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À Schnersheim, l’impossible dialogue entre habitants et agriculteurs autour d’un élevage de 1 200 porcs

D’un côté, Maxime Lux, fils d’éleveurs, veut poursuivre l’activité familiale. Son projet : construire un élevage de 1 200 cochons, sur paille, pour assurer son emploi. De l’autre, des citoyens du village s’opposent à cette nouvelle porcherie industrielle. Malgré leurs demandes répétées, aucune réunion publique n’est organisée.

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Maxime Lux est déterminé. Il cherche à installer un élevage de 1 200 porcs sur paille à Schnersheim, à 20 km à l’ouest de Strasbourg. Selon lui, cette installation sera « avant-gardiste » pour le bien-être animal.

Mais des membres de Kochersberg, Action, Sauvegarde et Environnement (KASE) ont distribué des tracts hostiles à son projet dans les boîtes aux lettres pendant l’été 2020. Dessus, on peut lire des réactions d’habitants répertoriées par l’association : « Déjà des milliers de cochons sur zone… Faut-il encore en rajouter ? », « Tout ce lisier, c’est forcément des nitrates en plus dans l’eau de la Souffel ! » L’association, établie dans plusieurs communes voisines, regroupe 70 foyers adhérents, « dont une trentaine dans le village » selon Sylvie (prénom modifié), membre active :

« On se sent dépassés, sidérés par cette situation. Ces 1 200 porcs sur paille élevés industriellement, c’est censé être le progrès ? Nous avons de nombreux soutiens. Certaines personnes s’opposent au concept d’élevage intensif. D’autres critiquent l’emplacement de la porcherie, qui serait très visible et dans une zone pour le moment épargnée par les bâtiments agricoles autour de Schnersheim. »

La paille, c’est « moins pire » que le standard

« Je comprends que des écologistes s’opposent. Oui, les cochons sont toujours considérés comme une ressource à rentabiliser, c’est de la zootechnie, » considère Anne Vonesch. Cependant, l’ancienne vice-présidente d’Alsace Nature et membre du groupe de dialogue civil sur les productions animales à la Commission européenne ne s’opposera pas à cet élevage :

« Depuis 20 ans, je me bats pour que les éleveurs se mettent à l’élevage sur paille. Évidemment, l’idéal serait que l’élevage industriel disparaisse complètement. Il faut comprendre qu’on part de très loin. La paille, c’est moins pire que le standard, et c’est encore archi minoritaire. J’encourage la démarche des Lux, même si ça reste très industriel. »

Dans les élevages conventionnels, les caillebotis sont inconfortables à l’appui et au couchage pour les animaux. (Photo remise par l’association L214 prise dans un élevage en Bretagne en 2013)
Dans les élevages conventionnels, les caillebotis sont inconfortables à l’appui et au couchage pour les animaux. (Photo remise par l’association L214 prises dans un élevage en Bretagne en 2019)

« On fait ce qu’il faut pour vivre de l’élevage »

Né dans cette commune de 800 habitants, Maxime Lux, 24 ans, veut rejoindre l’exploitation familiale. Ses parents, bientôt à la retraite, et son grand frère, Jérémie, 33 ans, gèrent une maternité de 250 truies. Ils engraissent la moitié des porcelets en élevage standard et vendent les autres à des exploitants.

Maxime est de trop pour l’instant. Il doit travailler dans une usine de méthanisation pour gagner sa vie. Selon lui, « une extension avec 1 200 bêtes, c’est le minimum. » Le plan d’entreprise qu’il a présenté à la Chambre d’Agriculture prévoit qu’il se paie, au niveau du SMIC, au bout de 4 ans d’activité :

« Nous sommes des éleveurs. Nous faisons donc ce qu’il faut pour en vivre sur le long terme. Les marges pratiquées par les intermédiaires et la grande distribution nous obligent à produire beaucoup. C’est la réalité du monde agricole aujourd’hui. »

Comme dans les autres maternités, les 250 truies des Lux ont une vie divisée en cycles de 21 semaines. Elles sont inséminées artificiellement, ont une période de gestation de 16 semaines, et mettent bas. Ensuite, pendant 4 semaines, elles allaitent leurs porcelets comme sur les photos ci-dessus, dans une installation qui les empêche de se retourner. Après le sevrage, elles auront une petite semaine avant d’être à nouveau inséminées et de recommencer le cycle. (Photos remises par l’association L214 prises dans un élevage en Bretagne en 2013)

Refus d’une réunion publique

« Cette porcherie est conséquente et aura un impact sur le village, mais les citoyens n’ont pas leur mot à dire, » s’insurge Sylvie :

« Après avoir envoyé des courriers à la maire à deux reprises pour demander la tenue d’une réunion publique de présentation du projet, nous n’avons pas reçu de réponse. Les agriculteurs montent des projets en cachette, sans discussion. Qu’est-ce que ça veut dire ? C’est anti-démocratique. Nous refusons cette manière de faire. »

