Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Roland Ries et Roland Boehler, l’encombrant ami du Mali

Communiquant, consultant, ami du Mali, de Robert Lohr et du Racing, Roland Boehler est à l’origine des deux affaires qui ont plombé le mandat de Roland Ries, l’étude sur le marché de Noël et celle sur le tram à Bamako. Un ami que le maire doit aux réseaux de Michel Rocard, mais un ami qui peut coûter cher.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89 Strasbourg, abonnez-vous.

Roland Ries en 2009, lorsqu'il remet l'étude sur le tram de Bamako à Amadou Toumani Touré (Photo présidence d'ATT au Mali)

Roland Ries en 2009, lorsqu'il remet l'étude sur le tram de Bamako à Amadou Toumani Touré (Photo présidence d'ATT au Mali)
Roland Ries en 2009, lorsqu’il remet l’étude sur le tram de Bamako à Amadou Toumani Touré (Photo présidence d’ATT au Mali)

En avril 2008, Roland Ries est à peine élu maire de Strasbourg qu’il reçoit une lettre du cabinet Athéo, lui proposant une mission de réflexion sur le Marché de Noël (voir ci-dessous). Cette proposition tombe à pic, la nouvelle municipalité se demandant justement comme redynamiser l’événement phare de Strasbourg. Roland Ries accepte, y compris « l’approche budgétaire » proposée par Athéo de 30 000€ quand même, car il connaît bien l’homme qui signe, Roland Boehler.

Chronologie

Avril 2008 : Roland Boehler propose à Roland Ries une étude sur le Marché de Noël à 30 000€.

Juin 2008 : la ville accepte la proposition de Roland Boehler.

Juin 2008 : Roland Boehler approche le maire pour une étude sur « les livres, les écrivains » à 30 000€.

Juin 2008 : Roland Boehler accompagne Philippe Ginestet dans une délégation strasbourgeoise avec le maire à Paris, pour un projet d’Eurostadium.

Automne 2008 : la Ville paie 28 700€ Roland Boehler pour son étude sur Noël.

Octobre 2008 : Un document de cinq pages sur le marché de Noël est finalement rendu. Robert Herrmann, 1er adjoint, demande un remboursement.

Novembre 2008 : Amadou Toumani Touré (ATT), président du Mali, est reçu à Strasbourg lors des journées européennes du développement. Roland Boehler fait partie de la délégation malienne. L’idée d’un tramway à Bamako naît.

Décembre 2008 : Roland Boehler se rend à Bamako avec Robert Lohr et Jean-François Argence, le directeur commercial de Lohr industrie, pour promouvoir le tram sur pneu auprès d’ATT.

6 avril 2009 : le conseil municipal vote, sans débat, le principe d’une coopération décentralisée avec Bamako sur la thématique transport en commun.

Du 14 au 18 avril 2009 : Roland Ries, Patrick Pincet, directeur de cabinet, et Roland Boehler sont au Mali, juste avant les élections municipales maliennes, pour parler tramway. Philippe Ginestet et Roland Boehler tentent de nouer un partenariat entre le Racing et les Aigles de Bamako.

Juin 2009 : Roland Ries signe les trois bons de commande à trois sociétés pour des études sur le tram à Bamako : Serue, Nogha Consulting et Transitec.

Fin juin 2009 : les représentants des trois sociétés se rendent au Mali avec Roland Boehler dans le cadre de ces études.

Septembre 2009 : Michel Rocard inaugure la Foire européenne.

Novembre 2009 : Roland Ries apporte l’étude sur le tram au maire de Bamako et à ATT, avec Patrick Pincet et Roland Boehler.

Fin 2009 : Bernard Debry, directeur général des services, s’oppose au paiement de l’étude sur le tram de Bamako.

30 décembre 2009 : Le Canard Enchaîné dévoile la lettre de Michel Rocard à Roland Ries, lui demandant de payer les « prestations complémentaires » sur le marché de Noël, soit 50 000€, et qu’une enquête préliminaire a été ouverte à Strasbourg par le procureur.

