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À Sainte-Marie-aux-Mines, le festival engagé Eciton « reconnecte » les fêtards à la forêt

Vosges alternatives, notre série d’été sur la vie militante en zone rurale (4/8). Le festival Eciton prépare sa deuxième édition dans la forêt jouxtant Sainte-Marie-aux-Mines ce vendredi 28 juillet. À rebours des grands rassemblements commerciaux, les organisateurs veulent « reconnecter » les fêtards avec la nature.

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Et soudain, la pluie se tut. Petit à petit, les têtes sortent des tentes, des camions ou des vans. À pas comptés, on s’aventure sur le chantier, regard rageur tourné vers les cieux : plein soleil. Le ciel se fout de nous. Rapidement, le vrombissement des moteurs reprend et sonne la fin de la pause. Malgré les draches, la gadoue, le froid, l’équipe du festival Eciton reprend vaillamment l’installation de ses stands, sous les cimes de la forêt vosgienne. Il ne reste que trois jours pour tout finir.

Organisé durant le week-end du 28 juillet dans un lieu-dit tout proche de Sainte-Marie-aux-Mines, le festival des musiques techno et psytrance (pour trance psychédélique, ndlr) détonne – c’est un euphémisme – dans le paysage culturel du Val d’Argent. « Les villageois doivent un peu nous prendre pour des babos », résume en riant l’un des fondateurs du festival, Tom Gleyze, alors qu’il nous guide vers le QG de la troupe. En plein milieu de cette terre aride en concerts, dépourvu d’équipements culturels, Tom et la troupe d’Eciton veulent voir leur grande fête prendre racine dans les Vosges.

Le festival accueillera 700 festivaliers par soir, sur deux journées. Les places coûtent 45€ la journée, 75€ les deux jours. Photo : Roni Gocer / Rue89 Strasbourg / cc

Une vallée trop tranquille

Une dizaine d’années avant d’être fiché comme « babos », Tom habitait lui-même un village limitrophe – son père vivant au Bonhomme, un bourg tout proche. « Dans le coin, y a pas de boîte, faut descendre en ville du côté de Colmar. Et encore, c’est des boîtes de nuit commerciales et généralistes, ce n’est pas ce qui m’intéresse. » En l’absence d’établissement dédié, une bonne part des fêtards se résignent à tenir des soirées dans des apparts, en petit comité. 

D’autres adeptes de techno se tournent vers la nature pour des « teufs », des rassemblement sauvages plus libres. « Il n’y en a pas beaucoup de ces teufs-là, dans le coin », tempère tout de suite Léo, un bénévole vétéran des soirées. « Ici, c’est plutôt des petits événements privés, quelques personnes qui posent un mur de son et invitent leurs potes. Elles sont assez rares dans le coin, alors que c’est toutes les semaines dans certaines villes, comme Montpellier. » Une autre bénévole s’invite dans la discussion : « En comparaison, il y en a beaucoup plus de l’autre côté des Vosges, en Franche-Comté. »

Tom Gleyze, l’un des fondateurs de l’Eciton. Photo : RG / Rue89 Strasbourg / cc

Même si certains de ses administrés se montrent hostiles à la venue du festival, la maire écologiste de Sainte-Marie-aux-Mines, Noëlle Hestin, reste très enthousiaste :

« Pour nous, c’est une façon de soutenir l’expression d’un courant culturel moins connu dans le Val d’Argent. C’est aussi une manière inattendue de rendre hommage au patrimoine forestier. Et puis, à titre personnel, j’ai été touchée par les retours de jeunes de Sainte-Marie, qui nous ont remercié d’avoir autorisé l’événement. »

« Tout commence avec mes amis d’enfance… »

Au milieu de ce désert culturel, Tom et ses amis organisent leurs premiers concerts, accumulent de l’expérience et prennent leurs repères. « Au départ, tout commence avec mes amis d’enfance, à Colmar, qui baignent tous dans la musique, notamment la psytrance. En 2019, on se décide à lancer l’Eciton et on essaye d’emblée de faire quelque chose de qualitatif, avec l’aide de pros pour l’installation. »

La première édition est un succès. L’équipe capitalise sur cette réussite pour se structurer davantage et grossir. La bande de potes des débuts fusionne avec un autre collectif local, plus tourné techno que psy. Aujourd’hui, l’association derrière l’Eciton compte 15 personnes, toutes bénévoles, avec une identité double – techno et psytrance – qui se retrouve dans les choix de programmation. 

Le rythme de la journée est dicté par celui des averses. Photo : RG/ Rue89 Strasbourg / cc

Si la techno – au sens large – est facilement identifiable du grand public, la mise en avant de la « Forest », un sous-genre moins connu issu de la psytrance, est plus risqué. Tom Gleyze assume le risque, et se livre à un plaidoyer :

« C’est une musique très complexe. Ça se rapproche d’une symphonie, car c’est beaucoup plus orchestral que de la trance classique, on va chercher plus de détails dans les sonorités. C’est aussi plus sombre et plus rapide, mais ça reste toujours très festif. »

Sous les cimes, des scènes s’enracinent

Pendant que Tom se laisse distraire par des questions approximatives sur sa musique, les bénévoles s’affairent autour de lui. Depuis l’orée, on entend une variété de cris différents, des indications, des ordres, des éclats de rires aussi. Le site se répartit en plusieurs espaces, avec un petit marché d’artisans, deux scènes principales et une troisième plus petite. Rien n’est encore totalement monté, si ce n’est le grand bar au centre du lieu. L’essentiel est sauf. 