Le projet de porcherie a été présenté par Maxime et Jérémie Lux lors du conseil municipal du 22 juillet. La maire (sans étiquette), Denise Boehler, affirme que « la crise sanitaire rend difficile l’organisation d’une réunion publique. » En outre, les exploitants ont exprimé leur opposition à l’organisation d’un tel événement selon elle. Maxime Lux se justifie :

« On a donné notre numéro de téléphone pendant le conseil municipal. Oui pour répondre aux questions de celles et ceux qui nous appellent, non pour organiser une réunion. On sait que certains, comme l’association KASE, ne sont pas dans le dialogue. Ils veulent juste descendre le projet. »

Le Kochersberg est une région très agricole à l’ouest de Strasbourg. (Photo TV / Rue89 Strasbourg / cc)

Les porcs sont envoyés à l’abattoir à 6 mois

Schnersheim compte déjà 4 sites d’élevage industriel : 2 porcheries, dont la première de la famille Lux, un poulailler et une exploitation laitière. Le paysage autour du village est composé essentiellement de cultures intensives et de bâtiments agricoles. Pour Rue89 Strasbourg, Maxime et Jérémie Lux détaillent le fonctionnement de leur future exploitation :

« Les porcs vont naître dans la maternité qui existe déjà. En 4 semaines, ils atteindront 8 kg. Là ils seront sevrés et amenés sur le site d’élevage sur paille qui sera composé de deux bâtiments de 400 et 800 places. Pour la phase post-sevrage, on les placera dans un compartiment chauffé où ils auront une surface d’environ 0,7 m² par bête. Cinq à six semaines plus tard, ils pèseront 25 kg et seront alors placés en engraissement, la dernière phase. Elle durera 4 mois et demi avec une surface de 1,2 m² par porc. Ensuite, âgés de 6 mois, ils seront envoyés à l’abattoir avec un poids de 120 kg. »

Les frères Lux estiment que cette vidéo rend compte de l’élevage qu’ils comptent mettre en place. Les porcs voient la lumière du jour mais n’ont pas accès à l’extérieur. (Vidéo Arcanne Constructions / YouTube)

Le viande de porc est la plus consommée en France

En France, 95% des élevages porcins se font de manière standard, sur caillebotis. Les élevages sur paille ne représentent que 5% des exploitations. Dans la majorité des porcheries, les éleveurs sont obligés de couper la queue des porcelets 2 ou 4 jours après leur naissance. Sinon, ils se la mangent car ils développent des comportements agressifs. Cette pratique n’est pas nécessaire dans les élevages sur paille. Anne Vonesch détaille :

« Les cochons passent leur temps à explorer la paille avec leur groin ou à la mâchonner. Ce sont des comportements de base pour eux. Le fait qu’ils puissent les réaliser limite les attitudes agressives. C’est un enrichissement qui améliore leur vie donc on est pragmatiques et on soutient ça. Malheureusement, souvent, on observe qu’il n’y a pas assez de paille. »

Du côté d’Ittlenheim, à quelques centaines de mètres de l’exploitation des Lux, un paysan élève déjà des porcs sur paille. Maxime et Jérémie assurent qu’ils mettront plus de litière que leur voisin. (Photos TV / Rue89 Strasbourg / cc)

« Tout le monde veut de la viande locale, de bonne qualité. On souhaite répondre à cette demande. Il faut donc qu’on produise beaucoup, » affirme Jérémie Lux. La viande de porc est la plus consommée des français avec 33 kilos par habitant et par an. Plus de 24 millions de cochons sont abattus chaque année dans le pays. En Alsace, on compte 280 élevages dont une soixantaine avec plus de 200 porcs. Mais d’après les données de FranceAgriMer, depuis 2010, la consommation de viande de porc diminue tous les ans, pour atteindre une baisse de 20% en 2020.

Une prise de risque pour les Lux

Dans un contexte où ils sont minoritaires, selon Maxime et Jérémie Lux, leur démarche est une prise de risque :

« On va investir 800 000 euros dans les bâtiments, sans savoir exactement comment on pourra vendre notre production. Comme elle coûtera plus cher, on devra sortir des circuits de commercialisation classiques. On s’inscrit exactement dans le cadre du Label rouge mais pour le moment, cette filière n’existe pas en Alsace pour le porc. »

La production industrielle soutenue par la PAC

Anne Vonesch constate « une grande inertie dans l’évolution des pratiques » :

« La réalité du monde agricole est très éloignée des revendications écologistes. À Schnersheim comme ailleurs en Europe, on s’inscrit dans un contexte politique où l’agriculture industrielle est encore massivement soutenue par des fonds publics, notamment à cause de la pression des entreprises du secteur de l’agroalimentaire à travers leurs lobbies. »

