C’est d’ordinaire si rare. Depuis quelques mois à Strasbourg, des programmations de concerts et autres soirées s’approchent de la parité. Quatre femmes programmées pour cinq hommes aux Pelouses Électroniques le 11 septembre. Lors du festival Ososphère, la soirée du jeudi 23 septembre (avec les artistes Ascendant Vierge et Béatrice) a permis à l’égalité homme-femme de s’exprimer. Du côté de la Péniche Mécanique, certaines soirées sont entièrement dédiées aux DJ femmes ou non-binaires.
Ce changement profond ne serait peut-être pas survenu sans un activisme féministe structuré autour de plusieurs associations et autres collectifs locaux (TMB, Wom.x, Les Daron.n.es). Leur objectif : mettre fin à l’hégémonie masculine sur la scène électro pour atteindre la parité dans la programmation et dénoncer les violences sexistes et sexuelles dans le milieu.
Tu Mixes Bien… pour une fille : le combat politique
« TMB (Tu Mixes Bien…), c’est une manière de dire : « Il y a un problème de sexisme dans la scène électro, regardez-le bien en face », résume Mathilde, DJ depuis deux ans et membre du collectif féministe. La page Instagram « tumixesbien », lancée par la DJ strasbourgeoise Saint Misère, est suivie par plus de 2 500 personnes. Ce compte publie des phrases sexistes rapportées par des artistes féminines, comme par exemple « La musique est pas ouf, mais t’es jolie donc ça passe », ou encore « Quand on te voit comme ça, on aurait jamais pensé que tu réussirais à mixer ».
Pour Melissa, pianiste diplômée du conservatoire de Boston, DJ et membre de ce collectif, cet activisme est d’autant plus important dans le monde de la musique électronique :
« Les machines sont produites pour un public masculin, les entreprises qui les vendent s’adressent surtout aux hommes. C’est ancré dans l’imaginaire, les ordinateurs, les câbles, ce qui est technique est forcément du ressort d’un mec. »
Des statistiques claires sur l’inégalité homme-femme
Mathilde, aussi connue comme DJ sous le nom de Xanass, abonde :
« À la suite du mouvement MeToo, il y a eu le MeToo de la musique, puis on a décidé de faire le MeToo de l’électro. C’est encore plus important de le faire dans des secteurs où l’on ne s’y attend pas, où ces problématiques sont cachées sous couvert du progressisme cool. »
Au-delà des publications Instagram, TMB confronte la scène électronique à son machisme par des faits. Pendant plusieurs mois, le collectif a collecté des données sur la programmation des lieux festifs et autres festivals strasbourgeois en remontant sur plusieurs années. Les résultats de cette étude seront dévoilés lors d’une conférence de presse vendredi 1er octobre. Une partie de l’analyse porte ainsi sur les festivals Ososphère, Contretemps et Longevity en 2019. Elle dévoile que 84,8% des artistes programmés étaient des hommes (195 hommes sur 230 artistes).
Wom·x : initiation et mise en confiance
Lancé en juillet 2021, le collectif Wom·x s’adresse aux femmes, aux personnes trans ou non-binaires qui souhaitent se lancer dans la musique électronique. Les sessions d’initiation ont lieu deux fois par mois, le samedi ou le dimanche. Elles commencent par un apprentissage des bases sur les consoles, avec Wesh, DJ et cofondatrice de Wom·x :
« Je suis professeure depuis pas mal d’années, notamment à la Longevity Music School (à Strasbourg, ndlr), je me suis rendu compte à quel point les filles osent moins lorsqu’elles sont en présence d’autres hommes. C’est hyper frustrant en tant que prof. »
L’atelier se poursuit avec l’autre cofondatrice du collectif, Céline Petrovic. Formatrice et spécialiste des questions d’égalité professionnelle, elle apporte un éclairage historique, sociologique et légal sur les questions de violences sexistes et sexuelles. L’ancienne présidente du festival Contretemps explique :
« Cet échange permet aux participantes de prendre conscience du fait que le sexisme est une idéologie qui nous traverse. Face à une remarque sexiste, elles sauront mieux éviter de le prendre personnellement. »
En début de soirée, les DJ peuvent ensuite s’essayer à une première performance en public sur la terrasse de la Péniche Mécanique. Puis il y a un DJ set d’une artiste strasbourgeoise dans la cale du bateau. « À la fin de la journée, explique Céline Pietrovic, un groupe de solidarité entre meufs s’est constitué. Elles savent qu’elles peuvent avoir du soutien des autres et ça renforce leur estime d’elles. »
Une initiation et un accompagnement jusqu’à la programmation
« J’ai été étonnée par le nombre de DJ qui jouaient juste chez elles », s’étonne la cofondatrice de Wom·x. Au-delà de la soirée à la Péniche Mécanique, le collectif accompagne les artistes formées pour se produire à Strasbourg. Wesh donne l’exemple de Post Traumatic, « notre bébé Wom·x, qui a fait nos premiers ateliers et qui est déjà programmée à la Kulture, sur la radio ODC, à la Faîte (un lieu festif dans les Vosges, ndlr) et qui jouera à l’Elastic pour nos 24 heures du mix. »
Pour poursuivre la dynamique initiée par Wom·x, la Longevity Music School a aussi décidé d’organiser des formations. Elles s’adressent à un public moins débutant, dans le domaine de la production musicale. La DJ parisienne Marina Trench animera des ateliers dédiés aux femmes pendant cinq jours, à raison de sept heures par jour. « Sur les 250 élèves qu’on a sur les trois formations en une année, 20% sont des femmes », constate Samuel Compion, responsable communication de l’établissement. La première session « Beatz by girlz » aura lieu fin octobre. Elle coûte 300 euros par semaine.
Les Daron.es, pour une fête plus sûre
Une dernière initiative complète ce panorama du mouvement féministe dans la scène électro. À l’initiative de Margot Collet, deux réunions ont eu lieu au courant du mois de septembre afin de lutter contre les violences sexistes et sexuelles lors des fêtes électro. Le collectif « Les Daron.es » mènera sa première action lors des 24 heures du mix, organisée par TMB et Wom·x.
Avec pour mot d’ordre « bienveillance et non-violence », quatorze bénévoles seront présents pour venir en aide à des victimes d’agissements sexistes ou d’agressions sexuelles. Identifiables par un brassard, les militantes pour une fête sûre pour les femmes et autres membres de minorités pourront aussi interpeller un agresseur :
« Si une personne nous est désignée comme problématique, nous irons la voir pour lui faire comprendre ce qui ne va pas. Cela arrive de ne pas se rendre pas compte de son comportement. Mais si on sent que la personne ne nous écoute pas, on pourra faire appel à la sécurité. »
Arrivée à Strasbourg il y a un an, Margot Collet estime avoir bénéficié d’un contexte encourageant dans la capitale alsacienne :
« Je n’ai jamais vu autant de programmation avec des femmes qu’ici. Et puis il y a une vraie entraide entre les différentes initiatives. C’est cette synergie qui m’a poussée à aller plus loin dans mon projet. À l’échelle de toute la France, je placerai Strasbourg en première place au niveau de l’ouverture de la scène festive au féminisme. »
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