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Rythmes scolaires : municipalité cherche animateurs désespérement

À la rentrée, la Ville aura besoin d’animateurs pour gérer un millier de nouveaux ateliers par semaine. Problème : elle paie peu et les centres socio-culturels, invités à prêter main forte, se font tirer l’oreille.

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Les activités sportives ne devraient être encadrées que par des animateurs diplômés (Photo Kanichat / FlickR / cc)

Avec la réforme des rythmes scolaires, la classe terminera à 15h45 dans les écoles primaires dès cette rentrée. La plage de temps périscolaire s’allonge donc de 45 minutes par jour. Pendant cette période, une fois par semaine, les enfants pratiqueront une « activité de découverte et d’initiation ». Pour l’ensemble des 14 000 écoliers de Strasbourg, cela représente tout de même 1 000 ateliers par semaine.

Du coup, il faut trouver des idées et, surtout, du personnel d’encadrement. Pour cela, la Ville compte principalement sur les centres socio-culturels (CSC) et les associations de loisirs, regorgeant d’animateurs. Ils ont été priés de répondre à un appel à projets pour décrocher ces marchés publics. Seulement, ils ne se bousculent pas au portillon.

Fiasco lors d’un premier appel à projets

Un premier appel à projets avait été lancé par la Ville en avril, puis abandonné, faute de réponses suffisantes. Seulement 150 projets avaient alors été reçus par la municipalité, en provenance des centres socio-culturels et d’intervenants indépendants. L’appel à projets proposait de 30 à 47€ net l’heure selon l’atelier et sans défraiement pour le déplacement de l’animateur jusqu’à l’école.

Mais à l’époque, une seule petite heure hebdomadaire était prévue pour le temps d’activité périscolaire. C’est la raison de cet échec, selon l’adjointe au maire en charge des affaires scolaires, Françoise Buffet. À en croire l’élue, la rallonge d’une demi-heure aurait suffi à changer la donne. Le deuxième appel à projets, portant sur 1h30 et clos depuis le 3 juin, a reçu 300 candidatures, soit le double, pour un marché d’environ 1,3 million d’euros. La Ville se donne jusqu’à fin juillet, voire début août, pour choisir parmi les propositions qui lui ont été faites.

Pour Valérie Kulak, coordinatrice du secteur enfance du CSC de Cronenbourg, la Ville de Strasbourg a fait des efforts :

« On a répondu aux deux appels à projets. Résultat du second appel : la Ville a retenu une activité, sur les 2-3 qu’on proposait par école. Lors du premier appel, la Ville expliquait qu’elle voulait organiser toutes les activités dans les locaux des écoles, mais la cohabitation entre les activités éducatives, l’accueil périscolaire du soir et l’aide personnalisée assurée par l’enseignant, n’était pas concevable.

Grâce à la rallonge du temps de l’activité éducative, instaurée lors du second appel d’offre, les déplacements vers les CSC sont possibles.

On a décidé que les activités ludiques s’effectueront dans les écoles tandis que celles qui demandent du matériel et de l’espace, comme la poterie ou le ping-pong, seront au CSC Aquarium. On va embaucher une personne qui aura le BAFA et de l’expérience avec les enfants et qui ne s’occupera que des activités ludiques. Si elle ne peut pas tout assurer, pour 1h30 par-ci par-là, nous enverrons nos animateurs déjà en place. L’organisation était tardive, mais au final ça se goupille plutôt bien. »

« Trop de précipitation », selon un professionnel de l’animation

Mais toutes les structures de loisirs ne sont pas aussi enclines à participer à l’organisation pensée par la Ville. Un responsable de l’animation dans un centre socio-culturel, qui souhaite rester anonyme, n’a pas répondu au second appel à projets, rebuté par le « flou » et la « précipitation » qui entourent selon lui la mise en place des nouveaux rythmes :

« Moi, je me demande comment ils vont concrétiser ce projet… Surtout, je me demande si eux-mêmes le savent ! Ils veulent des intervenants qui travaillent gratuitement ou presque ! Et ça passe par des contrats avec des personnes non qualifiées qui ne pourront pas assurer un service de qualité. Les parents préféreront nous confier leurs enfants, quitte à payer, plutôt que de les laisser à l’école qui ne fera que du gardiennage. À un mois de la rentrée, personne ne connaît le contenu de ces activités. »

Des enfants qui prendront le chemin du centre socio-culturel plutôt que de rester à l’école durant le temps périscolaire, c’est aussi le pari que fait Khoutir Khechab, directeur du centre socio-culturel du Neuhof. Et s’il est moins critique vis-à-vis de la Ville, lui non plus n’a pas répondu à l’appel à projet :

« Il fallait être en mesure d’intervenir au sein de l’école et nous ne sommes pas capables de remplir cette condition. De toute façon, les gamins ne resteront pas à l’école, surtout avec une seule activité par semaine… Ils viendront chez nous et on adaptera nos horaires. Au lieu de 16h30, on ouvrira à 15h45. La quinzaine d’animateurs qui fait actuellement tourner nos trois sites verra son amplitude de travail augmenter, il faut qu’on se réorganise. Financièrement, cela va avoir un coût mais on ne peut pas laisser les enfants désœuvrés à la rue. Les familles versent 15 euros par mois, on demandera peut-être à la Ville de revoir ses subventions à la hausse. Le vrai problème est que nous ne pouvons accueillir que 80 enfants… »

Trouver des animateurs qualifiés, une gageure en deux mois

Luka Ritt, référent pédagogique à l’Association Familiale Laïque (AFL) du Bas-Rhin, considère aussi qu’il était impossible de mettre en place ces activités éducatives. À cause du temps limité avant la prochaine rentrée et de leur équipe déjà nombreuse dans l’accueil périscolaire normal, l’AFL n’a pas répondu à l’appel d’offre de la Ville de Strasbourg. Il explique:

