Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Sans-abris : les associations interpellent la Ville qui interpelle l’État, qui est satisfait

Le 6 janvier, dans une lettre à Jeanne Barseghian, des associations dénonçaient la mauvaise gestion de l’hébergement d’urgence par l’État à Strasbourg, et demandaient le soutien de la municipalité. La mairie se défend d’avoir créé 384 places d’hébergement, alors qu’elle n’est pas censé le faire. La préfecture, en charge de l’accueil d’urgence, estime de son côté « assumer ses responsabilités ». Pour sortir de cette impasse, la Ville compte mobiliser des bâtiments publics vides. Et propose à la préfecture de co-financer ensemble ces nouveaux dispositifs.

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Seize associations et collectifs, dont Strasbourg Action Solidarité, Pas d’enfant à la rue, et Les Vélos du Cœur, s’alarment de « la gestion calamiteuse de l’hébergement d’urgence », dans une lettre adressée à Jeanne Barseghian (EELV), maire de Strasbourg, le 6 janvier :

« Notre seule alternative est l’implication d’un réseau parallèle, composé d’associations, de collectifs, de citoyens, la plupart bénévoles, pour prendre le relai d’un État défaillant, loger, nourrir, vêtir, conseiller et soigner des individus rejetés par une société maltraitante. […] Madame la maire, indignez-vous, soutenez-nous ! »

Le logement de sans-abris par les associations passe entre autres par des cagnottes de dons pour payer des nuits d’hôtel dans l’urgence. Cette mission incombe d’ordinaire à l’État via le service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO), qui gère le 115.

384 places d’hébergement créées par la Ville et l’Eurométropole

Floriane Varieras, adjointe à la maire pour les questions sociales, martèle : « C’est l’État qui est en charge de l’hébergement d’urgence, et qui ne loge pas une grande partie des personnes à la rue. » Elle rappelle que la Ville et l’Eurométropole ont créé 384 places d’hébergement d’urgence depuis le début du mandat à l’été 2020, dont 70 pour les femmes victimes de violences. La quasi-totalité de ces places sont réparties dans des hébergements type HLM ou des appartements classiques, avec des associations bailleurs. « Il faut bien comprendre que notre budget ne sert pas à ça en théorie », souligne Floriane Varieras.

La préfecture du Bas-Rhin a d’ailleurs engagé un recours gracieux dans la foulée d’une délibération sur la création de ces places par l’Eurométropole, votée le 24 septembre 2021. Les services de l’État estiment que, contrairement à la municipalité, l’assemblée des 33 communes n’a pas les compétences légales pour engager une telle action. « On n’a vraiment pas compris cette démarche, d’autant plus que l’État ne loge pas tout le monde. Pourquoi nous mettre des bâtons dans les roues ? », interroge Floriane Varieras. Cette dernière n’est cependant pas inquiète :

« Nous avions deux mois pour répondre. C’est fait. D’un point de vu légal, nous n’avons rien à nous reprocher. »

Selon son appréciation des réponses fournies, la préfecture pourra soit se satisfaire des éléments apportés à sa connaissance, soit au contraire renvoyer la délibération vers le tribunal administratif de Strasbourg. Les juges se prononceront alors sur la légalité ou non de la délibération, et son éventuelle annulation.

Floriane Varieras considère qu’il n’est pas souhaitable que la Ville finance seule davantage de dispositifs d’hébergement d’urgence. Elle souhaite inciter la préfecture à le faire, comme c’est son rôle. Photo : GK / Rue89 Strasbourg

Au début de son quinquennat, Emmanuel Macron avait annoncé à plusieurs reprises que « sa première bataille serait de faire en sorte qu’il n’y ait plus personne dans la rue à la fin de l’année ». C’était en 2017. De son côté, Josiane Chevalier, préfète du Bas-Rhin, vantait son action en faveur des sans-abris dans un communiqué intitulé « MISE AU POINT DE LA PREFETE : CHACUN DOIT ASSUMER SA RESPONSABILITE » (sic), le 17 décembre :

« Nous assumons pleinement nos responsabilités concernant l’hébergement d’urgence dans le Bas-Rhin. Les services compétents sont mobilisés pour proposer des solutions adaptées à la situation des personnes concernées. 45 millions d’euros ont été consacrés à l’hébergement dans le Bas-Rhin, en 2020 et 2021. »

Justement, Floriane Varieras met en perspective les sommes engagées par la préfecture ces deux dernières années. Plus de 2 000 personnes sont logées dans des chambres d’hôtel à Strasbourg en ce moment. « Ce procédé coûte environ 50 euros pour une nuit. Les bénéficiaires ne peuvent pas cuisiner et voient rarement les travailleurs sociaux », critique l’élue écologiste. Elle soulève que les places en structures dédiées ou en appartement, comme celles créées par la municipalité sont moins onéreuses : « 16 à 19 euros par jour et par personne, en comprenant l’accompagnement social », argue t-elle. Des arguments déjà développés par la municipalité strasbourgeoise sous l’ancien maire Roland Ries (ex-PS) quand des premières places ont ainsi été ouvertes.

