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Sa condamnation annulée, Pinar Selek fatiguée

La 9ème cour de cassation d’Ankara a annulé la condamnation à la prison à vie de Pinar Selek, prononcée en 2013. Mais la sociologue turque réfugiée à Strasbourg reste accusée d’avoir participé à un attentat en 1998 à Istanbul, ce qu’elle nie depuis 16 ans. Un autre procès devrait débuter.

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La sociologue turque en direct de Lyon se dit contente que « les voies internes ne soient pas épuisées ». (Photo Jade Lemaire / Rue89 Strasbourg / cc)

C’est le quatrième jugement d’une juridiction turque invalidé par la cour de cassation : après trois acquittements en 2006, 2008 et 2011, la 9e cour de cassation turque a annulé mercredi la première condamnation de Pinar Selek pour terrorisme, infligée en janvier 2013 après déjà 15 années de procédure judiciaire. Si le Comité de soutien à Pinar Selek en France se réjouit déjà, le parcours du combattant de la sociologue turque exilée à Strasbourg est loin d’être terminé. Elle sera jugée pour la neuvième fois par un tribunal d’Istanbul, et de nouvelles procédures d’appel pourraient être enclenchées à la suite du futur jugement : l’affaire pourrait se retrouver devant la Cour constitutionnelle, puis la Cour européenne des Droits de l’Homme.

Cet acharnement judiciaire digne de Kafka dure déjà depuis seize ans. Sociologue intéressée par la question kurde, Pinar Selek est accusée de complicité dans un attentat terroriste attribué au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en 1998. Une explosion sur le marché aux épices d’Istanbul avait provoqué la mort de 7 personnes et fait une centaine de blessés.

Malgré plusieurs rapports d’expertise penchant vers la thèse d’une simple fuite de gaz, le procureur est systématiquement revenu à la charge… jusqu’à ce qu’en janvier 2013, Pinar Selek soit condamnée à la prison à vie. Grâce à la plaidoirie de ses avocats pour la première fois permise en deuxième instance et à la pression des regards internationaux, la même Cour de cassation qui avait invalidé les acquittements a annulé la condamnation mercredi matin.

Une vie de procédures judiciaires et d’exil

Pinar Selek a quitté son pays en 2009 pour s’établir à Berlin. En 2010, elle s’inscrit à l’université de Strasbourg pour rédiger une thèse sur la défense à la Cour européenne des Droits de l’Homme. En 2013, à la suite de sa condamnation, elle a obtenu l’asile politique en France. Elle bénéficie du soutien de l’Université de Strasbourg et de l’École Normale Supérieure de Lyon, qui l’a nommée docteur honoris causa en octobre 2013.

C’est depuis cette ville où elle présente son livre ce mercredi soir qu’elle a livré à ses soutiens politiques, associatifs, syndicaux et universitaires alsaciens ses premières impressions par visio-conférence :

« Je suis contente parce que cette décision veut dire que les voies internes ne sont pas épuisées. Tout n’est pas fini en Turquie. Ça ne veut pas dire qu’on a gagné. […] Depuis que ma sœur m’a appelée ce matin pour m’annoncer la nouvelle, on m’a toujours posé la même question à laquelle je n’ai pas de réponse : je ne sais pas comment je me sens, je suis trop fatiguée. Je me sentirai mieux quand je rentrerai à Strasbourg, chez moi. »

« Un petit point dans un grand tableau »

La sociologue s’autorise un demi-sourire mais n’oublie pas pourquoi elle se bat :

« Je ne suis qu’un petit point dans un grand tableau. La justice turque m’a choisie pour intimider les chercheurs qui posent les questions qui dérangent. Mais récemment j’ai vu une vidéo réalisée par de jeunes lycéens d’Istanbul. Ils y affirment qu’ils n’ont pas peur et qu’ils continueront à poser ces questions. Ça m’a donné beaucoup de force pour mener mon combat. Cet acharnement judiciaire aura au moins réussi à créer une solidarité dans le milieu universitaire. »

Si Pinar Selek préfère ne pas se réjouir trop tôt, applaudissements et mots d’encouragements règnent chez ses soutiens strasbourgeois. (Photo Jade Lemaire / Rue89 / cc)

Pinar Selek n’assistera pas au prochain procès, dont la date est toujours inconnue :

« Ça peut se faire très vite comme très lentement. Ça aussi c’est une torture mais je préfère le brouillard à une condamnation définitive. »

Dans l’hypothèse contraire – celle d’un acquittement – elle retournerait en Turquie. « Mais vous ne vous débarrasserez pas de moi si facilement ! », lance-t-elle à ses amis et soutiens réunis dans la minuscule salle rouge de l’Atrium de l’Université de Strasbourg, au milieu des seaux, tasses et autres récipients disposés çà et là pour limiter les dégâts d’une fuite dans le système de climatisation. Et c’est avec émotion qu’elle leur rappelle leur objectif : fêter ensemble le Nouvel an à Istanbul, « sur un grand bateau avec du pinard ! »

Adjointe au maire de Strasbourg en charge de la démocratie locale, Mine Günbay a cédé à l’envolée lyrique en concluant :

« Grâce à toi on sait que collectivement tout est possible. Tu es le symbole de la solidarité internationale. »

Mais Pinar Selek en a peut-être un peu marre d’être un symbole.

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