Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

RSA : Strasbourg contrainte d’appliquer les contrôles du conseil général

Initiée en 2013, la campagne du conseil général du Bas-Rhin pour débusquer les fraudeurs au RSA a atteint l’agglomération de Strasbourg. Délégataire sur son territoire, la CUS ne peut qu’appliquer la politique mise en œuvre par le Département malgré son opposition, mais a posé ses conditions. Le conseil général espère économiser 7,5 millions d’euros avec cette opération.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89 Strasbourg, abonnez-vous.


Une pièce de 5 centimes (Photo Valérie Kuki / FlickR / cc)

Objectif : récupérer 7,5 millions d’euros en trois ans. C’est ainsi que le conseil général du Bas-Rhin, dont les finances sont aux abois, justifie sa politique de contrôles supplémentaires des bénéficiaires du Revenu de solidarité active (RSA), initiée en janvier 2013. Comment les services du Département en sont arrivés à une telle somme ? Simple.

L’équipe de six contrôleurs affectés à temps plein à ces contrôles a étudié 1 871 dossiers, six par jour en moyenne. Sur les 860 dossiers clos au 31 août 2014, 456 (53%) sont conformes, 160 (18%) ont été annulés pour diverses raisons, 40 (5%) font l’objet de mesures de régularisations et 204 (24%) s’avèrent irréguliers. Pour ces derniers dossiers, le conseil général constate un « indu » moyen de 4 800€ par dossier, l’administration ajoute des « économies » à venir suite aux régularisations et projette ces chiffres sur l’ensemble des bénéficiaires du RSA passés au crible en trois ans. Résultat de leurs calculs : 7,5 millions d’euros de moins à sortir pour la collectivité, à mettre en rapport avec les quelques 160 millions d’euros que paie le conseil général au titre du RSA chaque année (sur un budget global de 1,2 milliard d’euros).

Les maires sollicités pour contrôler le train de vie des bénéficiaires du RSA

Le président (UMP) du conseil général du Bas-Rhin, Guy-Dominique Kennel, ne croyait pas aux chiffres officiels de la fraude au RSA, de l’ordre de 1,5 à 2%, communiqués par la Caisse d’allocations familiales (CAF). Il a alors eu l’idée de demander aux maires de vérifier, avec ses agents, le train de vie et les habitudes des bénéficiaires domiciliés sur leurs communes : couples non déclarés (249€ par mois de préjudice), personnes ayant un « travail » non déclaré… Bien souvent, c’est une situation qui a évoluée et les bénéficiaires ont tardé à la signaler à la CAF.

Mais plus de la moitié des 35 356 bénéficiaires du département étaient exclus de ces contrôles, puisque la municipalité de Strasbourg a refusé de participer au système. Mais au conseil général, on est têtu, comme l’explique Jean-Michel Bastian, directeur de l’action sociale :

« On a d’abord débuté notre campagne de contrôles dans les villages parce qu’il était plus simple pour nous de mobiliser les maires. Mais les centres urbains ont toujours fait partie de notre objectif et nous collaborons désormais avec tous les maires de la CUS et directement avec les services concernés à Strasbourg. Ils n’ont pas le choix : c’est le conseil général qui finance ces professionnels par délégation, ils sont tenus de mettre en œuvre notre politique. Tous les agents doivent signaler toute situation suspecte, soit directement, soit en rédigeant avec le bénéficiaire un contrat d’engagement en vue d’une régularisation. »

« Il en va de la confiance qu’ont les bénéficiaires dans les accompagnant »

À la Ville, on avoue être très mal à l’aise avec la méthode Kennel. Adjointe (EELV) au maire de Strasbourg en charge de l’action sociale, Marie-Dominique Dreyssé trace des lignes étanches :

« La demande du conseil général est arrivée en juin. Les élus du conseil municipal ont refusé tout net de regarder les listes de bénéficiaires ou de faire des remontées d’informations. Pour les agents, on a engagé un dialogue avec le Département. On refuse toujours de mélanger le travail social et les contrôles, car il en va de la confiance qu’ont les gens dans les accompagnants. On essaie de faire en sorte que les situations soient réglées avant qu’une procédure de contentieux soit engagée, ce qui n’arrange rien. Et puis dans le cas où une famille se retrouverait sans ressource du fait d’un RSA coupé, elle reste éligible à une procédure de secours auprès de la Ville. »

Les estimations de la CAF, bien inférieures à celles du Département

Car le conseil général ne plaisante pas avec les suspicions de fraudes : plus de 60 plaintes ont été engagées par le service de l’action sociale devant le parquet de Strasbourg, pour faux et usage de faux, escroquerie, fraude… Ce qui est une particularité, puisque ces procédures sont habituellement diligentées par la CAF, après un avertissement, une pénalité et un passage devant la commission territoriale du RSA, où siègent élus et représentants de la CAF. Les plaintes déposées par le conseil général concernent les personnes ne bénéficiant que du RSA. Si plusieurs aides sociales sont cumulées, la CAF est seule compétente pour engager des poursuites.

Même la CAF est gênée par l’activisme du conseil général, elle qui dispose déjà d’un service de sept enquêteurs qui a réalisé en 2013 plus de 270 000 opérations de contrôles sur les versements du RSA. Selon ses chiffres, la CAF a obtenu la régularisation de 13 351 dossiers sur la même année, pour un préjudice moyen de 660€. On est loin des 4 800€ par dossier avancés par le conseil général.

Un contrôleur à l’année ? 30 000€ charges comprises

Pour Marielle Jourdain, psychologue et déléguée syndicale CGT au conseil général, les chiffres fournis par le Département sont « mensongers » :

« Le nouveau service des contrôles a la priorité absolue, ils seront bientôt sept agents à temps plein ! Je ne crois pas un instant que cette politique soit rentable. C’est autant d’argent qui n’iront pas vers ceux qui en ont le plus besoin. On assiste à un dévoiement des métiers du social, qui met très mal à l’aise certains personnels. Et on instille une politique de la culpabilisation, de la honte, avec comme objectif de dissuader les gens de demander leurs allocations. Ça ne rapporte rien et on harcèle de questionnaires des gens qui sont très rapidement dépassés par ces courriers, ça occasionne des retards de loyers et ça complique encore plus leur situation. »

Lorsque la fraude est avérée, ou reconnue, les indemnités indues sont récupérées sur d’autres prestations, ou sur les montants à valoir du RSA, par des ponctions pouvant aller jusqu’à 10% des montants versés. Les situations mettent donc plusieurs années avant d’être régularisées, voire ne le sont jamais dans 80% des cas lorsque les mis en cause n’avaient pas d’autre prestation que le RSA. Mais à 30 000€ charges comprises le contrôleur à l’année, le conseil général assure que cette opération allégera ses finances.

Pour certains, ce soudain activisme visait surtout à donner des gages aux maires, dans le cadre d’une campagne pour l’élection de Dominique Kennel comme sénateur du Bas-Rhin. Élu le 28 septembre en regroupant sur sa liste plus de 51% des voix, le sénateur Kennel va-t-il continuer cette politique ?

Aller plus loin

Sur Libération.fr : RSA : la grande chasse des petits fraudeurs


#Conseil général du Bas-Rhin

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles

Autres mots-clés :

#guy-dominique kennel#Marie-Domique Dreyssé#RSA#Société
Partager
Plus d'options
Quitter la version mobile