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Quand Strasbourg distribuait gratuitement du vin dans la cathédrale, la Saint-Adelphe

Du IXe au XVe siècle, les Strasbourgeois avaient l’habitude de célébrer la Saint-Adelphe à grands coups de rasades de vin dans la cathédrale. Voici l’histoire de cette tradition oubliée.

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En cherchant parmi les événements festifs du Moyen-âge strasbourgeois, on trouve le « Adelphi Tag », ou le jour de la Saint-Adelphe. Il s’agissait d’une sorte de fête du vin qui avait lieu tous les 29 août à l’intérieur de la cathédrale de Strasbourg, probablement dès le IXe siècle. C’est la plus ancienne fête du vin strasbourgeoise dont nous avons la trace. Considérée comme trop festive et surtout pas assez chrétienne, elle fut interdite à la fin du XVe siècle puis progressivement oubliée, tout comme Saint Adelphe, les légendes et le pèlerinage qui en étaient à l’origine.

Toute une nuit à boire et manger…

Pour la Saint-Adelphe, le peuple de Strasbourg et de tout le diocèse se rassemblait la nuit venue dans la nef de la cathédrale. Ils n’y venaient pas pour prier ou chanter des cantiques, mais pour passer la nuit à boire et à manger. Enfin, surtout à boire puisqu’à cette occasion, la ville distribuait gratuitement environ 500 litres de vin directement dans la cathédrale.

De plus, selon l’historien strasbourgeois, Philippe-André Grandidier (1752-1787) qui a publié en 1782 un « Essais historiques et topographiques sur l’église cathédrale de Strasbourg », on y chantait des chansons profanes, on y dansait et on y fautait dans toute l’église. Toujours selon Grandidier, ces veillées dégénérèrent souvent en « un affreux libertinage » et donnèrent lieu « aux excès les plus criminels ». Il arrivait même qu’on force les gens à boire et on s’amusait à réveiller les personnes trop saoules en les piquant avec des instruments pointus ! À côté de la Saint-Adelphe, les fêtes du vin d’Alsace actuelles (qui se déroulent en général les après-midis) ont l’air bien sages…

Pour rajouter à la folie, durant les deux jours précédents et suivants la fête, on jouissait à Strasbourg d’une immunité personnelle : nul ne pouvait être poursuivi en justice, sauf les criminels et ceux qui purgeaient une peine déjà édictée par la ville…

Il y avait donc une fois l’an une foule d’hommes et de femmes ivres en train de bien boire, bien manger, danser et chanter des chansons paillardes sous la grande nef de la cathédrale encore en construction. Cette beuverie durait toute la nuit ; seules les bougies à la lumière tremblante éclairaient les fêtards, de nombreux recoins sombres devaient permettre de se cacher sous les arcs brisés et entre les piliers gothiques.

Extraits des « Essais historiques et topographiques sur l’église cathédrale de Strasbourg » à propos de la Saint-Adelphe. L’ouvrage est librement consultable dans la salle du patrimoine de la Médiathèque André Malraux.

Saint-Adelphe, obscur évêque, obscure tradition

Adelphe a été évêque de Metz entre 350 et 450, il est mort un 29 août. Adelphe vient d’un mot grec qui signifie ouvert et tolérant. Une fois sa vie terrestre achevée, son corps a été placé dans le caveau de l’église Saint-Clément de Metz. Le reste de sa biographie est sujet à caution, en raison des légendes qui ont été tissées sur son culte.

Car sa mort n’est que le commencement de la vie de ses reliques. Dès le premier siècle, des pèlerinages chrétiens s’organisèrent autour des tombeaux de martyrs, à mesure que la nouvelle religion gagnait du terrain dans l’ancien empire romain. Certains pèlerinages prirent de l’importance, contribuant à la prospérité de certains lieux grâce aux flux commerciaux.

