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Sans-papiers : la gauche continue d’expulser

Deux circulaires, une nouvelle loi, la fin d’année 2012 a été riche en nouveautés pour les sans-papiers. L’arrivée au pouvoir des socialistes  marque-t-elle un revirement de la politique envers les personnes en situation irrégulière ? A Strasbourg, force est de constater que le changement n’a pas encore eu lieu. La machine à expulser continue de fonctionner.

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Samedi 12 janvier à Strasbourg : rassemblement en soutien aux sans-papiers de Lille "Valls les laisse mourir, Hollande regarde ailleurs" (Photo JT)

Vendredi 11 janvier, 17 h, Strasbourg. Me François Zind est appelé par l’association Themis. Il doit prendre en charge la défense d’un mineur isolé tchadien. Âgé de 17 ans et sans papier d’identité, il vient de se voir notifier une obligation de quitter le territoire français (OQTF)  délivrée par le préfet, au motif que son âge ne peut être vérifié. C’est l’aide sociale à l’enfance (ASE) qui a alerté le procureur.

Samedi 12 janvier, 15h, Strasbourg. 80 personnes manifestent en soutien à une quarantaine de sans-papiers en grève de la faim à Lille. Le cortège qui comptait se rendre à la préfecture se fait arrêter par la police place Broglie. Nous sommes en 2011 ? Ah non, pardon! Nous sommes en 2013 sous un gouvernement socialiste.

Des mesures symboliques

Pendant sa campagne, François Hollande avait promis des « régularisations au cas par cas, sur la base de critères objectifs ». Depuis son arrivée à l’Elysée, un certain nombre de mesures ont été prises par le gouvernement concernant les sans-papiers. Première promesse tenue, la circulaire Guéant sur les étudiants étrangers est abrogée un an jour pour jour après sa publication. Ce texte restreignait la possibilité pour les étudiants diplômés étrangers d’exercer un premier emploi en France. Une mesure qui soulage Françoise Poujoulet, présidente de la Cimade à Strasbourg :

« Ces dernières années, nous recevions beaucoup d’étudiants désemparés qui se retrouvaient avec une OQTF  en plein milieu de leurs études. D’autres décisions que nous attendions de longue date ont été prises, mais la plupart relèvent du symbolique, de la suppression de symboles négatifs. Par exemple,  le gouvernement a supprimé la franchise de 30 euros que les étrangers en situation irrégulière devaient payer pour pouvoir bénéficier de l’aide médicale  d’Etat (AME). Le délit de solidarité et d’aide au séjour irrégulier a été abrogé. Arno Klarsfeld, proche de Nicolas Sarkozy, qui dirigeait l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) vient d’être évincé cette semaine. Surtout, la circulaire du 6 juillet remplace la rétention des familles par l’assignation à résidence. »

Une avancée importante selon la direction de la communication de l’Ordre de Malte, également présent dans les centres de rétention, si elle était totalement appliquée dans la pratique:

« Nous avons eu des cas de familles retenues dans des centres de rétention (CRA) au Mesnil-Amelot et à Metz. Cet été, à Strasbourg, une femme enceinte de 6 mois, maman de deux enfants de 7 et 8 ans a été placée en rétention au CRA de Geispolsheim. Les deux enfants se sont retrouvés sans aucune responsabilité parentale. Nous avons dû faire une saisie du défenseur des droits, du ministère de l’Intérieur et du juge des libertés et de la détention (JLD) pour que la préfecture revienne sur sa décision. »

Autre changement, la loi du 31 décembre 2012 remplace la garde-à-vue au motif d’absence de papiers d’identités par une retenue de 16 heures maximum.  Mais cette mesure ne vient pas du gouvernement : la France a été contrainte par la Cour de justice de l’union européenne (CJUE) et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui ont prononcé des arrêts jugeant la garde-à-vue illégale pour le seul motif de séjour irrégulier. Même pour la retenue, les policiers doivent désormais stipuler le droit à la présence d’un avocat.

Pour les avocats et les associations, le gouvernement n’est pas encore allé assez loin. Pour Me Séverine Rudloff , le gouvernement aurait pu, par exemple, supprimer entièrement les taxes sur les titres de séjour dans la nouvelle loi de finance. Ces taxes, abaissées de 110 à 50€, constituent un frein financier réel pour déposer une demande de séjour. Résultat, ce sont les associations qui paient ou les personnes s’endettent auprès d’un tiers.

