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Rudes négociations en cours entre la Ville et l’association gérant le Hall des Chars

Le Hall des Chars participe du bouillonnement culturel strasbourgeois en proposant à ses adhérents et au public des espaces de création artistique. Depuis l’été dernier, une nouvelle équipe a pris la tête de l’association La Friche Laiterie avec un projet dynamique et atypique. Mais la convention d’occupation est arrivée à son terme et doit être renégociée. Or la Ville entend reprendre l’essentiel du temps d’occupation de cette salle, au risque de déséquilibrer le réseau associatif de ce lieu alternatif.

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L’entrée du Hall des Chars dans le quartier de la Laiterie (Mathilde Eckens / Friche Laiterie)

C’est un clin d’œil – et un hasard de calendrier – loin d’être amusant pour la présidence et les adhérents de La Friche Laiterie. La Ville de Strasbourg lance aujourd’hui un atelier de projet consacré au spectacle vivant et les groupes de travail et les élus se retrouvent pour cela à la Fabrique de Théâtre – qui dépend du TAPS Gare, l’un des théâtres municipaux – avec l’objectif d’« associer les acteurs du spectacle vivant à la politique d’accompagnement de ce secteur menée par la Ville […] pour déboucher sur un programme d’actions à destination des porteurs de projets ».

Noble et honorable vœu dans l’absolu. Mais, semble-t-il, susceptible d’être contredit dans les faits puisque la municipalité remet en cause la convention de mise à disposition des locaux voisins de la Fabrique de Théâtre, ceux du Hall des Chars gérés par La Friche Laiterie. En somme, l’association pourrait ne plus pouvoir jouir de ces espaces du Hall des Chars – qui appartiennent à la Ville – dans les conditions prévues jusqu’alors.

Vide juridique et convention « à titre transitoire »

Regardons-y de plus près : la Ville et la Friche Laiterie doivent se réengager dans le cadre d’une convention pour la mise à disposition gratuite des locaux du Hall des Chars et des salles attenantes, c’est-à-dire la scène principale, la salle d’exposition et la salle des colonnes.

Convention d’occupation de 2009 (Doc Remis)

La précédente convention, signée le 15 septembre 2009 par l’actuelle équipe municipale, courait jusqu’au 15 septembre 2012. Mais depuis deux mois et demi, c’est le vide juridique qui prévaut. Rien n’a été signé entre la Ville et l’association présidée par Pierre Poudoulec. Pourquoi ? Parce que la municipalité entend modifier les termes de l’engagement et imposer à La Friche Laiterie une nouvelle convention « à titre transitoire », comme le mentionne le projet de texte présenté à l’association (voir ci-dessous).

200 jours d’occupation pour la Ville, 165 pour l’association

Dans ce document de travail, la municipalité fixe désormais à 8 mois la durée de vie de la convention (contre 36 mois auparavant) et, surtout, elle s’arroge un droit d’utilisation des locaux bien plus important que ce que le contrat ne prévoyait jusqu’à présent : 200 jours par an désormais contre 30 ! L’association ne bénéficierait donc plus que de 165 jours annuels pour investir et faire vivre ce site. Enfin, le délai de préavis pour que la Ville formule sa demande change lui aussi : il passe à 2 mois, contre 3 auparavant, pour « préciser les conditions d’utilisation […] et ne pas porter atteinte à la réalisation des buts fixés à l’association ».

Et afin d’assurer l’accompagnement de cette nouvelle donne, la Ville introduit un article 5 à sa nouvelle convention : « Un comité de suivi, constitué de représentants de l’association et de représentants de la direction de la culture de la Ville, sera mis en place. Il se réunira de manière bimestrielle pour arrêter et ajuster le planning d’occupation ».

Projet de convention proposé par la mairie. (doc remis)

Sans convention, la Friche Laiterie craint pour sa survie

Comment en est-on arrivé à cette situation bien délicate pour La Friche Laiterie et ses 114 adhérents (des compagnies artistiques, des associations et des personnes physiques individuelles) ? L’équipe animatrice de l’association porte un projet décliné en quatre pôles de compétences : le théâtre, la danse, la musique et les arts visuels. C’est sur cette base qu’elle a été élue en juin dernier par les adhérents afin de gérer le site et, en conséquence, mettre sur pied une formule atypique à Strasbourg : un laboratoire d’idées, d’expériences et de talents en croisant les qualités des uns et des autres, en essayant, testant, expérimentant.

C’est la même équipe qui a lancé cet automne une Amap culturelle (Association pour le mouvement entre artistes et publics) avec un concept de « panier-surprise culturel » destiné à l’échange et la transmission des savoirs culturels. Et, évidemment, pour que vive le Hall des Chars, le planning des mois à venir est déjà bien rempli : le festival de dessin et d’illustration Central Vapeur (du 5 au 16 décembre), le club de cinéma pour enfants La Lanterne Magique (une fois par mois jusqu’en juin 2013), des concerts, des résidences, des ateliers, des expositions, de la danse, des arts plastiques, etc.

