Le Ried centre Alsace, ou Grand Ried, un territoire d’une petite cinquantaine de kilomètres carrés allant de Gerstheim au nord à Andolsheim au sud, est désormais une « zone d’alerte eaux souterraines ». Le 8 juin, les préfectures du Bas-Rhin et du Haut-Rhin ont publié un arrêté interdépartemental qui fixe de nouvelles règles pour les périodes de sécheresse. « Les niveaux des eaux souterraines sont désormais pris en compte pour établir les seuils d’alerte », résume Victor Haumesser, responsable de la communication pour l’observatoire de la nappe d’Alsace (Aprona).
Dans une étude de 2019, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a démontré que l’irrigation dans le Ried est responsable d’une baisse du niveau de la nappe phréatique (voir notre article dédié) de 30 à 70% selon les points, d’où la nécessité de réguler ces pompages massifs. Le nouvel arrêté est aussi lié à l’observation d’assèchements de cours d’eau dans la zone depuis 2015, avec des conséquences funestes sur les végétaux et les animaux.
L’ancienne réglementation était inadaptée dans le Ried
Jusqu’à cette année, les mesures contre la sécheresse étaient décidées en fonction des débits moyens des principaux cours d’eau alsaciens. Mais les ruisseaux du Ried sont directement alimentés par la nappe phréatique. Ils pouvaient donc se vider à cause de l’abaissement du niveau de la nappe sans que les agriculteurs n’aient de restrictions sur l’irrigation.
Le BRGM souligne que les données sur les quantités d’eau prélevées pour l’irrigation dans le Ried font défaut. Mais il remarque que selon le registre parcellaire graphique qui répertorie les cultures sur le territoire français, le maïs couvre 60% des zones cultivées du Grand Ried. Cette céréale demande de grandes quantités d’eau au plus fort de l’été.
Secrétaire général de la FDSEA, le syndicat agricole majoritaire, et lui-même producteur de maïs dans le Ried, Gérard Lorber se refuse à donner un chiffre sur les besoins en eau par hectare de maïs : « Cela dépend de la parcelle et de la météo, c’est très variable. » De manière générale, en France, environ 18% de toute l’eau consommée sert à l’irrigation du maïs.
Et dans le Ried, les besoins sont particulièrement importants : « Les sols ne retiennent pas du tout l’eau car ils sont peu profonds et gravilloneux, l’irrigation est indispensable », assure Gérard Lorber, qui craint les conséquences de la nouvelle réglementation. Yannis Baltzer, président du syndicat des Jeunes agriculteurs, affilié à la FDSEA, explique pourquoi la culture du maïs est particulièrement développée dans cette région, au sud de Strasbourg :
« Les champs peuvent s’inonder en hiver et au printemps. Cette année, en avril, il y avait encore de l’eau sur les parcelles. Pour le maïs, les semis se font tard (de mars à juin, NDLR), ils ne risquent pas d’être noyés, contrairement au blé. »
Des mesures graduelles
La préfecture du Bas-Rhin précise que ces mesures de restriction sont prévues pour « les pompages d’irrigation dans la nappe phréatique, situés à moins de 200 m des cours d’eau phréatiques ». Elles se mettent en place graduellement selon le niveau de la nappe qui détermine quatre échelons : « vigilance », « alerte », « alerte renforcée » et « crise ». Plus le niveau de la nappe est bas, plus on passe à un échelon qui entraine des restrictions.
Par exemple, dans le secteur nord du Grand Ried, aux alentours de Rossfeld, si le niveau de la nappe est inférieur à 157,19 mètres NGF (au dessus du niveau de la mer), on passe à l’échelon « vigilance », qui n’entraine que des mesures de communication. Ensuite, si le niveau de la nappe passe en dessous de 157,13 mètres NGF, l’échelon « alerte » est enclenché, entrainant des mesures de limitation des prélèvements variables (limitations horaires, volume…), etc…
39 jours d’affilée sans pluie
L’irrigation par aspersion n’est interdite qu’en cas d’activation de l’échelon « crise », « motivé par la nécessité de réserver les capacités de la ressource pour l’alimentation en eau potable des populations », selon l’arrêté interdépartemental.
Même si les agriculteurs ont pu continuer à irriguer début juin, d’après Julien Werckmann, de l’association Météo suivi Alsace, un épisode de sécheresse particulièrement long a déjà eu lieu cette année :
« Avant la soirée du dimanche 18 juin, il n’avait pas plu depuis 39 jours au niveau de la station de relevés d’Entzheim. On a presque atteint le record de 46 jours qui date de 1969. D’habitude, ces longues périodes sans pluie ont lieu en hiver, une saison propice à la formation d’anticyclones. Les sécheresses estivales créent un stress hydrique chez les plantes. Là, on a déjà eu un épisode important en début d’été, les sols sont anormalement secs. C’est inquiétant parce qu’il y a les mois de juillet et août qui suivent. »
Dans son étude, le BRGM constate que « certaines zones pourraient voir leur apport via la nappe de plus en plus limité, entrainant un besoin sans fin en irrigation pour certaines cultures ». Autrement dit, comme les conditions globales changent, avec des sécheresses estivales récurrentes, les pratiques agricoles nécessitant beaucoup d’eau semblent compromises à long terme. Le service géologique national souligne que les acteurs du secteur du Grand Ried sont « peu habitués à une gestion quantitative de l’eau souterraine en raison de la présence » de la nappe phréatique, ressource auparavant abondante.
Changer de cultures ?
Le Schéma d’aménagement de gestion des eaux (Sage) a initié l’élaboration d’un projet de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) dans le Grand Ried. Il s’agit d’une démarche visant à modifier les pratiques agricoles locales pour les adapter au changement climatique et à la sécheresse.
Ce PTGE est censé « identifier les productions nouvelles possibles (notamment leurs débouchés effectifs), et le cas échéant les filières à développer (…) dans une logique de développement durable, fondée notamment sur la transition agro-écologique, (par exemple : les exploitations de polyculture-élevage) ». Des aides de l’Agence de l’eau sont prévues pour financer ces changements de pratiques et la structuration de nouvelles activités. Daniel Reininger, en charge des questions liées à l’eau pour l’association Alsace Nature, participe aux réunions pour la mise en place du PTGE depuis 2020 :
« Continuer la production de maïs dans le Ried n’a plus de sens, mais la FDSEA et les Jeunes agriculteurs défendent ce modèle car c’est une filière économique très implantée. Pour nous, il faut revenir au bon sens paysan, en cultivant des espèces adaptées au territoire. Le mieux serait de passer à la production de foin, de luzerne ou de silphie, qui sont des cultures ne nécessitant pas d’irrigation ni de pesticides. »
Mais le PTGE est encore loin d’avoir des implications concrètes. « Plusieurs études sont en cours, on n’en voit pas le bout », expose Daniel Reininger. Les changements de pratiques agricoles sont pourtant urgents pour que les exploitants du Ried puissent maintenir une activité malgré les sécheresses.
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