« On attend des réponses radicales et courageuses de la part des élus écologistes »

Dans son communiqué, Josiane Chevalier pointait ensuite la Ville, qui a la charge des « actions d’évaluation et de prévention », en matière de protection de l’enfance. Sous-entendu, la mairie a aussi sa part de responsabilité dans le fait que des enfants dorment dehors à Strasbourg. Floriane Varieras dément : « Nous finançons effectivement des aides éducatives pour des mineurs, car nous sommes mandatés par le département. Mais cela n’a rien à voir avec le logement des familles à la rue, qui relève, je le répète, de l’État. »

Sabine Carriou, présidente de l’association Les Petites Roues, analyse :

« On a compris que l’État n’allait pas loger tout le monde de manière inconditionnelle (comme il est censé le faire, NDLR). Les signaux envoyés par la Préfecture vont dans le sens inverse. On constate des méthodes brutales et une volonté d’expulser des personnes. »

La police aux frontières a réalisé deux opérations au gymnase Branly, ouvert pour accueillir les sans-abris à cause des basses températures, le 16 décembre et le 6 janvier. Elle était aussi intervenue lors du démantèlement du camp de Montagne Verte le 14 septembre. « Des personnes, avec qui nous sommes en contact, ont été reconduites dans leur pays d’origine depuis l’évacuation du camp. Ces pratiques sont traumatisantes, surtout pour les enfants », affirme Sabine Carriou. Sollicitée, la préfecture n’a pas donné suite à notre demande d’interview, et n’a pas répondu à nos questions adressées par mail. Catherine, du collectif Pas d’enfant à la rue, poursuit :

« Dehors, on voit des tentes sur les espaces verts, les trottoirs, sous les ponts. De plus en plus sont obligés de dormir dans des squats. Parmi eux, il y a des dizaines d’enfants, des femmes isolées, des personnes malades. Cela doit cesser. Il faut sortir de cette situation où la préfecture et la Ville se rejettent éternellement la responsabilité. On attend des réponses radicales et courageuses de la part des élus écologistes, plutôt qu’un discours pour se dédouaner de leurs responsabilités. »

Régulièrement ces derniers mois, les militants associatifs demandent pourquoi la mairie, qui possède du foncier vide, ne l’utilise pas massivement pour loger des sans-abris.

Le collectif Pas d’enfant à la rue avait organisé un rassemblement le 8 décembre dernier devant le centre administratif de la Ville et de l’Eurométropole, pour interpeller les élus locaux. Photo : TV / Rue89 Strasbourg

Un bâtiment à Koenigshoffen pour accueillir 60 personnes

Floriane Varieras indique que la recherche de bâtiments vides adaptés est difficile car il faut sélectionner des immeubles qui ne nécessitent pas trop de travaux pour être aux normes. Mais elle estime que le logement inconditionnel des personnes sans-abris peut effectivement passer par des procédés de ce type. « Ils ont l’avantage de proposer un grand nombre d’hébergement rapidement, et d’être peu coûteux », relève l’adjointe à la maire.

Elle annonce qu’un site susceptible d’accueillir temporairement une soixantaine de personnes est par exemple identifié à Koenigshoffen :

« Notre idée, c’est que la Ville mette des bâtiments à disposition, avant qu’ils ne soient réutilisés pour d’autres fonctions. C’est le principe du logement intercalaire. Nous souhaitons établir un cofinancement avec l’État des dispositifs en question, dont les pourcentages de participation sont à fixer. De cette manière, nous pensons pouvoir convaincre l’État à financer davantage de places, comme c’est nous qui identifions et fournissons les lieux. En 2022, nous comptons proposer plusieurs projets de ce type. Et cette pratique peut aussi être envisagée par la Préfecture, qui pourrait utiliser des bâtiments qui lui appartiennent. Cela s’est déjà vu ailleurs (par exemple à Marseille, NDLR). »

La Ville et la préfecture ont une réunion à la mi-janvier, pendant laquelle la municipalité va soumettre son projet à Koenigshoffen. Une manière aussi pour la mairie, qui ne veut pas porter tous les efforts supplémentaires seule, de pousser la préfecture à se positionner. Cette dernière souhaite-t-elle sortir du renvoi mutuel des responsabilités démarré cet été ou se satisfait-elle de la situation actuelle ?


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