La Friche Laiterie a même déjà enregistré des sollicitations pour septembre 2013, qui restent sans réponse étant donné la situation. Pour Pierre Poudoulec, le président de La Friche Laiterie, cette situation s’avère préjudiciable à l’association :

« Nous comprenons bien la volonté de la Ville de réinvestir un espace qui lui appartient. On nous dit qu’il faut trouver une manière intelligente de cohabiter et de partager le même lieu. Mais cette démarche se fait au détriment de tous les adhérents. C’est une décision grave car nous n’avons aucune visibilité après le mois de juin et nous ne savons rien du projet de la Ville. Que va-t-elle faire ? Se réapproprier totalement la salle ? Lancer un nouvel appel à projets ? Nous reconduire pour gérer le Hall des Chars ? En fait, soit le flou est entretenu par nos interlocuteurs à dessein, soit la Ville improvise. Mais le résultat est la remise en question nos projets, des moyens à engager pour les monter et pour faire tourner cette structure. »

Un lieu essentiel à la création culturelle strasbourgeoise

Des représentants de la Ville et de La Friche Laiterie se sont vus à plusieurs reprises depuis une première réunion le 4 septembre. La dernière entrevue date du 26 novembre et une autre rencontre, au moins, est encore prévue mais la situation semble figée. C’est pourquoi le conseil d’administration de La Friche Laiterie va consulter les adhérents de l’association afin de leur soumettre le projet de convention transitoire. Le quorum n’a pas été atteint lors d’une assemblée générale extraordinaire la semaine dernière, une seconde AG se déroulera donc tout début décembre.

Barbara Leboeuf, céramiste et plasticienne, est adhérente depuis près de cinq ans :

« C’est un lieu plein d’énergie et qui en demande aussi beaucoup. C’est un super projet de fédération, avec une équipe compétente à sa tête et un énorme potentiel pour travailler, monter des ateliers, des expositions, des installations. Et le fonctionnement avec les quatre pôles de compétences, c’est une excellente idée, ça permet de mêler les genres artistiques. Du coup, si le planning du Hall des Chars devient plus aléatoire, avec moins de jours disponibles pour les adhérents, ce serait vraiment du gâchis. »

Ces propos rejoignent la position de Fabien Texier, qui organise au Hall des Chars le festival d’illustration et de dessin « Central Vapeur » :

« L’esprit du Hall des Chars permet de l’ouverture dans le montage et dans la réalisation des projets, d’autant que le calendrier s’avère plutôt souple. Ça facilite forcément la marge d’action et c’est donc idéal pour les petites associations. Cette nouvelle convention pourrait compromettre cette flexibilité. »

L’adjoint au maire de Strasbourg en charge de la Culture, Daniel Payot, apporte des précisions mais refuse de dévoiler les projets de la Ville :

« Nous sommes en phase de négociations avec l’équipe de La Friche Laiterie. C’est une phase normale. Nous discutons de modalités concrètes qui portent d’ailleurs sur le fonctionnement. Je n’ai aucune déclaration à faire sur le fond et aucune position officielle à donner et j’espère simplement que ces négociations vont déboucher sur quelque chose de positif. Je pense que dans ce contexte, il est normal pour eux de dramatiser. Mais je tiens à dire que nous ne voulons pas leur peau, ce n’est pas vrai. Nous agissons au nom de l’intérêt public et de l’argent public. Cet équipement appartient à la Ville et nous le confions à l’association La Friche Laiterie. Tout est donc question de dosage maintenant. Nous pouvons évidemment essayer d’évoluer de notre côté, nous espérons également que nos interlocuteurs ne se bloquent pas non plus. Nous sommes prêts à faire confiance à cette équipe. Leur projet nous intéresse. Et ce qui nous plaît, c’est la qualité artistique présentée, l’ouverture sur le quartier et cette dimension d’éducation artistique. »

Comme un écho aux Assises de la Culture de 2009

Toute cette situation qui anime aujourd’hui La Friche Laiterie, et plus particulièrement le Hall des Chars, prend une dimension toute particulière plus de trois ans et demi après le lancement des Assises de la Culture par l’actuelle équipe municipale de Roland Ries. C’était le 16 avril 2009, au théâtre du Maillon. Le point de départ de six mois de concertation et de consultations ouvertes aux acteurs culturels et, plus largement, à tous les Strasbourgeois. Qu’était-il ressorti de cette succession de cafés-cultures, ateliers et groupes de travail thématiques ? Les discours du maire (ici en PDF) et de Daniel Payot (ici en PDF), prononcés lors de la restitution du 7 novembre 2009, méritent aujourd’hui une mise en perspective. Roland Ries :

« Je n’accepterai pas que le cap budgétaire que j’ai fixé soit tenu au détriment des petites structures, notamment des compagnies et des ensembles innovants, des initiatives associatives, des pratiques émergentes, des pratiques amateurs, pendant que les plus grosses verraient leur existence n’être soumise à aucun effort de bonne gestion sur elles-mêmes et en direction des autres. »

Quant à Daniel Payot, il mettait l’accent sur un enjeu crucial en guise de porte-étendard de la politique culturelle à mener à Strasbourg :

« La vie culturelle est une composante essentielle de Strasbourg, elle est menée par un grand nombre d’acteurs compétents, enthousiastes, énergiques, inventifs, elle fait partie des spécificités qui accordent à notre ville sa personnalité particulière, irremplaçable […] Les enjeux sont nombreux […] et l’un des mots-clef qui aura émergé, c’est le mot « passerelle »: créer des passerelles entre acteurs culturels, entre institutions culturelles et compagnies, ensembles et associations, entre amateurs et professionnels, entre le champ de la culture et les champs connexes de l’innovation, de la création, de la transformation des savoirs [pour] faire de la culture à Strasbourg un laboratoire de projets interculturels. »

Espérons que trois ans plus tard, il soit toujours possible de créer ces fameuses passerelles.


#culture

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