Au bon vouloir du préfet

A la fin du  mois de novembre, c’ est au tour de la question de la régularisation d’être abordée avec la circulaire de Manuel Valls. Ce texte permet désormais aux parents d’enfants scolarisés d’être admissibles à la régularisation s’ils sont présents en France depuis plus de 5 ans et leurs enfants scolarisés depuis 3 ans.  Les cas des jeunes majeurs entrés illégalement en France pendant leur minorité,  des victimes de violence conjugale et de traite sont aussi mentionnés.

Les travailleurs peuvent quant à eux être régularisés sur présentation d’un certificat de travail ou d’une promesse d’embauche ou s’ils ont une ancienneté significative en France : 5 ans « dans l’hypothèse générale » selon la préfecture du Bas-Rhin et une ancienneté significative dans le travail. Vivianne Chevallier, chargée de communication de la préfecture de Région à Strasbourg, précise :

« Une connaissance orale élémentaire de la langue française est exigée et sont exclus de l’admission au séjour les personnes constituant une menace pour l’ordre public ou qui se retrouveraient en situation de polygamie. »

Pour les acteurs de la défense des sans papiers, cette circulaire n’aura un effet qu’à la condition que les préfets en aient une lecture souple. Me François Zind, pointe quelques défauts du texte :

« Le fait d’agir par circulaire permet une action rapide, c’est un avantage. En théorie, la préfecture a 4 mois pour répondre à une demande de régularisation. Le problème, c’est qu’une circulaire n’a pas de force légale et n’est pas opposable. L’interprétation du texte dépend du bon vouloir du préfet. Tout est au conditionnel, avec des formules comme « vous pourrez apprécier ». On reste dans l’arbitraire. Un autre problème, ce sont les justificatifs demandés : domiciliation effective, fiches de paies ce qui ne prend pas en compte le problème du travail au noir. Pour les travailleurs c’est insensé personne ne rentre dans les critères. Heureusement, la circulaire n’impose pas de délai pour le dépôt des dossiers. »

Pour les personnes qui ne rentrent pas dans les critères de la circulaire, c’est la loi commune qui s’applique. La loi Besson sur l’immigration de 2011 est toujours en vigueur : durée de rétention allongée de 32 à 45 jours, intervention du juge des libertés et de la détention dans les 5 jours au lieu de 2 (25% des personnes placées en rétention sont expulsées avant de l’avoir vu), enfin le délai de contestation de l’OQTF raccourci à 48h au lieu d’un mois auparavant. Pour Me Zind, la conclusion :

« Il n’y a pas de projet de loi en cours pour remédier à la machine à expulsion. Nous sommes toujours dans une logique institutionnelle d’exclusion. »

L’étranger toujours perçu comme une menace

Dans le Bas-Rhin, la préfecture s’est organisée pour faire face à la demande et assure qu’à réception d’un dossier complet, l’instruction sera conduite dans le délai maximum de quatre mois :

« Le gouvernement n’est pas engagé dans une politique de régularisation mais aucun quota n’a été donné aux préfectures. Seront admis au séjour, les étrangers qui remplissent les critères prévus. »

Malgré quelques ces avancées, sur le fond rien n’a changé notamment la manière d’appréhender la question de l’immigration irrégulière. Une situation révoltante pour Charles Boubel, porte-parole du Cercle de silence de Strasbourg :

« Pour moi, l’élément le plus symptomatique du non-changement de politique, c’est le remplacement de la garde-à-vue par une retenue de 16 h. On reste sur le socle d’une logique de protection vis-à-vis de l’étranger. Après l’arrêt de la cour de Cassation déclarant la garde-à-vue illégale pour la seule infraction de séjour irrégulier, les CRA se sont vidés de 20 à 30% selon les cas.  Y a-t-il eu une multiplication des problèmes liés aux étrangers ? La réponse est non, mais ce n’est pas pour autant que la posture du gouvernement a changé. C’est la même politique, mais cachée sous une couche de vernis voulant montrer un peu plus d’humanité. On continue à faire croire à une invasion alors que la France était en 2010 le pays de l’OCDE qui possédait le plus bas taux d’immigration, après le Japon ! »

L’administration s’adapte lentement

Autre problème majeur, le personnel administratif n’a pas changé. Me Séverine Rudloff estime que pour cette raison le changement ne peut pas être radical car les mentalités ne changent pas du jour au lendemain. Une position que partage Me François Zind pour qui il faudrait un cadre légal très précis et humanisé pour que les pratiques discriminatoires et racistes cessent :

