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À Sainte-Marie-aux-Mines, le vote RN tire parti de la pauvreté dans la vallée

« Sur les fronts du RN » (1/4) – Contrairement à 2017, une majorité d’électeurs à Sainte-Marie-aux-Mines, et sa voisine Sainte-Croix, ont préféré Marine Le Pen à Emmanuel Macron au second tour de l’élection présidentielle. Anciennement prospère, la cité du Val d’Argent cumule plusieurs difficultés typiques des zones rurales qui permettent au vote RN d’y prospérer, sans toutefois y être installé.

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« Sainte-Marie-aux-Mines est à la fois un lieu de passage et une frontière. C’est une vallée dans le Haut-Rhin qui débouche sur le Bas-Rhin et limitrophe de la Lorraine. Il y a toujours eu une double culture, la question de savoir à quel territoire on appartient. Cela se retrouve même dans l’urbanisme ». Dans la magnifique villa Burrus, ancienne maison de maître devenue propriété de la communauté de communes en 2004, David Bouvier, archiviste, brosse un portrait détaillé des subtilités de Sainte-Marie-aux-Mines et ses alentours Val d’Argent.

Il retrace les différentes communautés, les Vosgiens, les mineurs de Saxe, les catholiques et même la naissance Amish, il y a un peu plus de 300 ans. La grande époque remonte à la fin du XIXe siècle lorsque les mines d’argent et l’industrie du tissu emploient jusqu’à 20 000 personnes. « Les personnes âgées ont encore connu la fin de l’âge d’or, dans les années 1950-1970 », ajoute le fonctionnaire territorial.

La villa Burrus, qui accueille la médiathèque, vestige de la grande époque de Sainte-Marie-aux-Mines. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

Anciennement la commune la plus riche d’Alsace et la troisième par sa population, Sainte-Marie a compté jusqu’à 12 000 habitants au début du XXe siècle. Un total retombé 5 000 âmes désormais. Et le 24 avril 2022, 1 106 d’entre eux ont choisi Marine Le Pen (52,99% des votants, 33% d’abstention) face à Emmanuel Macron. Cinq ans plus tôt, la candidate RN n’avait obtenu que 43,5% des suffrages. Comment expliquer cette bascule ?

Un sentiment d’injustice

« Je ne suis pas surpris », fait part Bruno qui jardine au pied de sa maison. Cet ancien ouvrier d’une usine de sachets plastiques, qui a fermé au milieu des années 2000, juste après son départ en retraite, a encore connu l’époque prospère « où on pouvait venir à 8h et se faire embaucher dans la journée, puis passer d’une usine à l’autre ». Il explique le vote RN à Sainte-Marie par un sentiment d’inégalité économique :

« Ma femme a une retraite de 860€ après avoir travaillé toute sa vie de 5h à 13h en contre-équipe, c’est rien. Et on voit d’autres personnes qui ont la vie tranquille. Il y a trop d’associations d’aides aux personnes… Certaines sont utiles, mais il y a trop d’injustices. On voit des réfugiés ukrainiens qui travaillent à peine arrivés et des vignerons qui ne trouvent pas de personnel… »

Mais il s’est laissé convaincre de ne pas voter Le Pen par sa famille. « Si ça ne tenait qu’à moi je voterais autrement. Mais quand j’entends mes enfants, j’ai tout faux… C’est leur avenir, plus le mien ». Pour lui, la question de l’emploi est toujours prégnante pour la situation sociale de la ville. Il voit pourtant « quelques points positifs » ces dernières années sur ce front, comme des embauches dans une charcuterie (Les produits de la cigogne), ou dans une cartonnerie (Rossmann) un peu plus bas dans la vallée.

Comment expliquer que le RN progresse de 10 points en 5 ans à Sainte-Marie-aux-Mines ? Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

« Pas de réponse » aux difficultés pour la maire

Devenue maire en 2020, Noëllie Hestin a signé une tribune pour appeler à voter pour Emmnanuel Macron dans l’entre deux tours. Casque de vélo accroché au sac à dos, la jeune élue de 36 ans reçoit dans la salle du conseil municipal. Elle tente d’esquisser les racines de ce vote :

« Avec les faibles loyers, on a envoyé des familles à Sainte-Marie-aux-Mines alors que l’emploi ouvrier diminuait et sans l’accompagnement nécessaire, y compris pour la mobilité. Quand on n’a pas de voiture, c’est très difficile d’aller chercher les emplois de Colmar, Sélestat ou Ribeauvillé. »

Sainte-Marie-aux-Mines n’a pas de ligne ferroviaire et n’est relié à Sélestat et Saint-Dié qu’avec une seule ligne d’autocar Fluo, à raison d’un par heure.