La Politique Agricole Commune (PAC) est dotée d’un budget qui correspond à 40% de celui de l’Union Européenne (62,4 milliards d’euros pour la France, ndlr). Cet argent est distribué en subventions aux agriculteurs. La PAC finance entres autres le Plan de compétitivité et d’adaptation des exploitations agricoles (PCAE), pensé notamment pour l’élevage et ses coûts d’investissement. Ainsi, Maxime et Jérémie Lux doivent recevoir 100 000 euros de subvention dans le cadre du PCAE pour l’extension de leur porcherie. « Mécaniquement, tout pousse vers l’industrialisation, » analyse Anne Vonesch.

Selon le syndicat de la Confédération paysanne, la France est passée de 514 000 à 448 500 exploitants de 2008 à 2019. Elle explique ce déclin par le modèle de la PAC qui pousse selon elle vers « la concentration, l’agrandissement, la spécialisation, et l’industrialisation de la production agricole. » Les règles de la nouvelle PAC, qui entrera en vigueur en 2023, viennent d’être revues par les ministres de l’Agriculture des pays de l’UE. Elles devraient davantage prendre en compte des critères écologiques..

C’est sur ce champ que les frères Lux aimeraient construire leur porcherie. (Photo / Rue89 Strasbourg / cc)

L’accès à la terre, un parcours du combattant

Jérémie Lux travaille 65 heures par semaine sur l’exploitation. Plus tard, ça sera le cas de Maxime. Les deux frères se confrontent aux difficultés de l’activité agricole : « Rien que pour accéder à un terrain, c’est la croix et la bannière. Et encore, on est du village et on avait déjà des terres. » Ils ont acheté la parcelle sur laquelle ils veulent construire leur élevage pendant l’hiver 2019.

Jean-François Vierling est maraîcher à Schnersheim, et propriétaire du champ voisin. Il souhaite aux jeunes éleveurs de monter leur projet mais ailleurs :

« J’ai appris aux alentours du 20 juillet qu’ils avaient acheté ce terrain à côté du mien pour leur porcherie. Depuis les années 80, j’ai investi mon champ et installé un système d’irrigation en goutte-à-goutte. Maintenant, j’y cultive de l’ail, de l’épeautre, des patates douces, du céleri, des artichauts… Et je projette de planter des haies et des arbres fruitiers, pour faire de l’agroécologie. Nous sommes en plein remembrement. Leur parcelle m’aurait intéressée. J’aurais trouvé normal qu’ils dialoguent avec moi. C’est difficile de se lancer pour des jeunes, on le sait. Au conseil municipal, on leur a proposé un autre endroit. »

Mais Jérémie Lux rétorque que cet emplacement-là est plus adapté :

« Le terrain qu’on nous propose se trouve juste à côté d’une ligne électrique. On ne sait pas ce que ça peut avoir comme impact pour les animaux. Forcément, on réfléchit à deux fois. Vous savez, notre projet, c’est pour les 40 prochaines années. »

Schnersheim, son clocher, et ses hangars agricoles. (Photo TV / Rue89 Strasbourg / cc)

« Là, nous recherchons le compromis, »

Opposante, Sylvie tient à préciser qu’elle n’est « pas contre l’installation de jeunes agriculteurs » :

« Majoritairement, le bureau de KASE est constitué d’enfants ou de petits enfants de paysans. Personnellement, j’ai grandi à la campagne. Nous connaissons ce milieu rural. Cela ne nous empêche pas de réinterroger la production intensive massivement pratiquée dans le Kochersberg. À ce stade, nous sommes dans une recherche de compromis. Nous voulons être inclus dans la discussion et imposer la transparence aux futurs éleveurs. »

Denise Boehler, la maire du village, entrée en fonction suite aux dernières élections, est déjà confrontée à un sujet brûlant. (Photo TV / Rue89 Strasbourg / cc)

Un premier permis de construire refusé

Pour le moment, le projet prend du retard. Le 20 octobre, la maire a délivré un avis négatif à la demande de permis de construire :

« S’ils acceptent l’autre emplacement, je pourrai leur donner le permis de construire. J’ai bon espoir qu’ils choisissent cette option. »

Comme le projet n’est pas encore accepté par la commune, la subvention PCAE de 100 000 euros, qui doit être votée par la Région, est également bloquée. Le dépôt des demandes pour 2021 devait être fait avant le 30 septembre 2020. Joint au téléphone, Patrick Bastian, élu à la Région en charge de l’Agriculture, explique cependant que « le dossier des Lux sera prioritaire » lorsqu’un permis de construire sera délivré. « Ils pourront repostuler l’année prochaine. La Région fera ce qu’il faut ».


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