Emmanuel Macron, soucieux de se démarquer de ses prédécesseurs, avait promis qu’il ne prendrait pas de loi pour répondre à l’émotion et à l’actualité. Mais les principes ne résistent pas toujours à l’exercice du pouvoir. Suite au mouvement des Gilets jaunes et des violences en marge des rassemblements, une loi dite « anti-casseurs » a été adoptée au Parlement. Ce texte, qui encadre davantage la liberté de manifester, a été adopté en un temps record (moins d’un mois) par la majorité.
En réponse, une vingtaine d’associations et collectifs strasbourgeois appellent à manifester samedi 13 avril à 14h pour défendre… la liberté de manifester. Le départ est fixé place Kléber, pour rallier le tribunal de grande instance, quai Finkmatt (voir le trajet ci-dessous).
Une partie de la loi censurée
Jeudi 4 avril, le Conseil constitutionnel a censuré l’article le plus contesté de la loi, même au sein de la majorité : celui des interdictions administratives. En clair, le gouvernement voulait laisser aux préfets la possibilité d’interdire à des individus de participer à toute manifestation en France pendant un mois, même en l’absence de condamnations de ce type prononcées par la Justice. Il suffisait que le représentant de l’État estime qu’une personne représente « une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public ». Une personne pouvait donc être interdite de manifester si elle avait commis un « acte violent » ou tout type d’ »agissements« lors d’une manifestation émaillée de violences sur des biens ou personnes. Il n’était pas nécessaire de prouver le lien entre l’individu interdit de manifestation et les dégradations ou violences…
Pour les gardiens de la Constitution, cet article trop vague était contraire au « droit d’expression collective des idées » et des opinions, ainsi qu’aux principes de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. Mais les Sages n’ont invalidé que les modalités, pas le principe en soi. L’interdiction administrative et préventive pourrait donc revenir sous d’autres formes lors de futures lois.
En revanche, d’autres dispositions critiquées ont été validées. C’est le cas de l’interdiction de dissimuler, même partiellement, son visage en cortège. Ou encore, la possibilité pour les policiers de fouiller préventivement les véhicules et bagages. Enfin, la possibilité pour un juge d’interdire de manifester une personne placée sous contrôle judiciaire a aussi passé l’examen.
Des cas détectés localement
Au-delà de la loi en question, ce sont aussi « l’état d’urgence dans le droit commun » ou « la mobilisation des militaires de l’opération Sentinelle » que contestent les manifestants de samedi. Pour Jacky Wagner, secrétaire général de l’Union départementale de la CGT, ce contexte s’est aussi fait sentir en Alsace :
« Localement, cinq copains syndicalistes de Haguenau avaient été condamnés à des peines de prison avec sursis pour avoir bloqué l’autoroute quelques minutes, alors qu’il y avait 200 personnes pendant cette manifestation contre la loi Travail. Il y a aussi eu des comparutions immédiates de Gilets jaunes et plusieurs anti-GCO emmenés devant les tribunaux (dont deux d’entre eux pour avoir décroché un portrait d’Emmanuel Macron en mairie, ndlr). C’est ce principe qui nous fait bouger : dès que ça ne va pas, on fait une loi pour taire la contestation. »
Côté civils, le collégien Lilian porte toujours des broches et une sonde deux mois après un tir des forces de l’ordre, alors qu’il ne participait pas à la manifestation des Gilets jaunes du 12 janvier. D’autres manifestants ont déjà fait état de leurs blessures et parfois porté plainte.
Le trajet de la manifestation
Ainsi, « le droit fondamental de manifester se trouve clairement menacé », craignent les organisateurs qui rappellent le contexte national et international dans leur appel :
« L’ONU a déjà mis en garde la France, pays de la déclaration des Droits de l’Homme, pour ses manquements à ses engagements pour les libertés fondamentales. La pénalisation du mouvement social, écologiste et syndical, le mépris au regard des contre-pouvoirs, est une façon d’empêcher tout dialogue, toute issue positive aux crises de notre époque. »
« Un arsenal aussi spectaculaire qu’inefficace »
Pour mettre fin aux tensions, les organisateurs proposent « d’en finir avec les provocations et le recours à un arsenal sécuritaire aussi exponentiel qu’inefficace, comme il le fait depuis des semaines vis-à-vis des gilets jaunes » (voir notre article sur le maintien de l’ordre en Allemagne). Sur le fond, ils demandent que « les pouvoirs publics répondent concrètement aux aspirations qui s’expriment largement dans le pays pour la justice sociale, pour une vie digne pour chacune et chacun, pour la lutte contre le mortifère réchauffement climatique ». Tout un programme.
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