Noëllie Hestin a été élue maire en 2020 et réélue dès 2021, l’élection ayant du être réorganisée. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg / cc

Avec ses collègues, Noëllie Hestin s’est livrée à un exercice. « On a regardé les professions de foi. Celle d’Emmanuel Macron n’avait rien de concret et celle de Marine Le Pen était édulcorée. Il n’y avait ni son de famille ni le logo du parti, avec des propositions qui donnaient envie, notamment pour le pouvoir d’achat. Pour quelqu’un qui ne regarde que ça, la question peut se poser. »

Malgré son appel à faire barrage à Marine Le Pen, la maire « sans étiquette » et aux convictions écologistes n’épargne pas les cinq années du mandat présidentiel passé :

« Nous avons une population précaire qui a des difficultés et n’a pas de réponse. D’un côté, on a supprimé l’Impôt sur la fortune (ISF), mais rien n’a vraiment soulagé les personnes en difficulté. Au contraire, il y a eu la baisse des APL. Ce vote est une critique des pouvoirs en place. »

Parmi les autres difficultés, la fermeture de lits qui ont touché l’hôpital de Sainte-Marie. Dans ce contexte, l’élue qui se dit « pro-vaccination » pense aussi que les propos sur le fait « d’emmerder » les non-vaccinés n’ont pas contribué à apaiser les choses. Enfin, l’irruption d’Éric Zemmour « a un peu fait oublier ce qu’était le Rassemblement national ». Qui n’a d’ailleurs aucun ancrage à Sainte-Marie-aux-Mines, commune qui historiquement vote plutôt à gauche au XXe siècle.

« Je n’ai pas été confrontée au racisme »

La pauvreté est une réalité à Sainte-Marie-aux-Mines. Les Restos du Cœur accueillent environ 400 personnes aux distributions bi-hebdomadaires, soit 4% de la population de toute la communauté de communes. Ces dernières années, Sainte-Marie-aux-Mines a aussi pris sa part dans l’accueil des réfugiés

Fatima est l’une d’entre eux. Assise sur un banc, elle est très émue. Arrivée en décembre à Sainte-Marie-aux-Mines, elle vient d’être régularisée en cette fin mai. Ce jour-là, elle doit quitter son hébergement d’urgence pour demandeur d’asile (Huda) pour un autre logement à Cernay. Après avoir « dormi sous un pont » en région parisienne, le bon accueil dans la commune la marque. « On m’a écoutée de A à Z, j’ai eu de supers assistantes sociales. Il y a aussi une vieille dame qui est devenue une amie. Je n’ai pas du tout été confrontée au racisme ». Atteinte d’arthrose, elle espère désormais que ses enfants puissent la rejoindre depuis le Mali. L’expérience est plus contrastée pour Mladena (prénom modifié), originaire d’Albanie. « Ici, quand on aide les gens, ils disent à peine merci ». Après avoir passé plusieurs années en Belgique, la jeune dame parle couramment français. Elle se sent « très seule », sans ses enfants.

L’histoire des mines d’argent est souvent rappelé dans la ville. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

Ce n’est pas sur des questions d’immigration que Coralyne, 20 ans, et « toute sa famille », ont voté Marine Le Pen. Avec ses proches, elle « comparé les programmes » et estimé que la candidate RN était « moins chiante que Macron », en particulier sur le prix de l’essence ou les restrictions liées au Covid. La hausse des prix du carburant l’handicape pour « voir sa grand mère à l’hôpital », raconte-t-elle, assise sur un muret à côté d’une poussette et de son bébé. « Déçue » du résultat, cette habitante de la Vallée depuis son enfance ne sait pas encore si elle votera aux élections législatives en juin.

Moins loquace, une animatrice à l’hôpital et à l’Ehpad, qui a voté Mélenchon au premier tour (elle rejette dos à dos les deux finalistes et refuse de dévoiler son vote du second tour), estime également que le vote RN à Sainte-Marie « ne relève pas du racisme », mais « d’une envie de changement et de concret ».

Dans les montagnes, l’hôpital de Sainte-Marie-aux-Mines est confronté aux mêmes difficultés qu’en ville. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

Un paradis pour André qui a trouvé pied à terre

Le changement, ce n’est pas du tout l’envie d’André, qui s’est installé il y a trois ans. Il a acquis « une maison de maître pour le prix d’un appartement ». Il alterne ses semaines entre plusieurs résidences en France, après avoir longtemps travaillé dans les décors de scène et de cinéma. Et adore le coin. « Les gens sont cons, ils dénigrent Sainte-Marie-aux-Mines or il y a tout ici ! », démarre le retraité qui promène son chien Philou. « C’est calme, il y a le col des Bagenelles pour la randonnée à vingt minutes, il y a toujours quelque chose comme un concert et puis c’est calme ! Les gens ne se rendent pas compte ». Et même des restaurants « entrée-plat-dessert pour 13€ ! » Certes, il y a « de la racaille, mais vous en avez partout ».

