure il y a un an déjà, pour des raisons de désaccords professionnels. La parution de l’enquête n’a fait que confirmer leur volonté de partir au plus vite. 

« Julien Hohl est une connaissance de longue date du groupe. Nos relations se sont détériorées au fil du temps pour des raisons mêlant le personnel et le professionnel. Certaines des victimes font partie de nos amies les plus proches. Si nous étions au courant d’attitudes souvent insistantes et déplacées, le récit d’agressions relaté ces derniers mois nous a profondément choqués ».

Les membres du groupe Amoure.

Idem du côté du groupe alsacien de heavy blues, Dirty Deep, qui tentait aussi de partir depuis près d’un an, et qui a demandé « la résiliation immédiate » de son contrat dès la parution de l’enquête :

« Suite à la publication des articles, nous avons fait part au label de notre intention de soutenir publiquement les victimes des actes dénoncés. Nous nous désolidarisons totalement d’un label dont le dirigeant fait l’objet d’accusations aussi graves sans même daigner y répondre. »

Les trois musiciens de Dirty Deep.
Les trois membres du groupe Dirty Deep, qui avaient déjà demandé à quitter le label il y a près d’un an, ont demandé « la résiliation immédiate » de leur contrat la semaine dernière (cc Éric Antoine).

Parmi les groupes qui ont demandé à quitter le label plus récemment, en raison notamment de l’enquête, il y a les Américains de Crocodiles, les Belges de Pale Grey, les Sud-Coréens de DTSQ, ou encore le groupe de rock parisien Structures, signé chez DR en novembre 2019. Ces derniers avaient entamé une procédure dès le message de MusicToo publié cet été. Pierre Seguin, chanteur et guitariste du groupe confie :

« Nous ne voulons pas être associés à cela, on se bat quotidiennement pour défendre des valeurs qui sont à l’opposé, ça donne la nausée ! Ce qui a été très difficile à gérer, c’est le flou dans lequel on était. Personne ne nous disait rien, ça a été un poids psychologique et moral très lourd. On a demandé à DR de racheter notre album, pour pouvoir partir plus tôt que prévu. »

Pierre Seguin, du groupe de rock Structures.

Le groupe a également publié un message sur sa page Instagram pour se désolidariser publiquement du label, après l’enquête de Rue89 Strasbourg et Médiapart.

Communiqué du groupe de rock parisien Structures, publié sur leur page Instagram, le lendemain de la parution de l’enquête.

“Ça a tué ma motivation, je ne veux plus faire de la musique comme ça”

Pour certains artistes, comme Flo Chmod (en théorie sous contrat jusqu’en 2023), la publication de l’enquête a été le « coup de grâce » après des mois de relations devenues difficiles et inexistantes avec Julien Hohl, pour des raisons principalement professionnelles, explique le jeune artiste folk :

« Ça a tué ma motivation, je n’ai plus envie de faire de la musique comme ça, dans ce milieu-là. J’ai d’autres projets de toutes façons. »

Florian fait également partie de la vague des artistes qui ont contacté Julien Hohl au lendemain de l’enquête, pour demander de rompre son contrat.

L’artiste folk Flo Chmod, en théorie sous contrat jusqu’en 2023, a demandé la semaine dernière à quitter le label. « Je n’ai plus envie de faire de musique comme ça, ça m’a dégoûté. » (cc Bartosch Salmanski).

Pour d’autres musiciens – qui souhaitent rester anonymes jusqu’à la rupture officielle de leur contrat – c’est la réaction du public sur les réseaux sociaux qui a été difficile :

« Les gens croient qu’on est tous complices, que c’est le monde de la jetset, qu’on voyait tout, qu’on ne disait rien… En soirée, oui il draguait les filles, mais jamais je ne l’ai vu faire en public les choses dont on l’accuse ! »

Cet artiste, encore sous le choc, parle de « dégoût et de colère ». Il a lui aussi demandé à rompre son contrat et à ne plus apparaître sur le catalogue Deaf Rock. 

Même chose du côté d’un ancien musicien, signé pendant longtemps chez Deaf Rock dans un groupe historique, et encore sous le choc de l’enquête :

« On ne savait pas. Tout ce qu’on découvre est extrêmement choquant. Les gens nous associent à ça, ils associent le groupe à ça, mais nous on est pas des mauvais garçons ! C’est super dur et je suis très en colère que toutes nos années de travail soient maintenant entachées par cette histoire dégueulasse. »

Des artistes indépendants du label souhaitent retirer leurs titres des plateformes

L’affaire a également fait réagir d’autres artistes, plus éloignés du label. Kamisa Negra est la seule artiste féminine à avoir ainsi participé à une compilation rap sortie sur le label Iconic, division de Pégase, la maison mère de Deaf Rock. Dans un communiqué publié au lendemain de l’enquête, l’ex-finaliste de La Nouvelle Star en 2017, a fait savoir qu’elle demandait le « retrait immédiat » de son titre « Quitter », sorti en février 2020, de toutes les plateformes. La chanteuse strasbourgeoise, signée au sein de son propre label, Remade Music, s’est dite « indignée ».

