Au moment d’accueillir chez lui, Saligo commence par se confondre en excuse : « Je n’ai pas eu le temps de ranger ». Pourtant, tout semble à sa place dans le grand appartement qu’il partage avec ses quatre colocataires dans le quartier gare de Strasbourg. Dans la chambre du DJ, les piles de vieux disques vinyles côtoient les platines et synthétiseurs dernier-cri. Une douce musique entre la Soul et le hip-hip tourne en fond.
Tout juste rentré de tournée
Le jeune homme de 27 ans, barbe de trois jours et les cheveux mi-longs coiffés en catogan, semble exténué. Il a achevé il y a quelques semaines une tournée de 60 dates en France et en Belgique, en tant que DJ sur scène pour le rappeur parisien Davodka :
« On jouait chaque week-end, on pouvait enchaîner deux concerts par jours. On était toujours entre un train et un bus. Le rythme était éprouvant, mais je ne m’en plaindrais jamais. Maintenant, c’est les vacances, on recommencera à tourner en novembre. »
Pierre-Anthony, de son vrai nom, ne mixe pas seulement pour des rappeurs. Il se produit seul sur scène, compose de la musique instrumentale hip-hop et est aussi beatmaker (il crée des boucles de musique sur lesquelles des rappeurs posent leur voix). Sa spécialité reste le scratch. Il s’agit de modifier avec ses doigts la vitesse d’un disque vinyle pour créer des sons de percussion :
« Ça fait 10 ans que je scratche. J’ai commencé parce que j’admirais la “génération dorée” des DJ scratcheurs français, comme les groupes C2C et Birdy Nam Nam. Ils ont tous les deux étés sacrés champions du monde de la discipline dans les années 2000. J’ai d’abord appris grâce à des tutoriels et des vidéos sur Internet, mais aussi grâce à des amis parisiens puis strasbourgeois comme Widsid, Tweedy ou Mad Presure. »
Seul représentant français à Berlin
Cette discipline fait l’objet de concours et de « battle » partout dans le monde, durant lesquels les concurrents sont jugés sur leur vitesse, leur technique et la musicalité de leurs « sets ». En juin 2018, le DJ strasbourgeois s’est qualifié pour la finale mondiale de Beat4Battle, une compétition internationale de scratch qui aura lieu à Berlin le 31 août :
« Un tournoi de scratch, c’est comme une coupe du monde, ça fonctionne par élimination directe : on a une minute pour scratcher le mieux possible et des juges avec le public désignent un vainqueur. D’habitude, je n’aime pas pratiquer le scratch en “battle”. Il y a un esprit compétitif qui n’est pas le mien. Le hip-hop, c’est la collaboration. Mais il faut être pragmatique : c’est beaucoup plus simple de pouvoir faire des dates ou des tournées lorsqu’on est lauréat d’un titre. »
De la soul au hip-hop
Lorsqu’il évoque sa musique, Saligo égraine ses influences. Avant d’écouter du hip-hop, il a baigné dans la musique noire américaine.
« Quand j’étais enfant, à la maison, il y avait toujours un disque qui tournait. Cela pouvait être Goerge Benson ou Stevie Wonder par exemple. Mon père était batteur, ce qui m’a permis de m’essayer à cet instrument. Ces deux élements m’ont vraiment m’influencé dans ma musique. Si on écoute la ligne de percussion d’un morceau de Stevie Wonder, elle peut être comparable à celle d’un morceau de hip-hop. »
Jusqu’à 19 ans, Saligo vivait à Champs-sur-Marne, en région parisienne. S’il a atterri en Alsace, c’est parce qu’il a suivi ses parents qui déménageaient pour des raisons professionnelles. Loin de chez lui, il n’a eu aucun mal à s’intégrer au milieu du hip-hop strasbourgeois :
« C’est assez dingue parce que des gens dont j’appréciais le travail avant d’arriver ici sont devenus mes amis ! Je pense par exemple à des rappeurs strasbourgeois comme Kadaz, Dah Connectah ou Géabé, avec qui je collabore pour des beats ou en tant que DJ. Puisque c’est une petite ville, tout le monde se connait et travaille ensemble. Les rappeurs collaborent avec les DJ et les beatmakers du cru. Si il y a une personne qui cristallise un peu cet esprit, c’est Goomar, un ami beatmaker qui est de tous les projets qui sortent à Strasbourg ! Lui et moi on a une vraie entente musicale : on a sorti un EP commun en 2016 et on joue souvent ensemble. »
Le Fat, le Mudd ou le Phonographe : les références hip-hop
Cela fait 8 ans que Saligo se produit les clubs et les bars de Strasbourg. Avec le temps, le DJ avoue ressentir une forme de lassitude :
« Ici, on a la chance d’avoir des lieux dans lesquels on peut s’exprimer, comme le Fat Black Pussycat, le Mudd Club ou le Phonographe. Si je vais dans ces endroits à n’importe quelle heure de la journée, je suis certain de croiser des « frérots ». Malheureusement, j’ai vite l’impression d’avoir fait le tour, les établissements sont petits et peu nombreux. Je vais de temps en temps jouer en Allemagne ou en Suisse et dans ces pays, ils ont vraiment la culture de la friche, avec des lieux hybrides entre salle de concert et bar, dans lesquels on laisse un peu tout le monde jouer. »
Mais lorsqu’on lui demande s’il envisage de quitter Strasbourg, le DJ réprime un sourire :
« Ici c’est un peu Disneyland ! La ville est propre, il n’y a jamais de problèmes et beaucoup de touristes. On a une vraie qualité de vie. Je ne voudrais pas vraiment revenir à Paris. Je n’ai pas vraiment l’impression de rater grand-chose, parce que je suis très occupé par ce qui se passe ici. »
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