Sans hésitation, il a voté Macron. « Il nous faut des gestionnaires et des gens qui parlent plusieurs langues », estime-t-il. Il avait adhéré au Front national en 1985 mais n’est resté que huit mois. « Le Pen prend les gens pour des imbéciles », tranche-t-il. Mais il comprend en partie ses électeurs. Il fait part d’une agression par des jeunes étrangers pour lui-même et son fils. Son empathie s’arrête en revanche au vote Mélenchon (22,96% au premier tour à Sainte-Marie-aux-Mines), dont lui ont parlé ses petits enfants. « Ils sont à la Sorbonne et il y a des grèves tous les jours », caricature à peine le retraité.

Entre maisons et forêts, le cadre de vie est apprécié des habitants. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

Se plaindre des « cassos », mais aussi les aider

Les faibles prix de l’immobilier ont fait un autre heureux. Attablé à une terrasse d’un bar autour d’une bière et d’un journal, Roland a acquis une vaste maison pour 250 000 euros. Pas grâce à sa petite retraite à 1 000€, mais grâce au « pactole » de la vente de son restaurant spécialisé dans les poissons et carpes frites à Ebermunster dans la plaine. « J’ai tout à 100 mètres ici. Je vais au théâtre, à la piscine, à la société de tir, je vois du monde à la pétanque… À Sélestat, ça m’aurait coûté le double ! ». Une vie rêvée de retraité et un vote identique qu’André ? Pas du tout. Le problème, selon lui, « les cassos de Sélestat, on les a dispatchés dans le coin ». Résultat « Les gens en ont un peu marre, on entend les rodéos ».

C’est aussi la question du rapport au travail qui motive son vote. « Quand j’étais en apprentissage à 14 ans, on ne s’arrêtait pas à 22h », se souvient-il. Pour lui, « Marine Le Pen, elle est pour l’ouvrier, pas seulement pour les riches », même si avoir supprimé l’ISF n’était « pas plus mal ». Ce passionné de costumes et d’armes d’époque qu’il collectionne, il votera à nouveau RN aux législatives en juin, comme depuis 20 ans. « Je suis quelqu’un de fidèle », clame-t-il.

Roland n’a pas hésité à voter Rassemblement national comme depuis 20 ans. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

Et les « cassos » installés Sainte-Marie, comment cohabite-t-il avec ? « Très bien », puisqu’il joue à la pétanque avec certains, des « jeunes et des moins jeunes ». Avec sa camionnette, il a prévu d’en aider un à déménager le lendemain de notre rencontre, dans l’espoir qu’il se rapproche d’un emploi.

« Il faut que la politique se réintéresse à la campagne »

Les réponses au vote RN sont elles au niveau local ? En plus de ses deux événements phares et historiques, la bourse aux minéraux ou le carrefour européen du Patchwork de tissu, l’agglomération tente d’amorcer plusieurs projets économiques. Parmi les derniers, la classification et l’ouverture de millions de tissus élaborés à Sainte-Marie-aux-Mines pour les mettre à disposition, payante, de créateurs.

Pour Noëllie Hestin, deux défis de long terme vont jalonner son mandat. Adapter la forêt au changement climatique « pour que dans 30 ans, ce cadre de vie existe encore » et mettre en place une société de transports en commun pour desservir en finesse les artères des quatre communes du Val d’Argent. « Un vecteur de vie sociale des personnes âgées et de retour à l’emploi pour les chômeurs, ainsi qu’une solution pour les entrepreneurs ».

David Bouvier dans la collection municipale des tissus, dans les sous-sols de la villa Burrus. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

Mais au-delà de ces initiatives, « il faut que la classe politique se réintéresse à la campagne », espère la jeune maire. Ce n’est pas vraiment le signal envoyé avec les candidatures aux élections législatives. Les deux principaux candidats sont connus pour leurs mandats dans les communes du vignoble. Le député sortant Jacques Cattin (LR) a été maire 22 ans de Vœgtlinshoffen, tandis qu’Hubert Ott (Modem) est élu à Rouffach. La candidate RN, Nathalie Aubert, est de Colmar, où elle est responsable de circonscription. La France insoumise a de son côté misé sur Lilian Bourgeois, un jeune fleuriste de 25 ans à Soultzmatt.


#élection présidentielle 2022

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