Communiqué de presse de Kamisa Negra, au lendemain de notre enquête.

« Mon combat contre toute forme de violence, de harcèlement, et de discriminations faites aux femmes est au cœur de ma vie personnelle et artistique ». 

La chanteuse Kamisa Negra.

Les rappeurs Mismo et Adel, présents sur cette même compilation rap/hip hop, ont également demandé à ce que leurs titres soient retirés des plateformes. Néanmoins, les artistes ne souhaitent pas faire d’amalgames entre Iconic et l’affaire concernant Julien Hohl. « Les agissements d’un seul individu ne sauraient ternir le travail et la mentalité par ailleurs remarquable [de Iconic] », précise Kamisa Negra.

Plusieurs artistes qui ont participé à cette compilation du label Iconic, comme Mismo, Adel et Kamisa Negra, ont demandé à ce que leur morceau soit retiré des plateformes (cc Iconic).

25 artistes sur le catalogue Deaf Rock… en théorie

Si le catalogue d’artistes affiché sur le site de la Maison des labels Pégase est extrêmement fourni (25 artistes solos et groupes), la réalité semble bien différente. À commencer par les nombreux groupes référencés qui n’existent plus depuis des années (Colt Silvers, 1984, Plus Guest, Electric Suicide Club, Birdy Hunt, La Mort de Darius). D’autres, sont déjà partis il y a parfois un an, voire plus (The Blind Suns, Holy Two). Et d’autres encore, ne sont pas affiliés au label et n’ont plus de contact avec DR depuis au moins 3 ans, comme Yeahrs, dont les membres tiennent à préciser, par mail :

« Nous n’aurons plus aucune collaboration sous quelconque forme avec eux dans le futur. Nous entreprendrons les démarches nécessaires pour être supprimés de leur site dès que possible. »

Enfin, si l’on ajoute les groupes et artistes qui ont demandé à partir, il resterait, d’après nos calculs, 5 artistes encore « signés chez Deaf Rock » (dont 3 qui ne nous ont pas répondu comme les Allemands de Dr Norton – qui n’ont rien sorti chez DR depuis 2009, ou les Luxembourgeois Mutiny on the Bounty). 

Julien Hohl, écarté du réseau de musiques actuelles Grabuge

Du côté des structures culturelles aussi, les liens ont rapidement été coupés. La plateforme Artefact (espace de coworking, incubateur et pépinière) a par exemple indiqué qu’elle n’accueillait plus le label : « Deaf Rock était une structure résidente, avec ses bureaux dans nos locaux. Ils déménagent bientôt et nous ont rendu les clés, c’était de toute manière prévu de longue date », a déclaré Thierry Danet, directeur d’Artefact.

Thierry Danet fait surtout valoir la position du réseau Grabuge, réseau des musiques actuelles dans le Grand Est, lancé en mars 2020, et qui regroupe 70 structures, dont Artefact et Pégase.

Dès la publication de l’enquête, Grabuge a ainsi fait savoir, via un communiqué de presse, la mise à l’écart de Julien Hohl de tous les travaux et activités du réseau : « Nous avons pris une décision aussi rapide qu’immédiate », indique Patrick Legouix, référent de la Commission Prévention et référent en Champagne-Ardennes pour le réseau. Cet organisateur de festival explique que les langues ont commencé à se délier parmi les membres de Grabuge, dès les débuts du mouvement #MusicToo l’été dernier : « Des rumeurs bruissaient de plus en plus, venant de l’Est du réseau. »

Toujours aucune réponse officielle et des mails laconiques aux artistes

La réponse de Julien Hohl (que nous avons pu lire) aux mails des artistes la semaine dernière « ressemble à une réponse d’avocat », nous explique l’un d’entre eux, avec la même phrase ou presque, à la fin : « La situation dépeinte dans l’article ne reflète pas la réalité et nous ne nous reconnaissons pas là-dedans. » 

À propos des ruptures de contrat, Julien Hohl ou son associée, Lisa Annicchiarico, ont simplement répondu par mail, et parfois par téléphone : « Vous pouvez partir, aucun problème ». Réponse étrange, puisque les contrats d’artistes sont en principe extrêmement contraignants et difficiles à rompre. 

Un avocat contacté par plusieurs groupes, et qui souhaite rester anonyme, confirme : « Juridiquement, c’est loin d’être acceptable, encore moins lorsque les choses se font au téléphone. C’est très flou, on ne sait pas qui s’exprime au nom de Deaf Rock, c’est très embêtant. On ne sait même pas qui est habilité à nous répondre, puisque Julien Hohl est officiellement démissionnaire. » Le jeune patron a en effet « quitté ses fonctions » la semaine dernière, mais reste actionnaire et donc décisionnaire dans son label.

Contacté à nouveau la semaine dernière, Julien Hohl n’a pas souhaité répondre à nos questions.


#agressions sexuelles

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