Les moines de l’abbatiale de Neuwiller-lès-Saverne eurent aussi envie de créer un pèlerinage mais ils ne possédaient aucune relique. Une solution fut trouvée lorsque les moines parvinrent à obtenir de Drogon, l’évêque de Metz et un des fils illégitimes de Charlemagne, la translation des reliques de Saint Adelphe vers leur monastère, le 17 mai de l’an 826.

D’après la légende, trois miracles se produisirent lors de l’arrivée de ces reliques à Neuwiller-lès-Saverne, dont un lié au vin. Le jour de l’arrivée des reliques dans l’abbaye, le cellérier (moine chargé de l’intendance) se trouvait dans les caves du monastère. Il venait d’ôter le bouchon et d’ouvrir le robinet d’un grand tonneau de vin. C’est à ce moment que toutes les cloches du village se mirent à sonner à la volée pour annoncer la venue des reliques. Attiré par les sons, le moine sort de la cave en oubliant de refermer le robinet du tonneau. Se rendant compte de son oubli, il retourne dans la cave, craignant d’avoir perdu le précieux liquide. C’est là que le religieux fut témoin d’un miracle : le vin ne s’était pas déversé sur le sol mais formait un parcours magique, sortant du robinet puis tourbillonnant dans les airs avant de retomber dans le tonneau par le bouchon resté ouvert !

Le miracle du vin représenté sur une tapisserie du XVe siècle. Le dernier tonneau montre le parcours du vin qui en sort, puis qui retourne miraculeusement à l’intérieur par le bouchon. Photo : Laurène Jacob

Grâce au miracle du vin et dans le but de faire venir un maximum de monde à leur nouveau pèlerinage, les moines de l’abbatiale décidèrent d’écrire une biographie légendaire de la vie du saint. Tâche difficile, surtout quand la personne en question est décédée depuis plus de 500 ans… et qu’on n’en sait quasiment rien. Mais cela n’a pas découragé un moine anonyme d’écrire cette œuvre, dans laquelle on peut lire que Saint Adelphe aurait été le fils d’un duc d’Aquitaine et qu’il descendrait en droite ligne de l’empereur romain Constantin… Des assertions que l’historiographie connue des princes cités réfute mais malgré ses erreurs, cette œuvre réussit à lancer les pèlerinages. Les reliques sont rapidement créditées de guérisons miraculeuses, notamment pour les maladies des yeux. Le pèlerinage de Saint Adelphe devient vite un des plus important en Alsace, derrière celui de Sainte Odile.

Les pèlerins venant participer au culte des reliques de Saint Adelphe Photo : Laurène Jacob

De ce pèlerinage, il reste aujourd’hui quelques vestiges, visibles aujourd’hui dans l’église Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Neuwiller-lès-Saverne. Sa construction date du Xe siècle. Son architecture n’a pratiquement pas été modifiée durant le dernier millénaire. Le reliquaire était présenté à l’époque dans l’alcôve. Les pèlerins venaient en procession de l’escalier de gauche et sortait par celui de droite.

Le reliquaire était présenté à l’époque dans l’alcôve. Les pèlerins venaient en procession de l’escalier de gauche et sortait par celui de droite. Photo : Laurène Jacob
Les reliques de Saint Adelphe, constituées de son crâne et de quelques os. Photo : Laurène Jacob

Grâce à cet important pèlerinage et en se basant sur le miracle du vin, les Strasbourgeois avaient trouvé une bonne raison pour faire la fête chaque 29 août. Et c’est ainsi que la veillée de la Saint-Adelphe s’est transformée, au cours du IXe siècle, en la première fête du vin strasbourgeoise.

De nos jours, la nef est réservée aux touristes, aux croyants et à des rangées de chaises en bois sur lesquelles il n’est pas permis de s’asseoir. Mais auparavant, il faut s’imaginer qu’à l’exception du chœur qui est sacré, la grande nef était utilisée comme place du marché, lieu de rencontre et salle des fêtes. Alors qu’aujourd’hui faire la fête est devenu suspect, voire dangereux, pourquoi ne pas ressusciter la plus ancienne fête du vin strasbourgeoise chaque 29 août ?


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