En s’arrêtant un instant, le contraste est saisissant entre le calme qu’inspire la forêt et le bouillonnement des bénévoles. Un grésillement coupe court à la contemplation : « Béré, béré, c’est Paprika ! Il y a un problème avec la scène techno. » Talkie-walkie au poing, Bérénice, file entre les arbres s’occuper des problèmes. 

Ses grandes lunettes, anguleuses et fumées, lui donnent un air d’autorité indéfinissable, entre le pilote de ligne et le caporal-chef. « C’est le rush en ce moment, à cause de la pluie on est forcément un peu ralenti. » Gestionnaire informatique dans le civil, elle s’est mue en « référente montage » le temps du festival. Même si le cadre forestier est idyllique, elle revient sur les contraintes du lieu :

« Ce n’est pas aussi simple qu’un champ plat. Ici, on ne sait pas à l’avance où placer les stands, ni même les voitures. Surtout, on ne sait jamais ce qu’il y aura à déblayer, les arbres qu’il faudra retirer parce qu’ils vont tomber. Et puis il peut y avoir des chutes de branches… Mais on voit tout ça en amont, avec des spécialistes. »

Bérénice fait partie des quinze membres de l’association l’Eciton. Photo : RG/ Rue89 Strasbourg / cc

L’équipe de l’Eciton s’associe également à l’Office national des forêts pour toute question autour de la sécurité du site, mais aussi sa préservation après le démontage.

« Reconnecter » les participants à la nature

« Il y a un côté esthétique qu’on apprécie, c’est beau de faire la fête en forêt. » Alors qu’il avale un café dans son van, Tom revient sur le choix de l’emplacement. Pour lui, le lieu du festival est en lien avec le fond du discours porté par l’association :

« Quelqu’un m’avait demandé pourquoi on ne faisait pas ça en plaine, ou dans une zone industrielle. Personnellement, je ne me verrais pas du tout tenir un festival dans une zone industrielle. En s’installant ici, on sort du béton, ça permet aux participants de se reconnecter avec la vie en pleine nature, dont ils sont parfois éloignés… Alors oui, il y a des insectes, tu peux te faire piquer, c’est la vie. En ville, on s’est habitué à vivre dans un espace hyper sécurisé, mais il faut être capable d’en sortir et de se confronter à la nature. »

Après, sa tirade Tom reprend une gorgée de café, puis montre fièrement une vidéo de la précédente édition. Quelques minutes tard, l’averse s’arrête. Profitant de l’accalmie, les bénévoles se retrouvent pour manger un bout. Au moment du festival, plusieurs stands proposant de la restauration rapide – tartes flambées, frites, crêpes – seront mis en place. « Tout est acheté localement si possible, principalement au Val d’Argent », explique Dan, ancien chef de cuisine au Spuntino à Strasbourg et référent restaurant sur le site. « Ça correspond à notre éthique, et on essaye de politiser tous les aspects du festival, notamment la nourriture. »

« On constate qu’il y a eu une dépolitisation de la scène techno »

En dehors de la restauration et du discours porté sur la nature, l’équipe d’Eciton essaye aussi de se défaire de la logique marchande de certains festivals. « Il y a aura aussi des boutiques, mais on ne propose pas du merchandising sur notre événement, ce ne sera que des stands d’artisans, avec des pierres précieuses, du macramé ou de la sérigraphie par exemple », explique Solveig, la référente commerce. Elle justifie ce choix de maintenir des boutiques sur site :

« Un festival, c’est un lieu de vie. Et un lieu de vie, ça commence par un bistrot et une petite place de village, avec quelques boutiques. Alors on propose à des artisans faisant le tour des festivals alternatifs de passer, tout comme à des artisans de la région, qui doivent représenter la moitié des boutiques. »

En journée, une conférence et des expositions sont organisées autour d’une thématique choisie par l’équipe : l’enfermement. En amont, plusieurs membres d’Eciton ont ainsi tenu trois ateliers avec des détenus de la Maison centrale d’Ensisheim ; la production artistique de ces derniers sera exposée au festival. L’année dernière le thème portait sur le consentement.

« Entre nous, on estime qu’il y a eu une dépolitisation de la scène techno », commente Tom. « On a voulu réintroduire le dialogue dans le milieu festif, avec des moments d’échanges. Dans le clubbing, ça se limite en général à des discussions rapides dans un fumoir blindé. Nous, on souhaite que les échanges se fassent tout au long du week-end, le soir ou en journée. »

Deux campements seront proposés aux festivaliers. Photo : Roni Gocer / Rue89 Strasbourg / cc

Timidement, les rayons du soleil se faufilent entre les branches. On s’active à nouveau, pas exactement au pas de course, mais au moins avec le sourire. Aucun stress pour la vente des places : tous les tickets sont déjà écoulés depuis une semaine. Ne reste que trois jours de labeur, et la fête pourra commencer.


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