« Le problème, c’est le traitement administratif de la question. Les magistrats des tribunaux administratifs sont habitués à des dossiers techniques dans lesquels il n’y a aucune dimension humaine, comme les problèmes fiscaux ou de permis de construire.  Le contentieux des étrangers encombrent leur tribunal (35% des affaires à Strasbourg en 2011), ça les ennuie. »

Sur le terrain, certaines associations observent tout de même un changement de climat. La police aux frontières rôde moins aux alentours des associations d’aide aux étrangers et demandeurs d’asile affirment Françoise Poujoulet de la Cimade  et Pascale Adam, présidente de CASAS, association d’aide aux demandeurs d’asile. Cette dernière raconte :

« L’autre matin, j’ai assisté à un contrôle de papiers dans le tram. C’est la première fois que j’assistais à un contrôle d’identité de tous les passagers et non à un contrôle au faciès. C’est des petits signes comme ça qui montrent une amélioration, mais il n’y a  pas de miracle. »

A Strasbourg, les associations dénoncent une politique qui n'a pas changée sur le fond.(Photo JT)

Pas de moratoire sur les expulsions

Me Séverine Rudloff, a aussi pu constater un changement d’attitude des forces de l’ordre en discutant avec des policiers de la PAF à la fin des audiences. Elle reconnaît que certains sont soulagés car la pression est moins forte, notamment en termes d’objectifs chiffrés. Cependant, les expulsions continuent et les personnes sont toujours enfermées en rétention :

« Tout reste une question de loterie pour les sans papiers. Nous voyons moins de motifs d’interpellations farfelus mais ils existent toujours, notamment dans le Haut-Rhin. »

Quant aux rapports avec les préfectures, les associations sont dans l’expectative. En effet, le nouveau préfet nommé fin octobre, Stéphane Bouillon, est l’ancien directeur de cabinet de Claude Guéant lorsqu’il était ministre de l’Intérieur.

Les associations de défense des sans papiers et demandeurs d’asiles ont constaté une hausse de la précarité parmi la population qu’elles reçoivent. Tout l’été, elles ont du faire face à des problèmes de logement pour des demandeurs d’asile et certaines familles déboutées. En septembre, 43 demandeurs d’asiles se sont retrouvés à la rue. Françoise Poujoulet témoigne d’ un phénomène nouveau : les difficultés de régularisation avec les personnes malades voulant bénéficier de l’AME. Me François Zind en explique les raisons :

« La restriction de l’accès au séjour des étrangers malades a été adoptée en Commission des lois en 2010. Depuis, c’est à l’avocat de fournir les preuves de l’impossibilité pour la personne d’ accéder aux soins dans son pays. Récemment, j’ai eu le cas d’un camerounais atteint de troubles psychiatriques. Alors qu’il y a cinq psychiatres pour vingt millions d’habitants, le tribunal m’a rétorqué que l’ambassade camerounaise avait fourni une liste des centres de soins existants… »

Strasbourg est aussi une ville très touchée par la venue de mineurs étrangers isolés. Ces trois derniers mois, il y a eu plus de 80 cas recensés. Systématiquement, l’Aide sociale à l’enfance  les signalent au procureur et dans une grande majorité des cas les jeunes étrangers sont expulsés. Alors même que l’Etat français a une obligation légale d’aide à l’enfance en danger s’insurge Me Zind.

Au final, la rupture avec la période précédente n’a pas encore eu lieu. Pour Françoise Poujoulet, la position du gouvernement se comprend car une majorité de Français est défavorable à l’immigration. Pour Charles Boubel, cela ne justifie pas le manque d’action :

« On attend une révision du Code du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) et surtout que la loi Besson de 2011 soit retoquée. Où sont passés les principes que la gauche défendait tant qu’elle était dans l’opposition ? Lorsque le projet de loi Besson a été mis sur la table en 2010, nous avions interrogé  le député Armand Jung sur sa position sur la politique migratoire française. Il avait répondu par un courrier de 3 pages :

Il y a une grosse différence entre son discours de l’époque et son attitude maintenant que la gauche est au pouvoir. »

Le Cercle de silence de Strasbourg compte interpeller très prochainement les nouveaux députés de la majorité.


#François Zind

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