À Strasbourg, le dispositif d’hébergement d’urgence est saturé depuis plusieurs années et de nombreux sans-abris qui demandent à être pris en charge, y compris des personnes malades, des femmes isolées, enceintes ou avec enfants, ne trouvent pas de solution. En 2022, la préfecture du Bas-Rhin supprime progressivement 1 000 places d’hébergement dont 700 à Strasbourg. Dans son projet de loi finances 2023, le gouvernement compte encore rayer 7 000 places supplémentaires en France, ce qui pourrait avoir de lourdes répercussions localement.
La tension liée au sans-abrisme augmente dans la capitale alsacienne, où de nombreux campements sont apparus ces derniers mois. Très visible, celui de la place de l’Étoile face au centre administratif capte le plus d’attention, mais d’autres, plus petits, se sont formés ailleurs dans la ville. L’État a pourtant, en théorie, l’obligation légale de proposer un hébergement d’urgence à toute personne vulnérable qui le demande, quelle que soit sa situation administrative. Des collectifs et associations militantes demandent à la municipalité écologiste, élue à Strasbourg en 2020, d’endosser cette responsabilité à la place de l’État et de réquisitionner ou mettre à disposition des bâtiments pour les sans-abris.
Trouver des financements autres que la préfecture
Une demande à laquelle la municipalité répond que son budget n’est pas prévu pour ça. Elle a tout de même créé 500 places (les 100 dernières sont en cours d’attribution) avec l’Eurométropole. Lors du mandat précédent, le maire Roland Ries (PS, passé chez LREM) avait accepté de créer 100 places à la mi-mandat, suite aux réclamations de Syamak Agha Babaei (Strasbourg écologiste et citoyenne), devenu premier adjoint de Jeanne Barseghian (EE-LV), la maire de Strasbourg.
Concrètement, de quels leviers d’action dispose une municipalité pour loger les sans-abris ? Pour la Ville de Montreuil (majorité communiste), située dans l’est parisien, un responsable du service communication donne des éléments de réponse :
« Ce dont disposent les municipalités, c’est du foncier. Il est envisageable de proposer des bâtiments, même provisoirement. À Montreuil, nous avons par exemple cédé, à un prix très bas, un immeuble à Caritas Habitat pour créer un centre d’hébergement d’urgence. Il a ouvert ses portes en mai 2022 et accueille aujourd’hui 60 personnes. Outre le bâti, il faut payer l’accompagnement social, le fonctionnement de la structure. Là, les financeurs sont la Direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement, Caritas Habitat, l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat et la Banque Postale. Tout la difficulté consiste à nouer des partenariats. »
Ce type de montage financier permet de ne pas dépendre de la préfecture. « Mais c’est beaucoup d’effort pour loger quelques dizaines de personnes. Comparé au nombre de sans-abris à loger, c’est dérisoire. Vues les échelles, on ne peut pas entièrement se passer de l’État », poursuit-on à la mairie de Montreuil.
Pour les élus municipaux strasbourgeois, investir trois millions d’euros pour créer 500 places d’hébergement est un gros effort. Le budget total de la Ville de Strasbourg est d’environ 417 millions d’euros et la situation financière de la collectivité se complique avec la crise énergétique. À titre de comparaison, la préfecture consacrait 49 millions d’euros en 2021 pour 10 000 places d’hébergement dans le Bas-Rhin.
Des dispositifs prévus en 2023
« On fait avec les moyens qu’on a, et bien-sûr ce n’est pas à la hauteur de l’urgence. Nous ne pourrons jamais nous substituer à l’État », estime Floriane Varieras, adjointe à la maire de Strasbourg en charge des solidarités. Elle liste les futures actions que la Ville compte mettre en œuvre :
« Nous avons réalisé un inventaire des bâtiments dans lesquels il serait possible de loger des sans-abris, sans nécessiter trop de travaux pour la mise aux normes. En décembre, nous communiquerons sur les résultats finaux de cette étude. Ainsi le foyer du jeune homme, avenue Jean Jaurès, accueillera 20 à 25 personnes isolées d’ici cet hiver. En 2023 et 2024, nous mettrons à disposition trois autres sites pour loger plusieurs centaines de personnes supplémentaires. Les montages financiers pour les investissements et le fonctionnement des structures sont encore à déterminer, mais nous souhaitons collaborer notamment avec la préfecture. »
L’hôtel de la rue, un hébergement d’urgence à bas coût
Véronique Brom était membre de l’association La Roue Tourne, association gérante de l’Hôtel de la rue. Ce squat reconverti en lieu d’hébergement d’urgence temporaire grâce à une convention d’occupation a accueilli entre 150 et 200 personnes à bas coût de août 2019 à septembre 2021. Véronique Brom estime que l’hébergement intercalaire, soit le fait d’investir des bâtiments entre deux phases d’utilisation, peut être une solution :
« Certains locaux restent vides plusieurs années. Une petite mise aux normes et les charges peuvent être payées par la collectivité, ça ne représente pas grand chose vu le nombre de personnes bénéficiaires. On ne peut pas refaire l’Hôtel de la rue, il y avait des problèmes de sécurité. Mais on peut s’en inspirer. On peut imaginer d’aller chercher des fonds européens gérés par la Région, récemment débloqués pour la lutte contre le sans-abrisme. Ces nouveaux dispositifs ne sont pas encore entrés dans la culture des acteurs locaux. »
« Les outils juridiques existent »
D’après Floriane Varieras, pour l’Hôtel de la Rue, la Ville a dû payer environ 150 000 euros pour les charges et une subvention à Caritas, qui est intervenu sur place. Véronique Étienne, directrice de l’agence Grand Est de la fondation Abbé Pierre, affirme que « de nombreux outils juridiques existent » :
« La loi Mobilisation pour le logement de 2009 encadre la mise à disposition de bâtiments, publics comme privés, pour un opérateur et les conventions d’occupation. Reste à monter les projets. Les contraintes sécuritaires existent mais les coûts peuvent être limités pour les respecter. Tout dépend du site. La régularisation du refuge des oubliés (un ancien squat à la Robertsau, NDLR) avait juste nécessité de petits travaux sur les circuits électriques et le chauffage. »
La Ville de Montreuil a internalisé de nombreux corps de métier. Des électriciens ou des plombiers sont des agents de la Ville : « Cela facilite beaucoup les petites interventions sur des bâtiments, c’est un atout non négligeable. La sous-traitance rend les processus plus longs et plus chers », évoque la municipalité francilienne.