« Nous avons 80 animateurs pour couvrir le temps d’accueil périscolaire sur 20 écoles de Strasbourg et Schiltigheim. Nous n’avons pas répondu à l’appel d’offre pour deux raisons : nous aurions dû embaucher deux fois plus d’animateurs et nous ne disposions pas d’assez de temps pour faire ça bien. Avec un recrutement de dernière minute, il aurait été difficile de trouver des animateurs qualifiés qui auraient pu organiser à la va-vite des activités de qualité. »

Cependant, d’autres sont confiants, comme Mohammed Khettab, responsable du secteur jeunes au CSC Victor Schoelcher de Cronenbourg. Lui devrait seulement recruter un nouvel animateur. Il considère que ces nouvelles activités sont plutôt une bonne chose:

« Je supervise l’activité tennis de table. La Ville nous paye une cinquantaine d’euros nets de l’heure tout compris : charge salariale et frais de structure. On a embauché un animateur qui a le brevet d’État de tennis de table et ça se passera dans les locaux du CSC Aquarium. En ce qui concerne les changements d’horaires, je trouve ça mieux que l’école se termine plus tôt. Il y aura plus de participation à nos activités puisque avant, les enfants allaient directement pratiquer une activité en dehors du CSC après l’école. Désormais, ils auront le temps de venir au centre entre la fin des classes et la pratique de leur autre activité. »

Des étudiants pour des ateliers philo

Clément Laheurte, délégué national chargé pour la région Alsace à l’association Francas est lui aussi satisfait des changements des rythmes scolaires. Il passe un gros contrat avec la Ville en créant, si cette dernière les accepte tous, une cinquantaine de nouveaux ateliers philo. Contrairement aux autres CSC, cette association demande moins que la base des 30€ nets par heure prévus pour les activités ludiques :

« Nous avons commencé l’activité philo en 2006 avec 2 classes. Au départ, elle était assurée par des professeurs de philosophie de l’université de Strasbourg. À ce jour, nous avons une centaine d’ateliers par semaine sur Strasbourg, que suivent 2 000 enfants en élémentaire, collège et associations de loisirs. Concernant l’appel à projets de juin, nous avons proposé une cinquantaine d’ateliers philo pour Strasbourg. Pour l’instant, une trentaine par semaine ont été confirmés. Nous avons recruté une quinzaine étudiants en philosophie qui se destinent aux métiers de l’enseignement, recommandés par leurs professeurs. Ils n’ont pas forcément le BAFA mais nous leur proposerons une formation qui leur permettra d’assurer ce temps de jeu avec pédagogie. Nous serons payés 28,5€ par heure, qui englobent tous les frais relatifs à l’activité. »

D’autres CSC étaient partant, et puis finalement non

Pour un autre responsable de l’animation d’une organisation de Strasbourg, c’est « quitte ou double » :

« Soit les enfants viennent plus tôt chez nous, soit ils restent à l’école et je serai obligé de licencier des animateurs. »

Lui avait répondu à l’appel à projets, avant de se rétracter, échaudé par « les méthodes de la Ville » :

« Lors de la phase de négociations, la Ville nous a demandé par email de revoir nos prix à la baisse ! Nous avons retiré notre projet. Elle propose entre 30 (pour les ateliers ludiques) et 47 euros (pour les ateliers artistiques) par heure et 2 euros de matériel par enfant. Avec les charges sociales, la gestion administrative, le matériel et les déplacements, nous avons besoin du double ! D’autant que nous aurions dû embaucher deux personnes supplémentaires pour ce marché. »

« Sur le terrain, c’est le flou total »

Outre les questions budgétaires, il s’inquiète du nombre de questions pratiques auxquels la Ville n’a toujours pas réponse à un mois et demi de la rentrée :

« C’est trop vague, personne ne sait comment vont s’articuler les activités : qui inscrira les enfants ? Qui s’occupera d’eux, contrôlera leur présence, ira les chercher en cas d’absence ? Dans quels locaux ? Quelle est la procédure en cas de problème ? Pour nous qui sommes sur le terrain, c’est le flou total. Pourtant, la communication était bien huilée, avec des présentations claires lors des réunions, une bonne concertation entre les acteurs concernés… Seulement, c’est très intéressant mais trop théorique. Et puis, personne ne sait qui décide de quoi concrètement ! Madame Buffet est pleine de bonne volonté, mais elle ne semble pas avoir conscience du bazar généré par la mise en œuvre des nouveautés. J’espère que ce projet aboutira, les nouveaux rythmes sont une bonne chose, mais si ça se crashe je ne serai pas surpris ! »

Pour Françoise Buffet, il n’y a pas de précipitation :

« Les accueils sont organisés et gérés au cas par cas. Les animateurs qui seront employés seront diplômés, par la Direction des affaires culturelles pour les ateliers artistiques, par l’université pour les séances sportives. Il y a un cadre réglementaire avec un cahier des charges, que nous suivons à la lettre. Il reste des choix à faire, certains ateliers à caler, mais nous serons prêts à la rentrée. »

Mais pour boucler l’organisation, même sur le papier, encore faut-il que les familles aient fait leur choix : culture, art, science, sport, environnement. Les vœux ne seront enregistrés qu’à la rentrée. Du coup, des ajustements sont  à prévoir. Françoise Buffet explique que ces choix ne seront que des préférences, qui ne devraient être comblées pour chaque enfant qu’un trimestre sur les trois de l’année scolaire.

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