Les immeubles HLM en instance de démolition
Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de l’association Droit au logement, pointe par exemple les nombreux appartements du parc social vides et en attente de démolition. Une phase qui peut durer plusieurs années. « Ils peuvent aussi représenter une solution temporaire », analyse-t-il. « C’est clairement quelque chose qu’on négocie », dévoile Floriane Varieras :
« Les bailleurs sociaux craignent de ne pas pouvoir démolir les bâtiments à la date prévue, car le programme du renouvellement urbain est serré. Pour l’instant, aucun projet n’est prévu mais c’est possible à moyen et long terme. »
Jean-Baptiste Roussat est membre de Caracol, une association qui crée justement des colocations sociales dans des immeubles en instance de démolition :
« Nous devons beaucoup travailler pour que les riverains et les anciens locataires acceptent cette situation. Ces derniers doivent partir et ils voient arriver de nouvelles personnes juste après. Ils peuvent se sentir lésés. Mais grâce à de la médiation, ils comprennent. La période est bien définie à l’avance, ce qui rassure aussi les bailleurs. C’est ainsi que nous avons lancé une colocation de 36 habitants rue Watteau à l’Elsau en septembre 2021. Elle durera jusqu’en mars 2023. Ensuite, l’immeuble sera détruit. »
La réquisition de bâtiment par le maire
Des militants sont d’avis que la Ville de Strasbourg pourrait réquisitionner des bâtiments vacants. Le pouvoir de police des maires leur confère ce droit, mais ils doivent justifier d’une situation d’urgence. En 2019, Montreuil a réquisitionné un bâtiment vide appartenant à l’État pour y loger des migrants qui vivaient dans un foyer insalubre. Une manière de gagner du temps, détaille-t-on du côté de la municipalité de l’Est parisien :
« Nous avons perdu devant le tribunal administratif qui a annulé notre arrêté de réquisition, mais nous assumons cette action radicale face à des situations intenables, et le temps que le tribunal juge, cela a fourni une solution de logement pendant quelques mois pour ces familles. »
Ainsi, la Ville de Strasbourg aurait le pouvoir de réquisitionner un bâtiment qui ne lui appartient pas, mais le tribunal administratif annulerait très probablement l’arrêté tôt ou tard. La problématique du financement reste donc la même qu’ailleurs et la durée de l’occupation est plus incertaine. De plus, la Ville prend un risque juridique et pour son image.
Pour certaines personnes, « la seule solution est le squat »
Jean-Baptiste Eyraud, de l’association Droit au logement, prône aussi la « réquisition citoyenne, le squat, lorsque les pouvoirs publics sont déficients ». « Malheureusement, cela devient la seule solution parfois », considère t-il. À Montreuil, la Ville assume une grande tolérance vis à vis des squats :
« Quand des personnes occupent des bâtiments municipaux, nous n’expulsons pas, à part si les personnes ne sont pas en sécurité. Il y a 40 à 50 propriétés de la Ville squattées à Montreuil. »
À Strasbourg, Ophéa est bien moins tolérant. Le bailleur social de la Ville a mandaté des vigiles cet été pour bloquer l’entrée de squatteurs s’ils sortaient d’un bâtiment occupé en instance de démolition rue de Provence à la Meinau.
Nouveau durcissement de la politique d’accueil prévu cet automne
Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin prépare une nouvelle loi asile immigration, qui devrait durcir les conditions d’accès à certains titres de séjour et simplifier les reconduites à la frontière. Elle devrait être adoptée, avec les votes probables des députés Les Républicains et Rassemblement National en plus de ceux de la majorité. La position assumée par la préfecture depuis l’évacuation du camp de Montagne verte en septembre 2021 est de ne loger que les personnes en cours de demande d’asile, avec un titre de séjour, ou tout simplement des papiers français, donc en « situation régulière ».
Mais même ces dernières restent souvent sans solution d’hébergement. Les déboutés du droit d’asile sont envoyés à Bouxwiller dans un centre où ils sont incités à retourner dans leur pays d’origine. De nombreuses personnes qui vivent aujourd’hui au camp de l’Étoile ont déjà vécu cette expérience. Elles refusent catégoriquement d’être conduites à leur point de départ. Beaucoup témoignent y être « persécutées ou menacées de mort », et préfèrent dormir dehors en France.
« C’est donc principalement pour loger les personnes en situation administrative irrégulière qu’il s’agit de court-circuiter la préfecture et de trouver d’autres financements », estime Anne-Véronique Auzet, ancienne présidente de La Roue Tourne, qui encadrait le squat de l’Hôtel de la rue : « Les seules solutions pour elles sont les ouvertures de structures non financées par la préfecture, ou les squats. » Autrement dit, la Ville peut continuer à inciter la préfecture à loger toutes les personnes en situation régulière tout en trouvant des solutions pour les autres, en espérant qu’ils ne soient pas trop nombreux.
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