Mars 2010 : la Ville annonce qu’elle va demander le remboursement de 70% du montant du rapport sur le marché de Noël.

Mars 2010 : Michel Rocard écrit à Bernard Kouchner, alors ministre des Affaires étrangères, pour qu’il accorde à Roland Boehler le titre de consul honoraire du Mali.

Avril 2010 : Bernard Debry écrit au maire pour l’avertir du risque juridique autour des marchés sur Bamako, passés hors des cadres des marchés publics. Bernard Debry est remercié par Roland Ries quelques jours plus tard.

Juin 2010 : le festival Food Culture doit inviter le Mali.

Septembre 2010 : bien que la Thaïlande soit le pays invité, le Mali a un stand à la Foire européenne, que ATT vient inaugurer en personne.

Octobre 2010 : ouverture d’une information judiciaire pour «favoritisme» et «recel de favoritisme» à Nancy, conduite par la juge d’instruction Mireille Maubert-Loeffel.

Eté 2011 : Roland Boehler organise une soirée de bienfaisance pour les enfants du Mali, au pavillon Joséphine à Strasbourg, avec comme invitée la Première Dame du Mali et R. Ries. La réception sera finalement annulée.

Décembre 2011 : Chantal Augé perd sa délégation aux marchés publics, puis son titre d’adjointe au maire en janvier 2012.

Fin 2012 : Patrick Pincet est démissionné de ses fonctions de chef de cabinet de Roland Ries et Jacques Bigot.

Mars 2013 : la Chambre régionale des comptes aligne la Ville pour l’attribution des marchés liés à Noël et à Bamako, passés sans appel d’offres. elle explique qu’elle n’a pas pu se faire remettre l’étude sur le tram à Bamako qu’elle a découvert dans Mediapart de février 2012 (la conclusion de l’étude est édifiante, à relire attentivement).

Mai 2013 : Patrick Pincet est entendu par la police judiciaire.

Juin 2013 : Roland Ries est entendu comme témoin par la police judiciaire dans l’affaire du tram de Bamako.

Juillet 2013 : Roland Ries refuse que la Ville se constitue partie civile dans l’affaire Bamako.

Lettre de Roland Boehler à Roland Ries, 30000€ pour une étude sur le Marché de Noël – Cliquez pour accéder au document complet (Doc Rue89 Strasbourg)

Vieux militant PS selon Le Canard Enchaîné, Roland Boehler est lié à Michel Rocard, dont Roland Ries est proche depuis son adhésion au PSU en 1974. Les deux hommes se croisent depuis des dizaines d’années, autour de la communication politique. Roland Boehler indique sur son CV « conseiller de personnalités politiques, consultant en stratégie politique de députés, maires ou sénateurs ».

Lors d’une réunion du comité de pilotage du Marché de Noël, élus et fonctionnaires découvrent l’existence de cette mission, dont la commande a été passée en dehors de toutes les règles des marchés publics. Une collectivité doit d’abord exprimer un besoin, puis mettre en concurrence des offres. Chantal Augé et Caroline Ctorza, alors adjointes aux marchés publics et à la prévention des risques, vont voir Roland Ries pour l’alerter des manquements légaux autour de cette étude.

Le maire fait le dos rond, assure qu’il y a eu un « loupé » et qu’on ne l’y reprendra plus. Mais en juin 2008, Roland Boehler envoie une autre lettre, dans laquelle il confirme une entrevue le même mois avec Roland Ries et reprend presque mot pour mots les termes de la précédente, en remplaçant « Marché de Noël » par « Strasbourg, les livres, les écrivains ». Pour l’étude de faisabilité, c’est aussi 30 000€ (voir ci-dessous).

Lettre de Roland Boehler à Roland Ries, 30000€ mais cette fois pour une étude sur les écrivains – Cliquez pour accéder au document complet (Doc Rue89 Strasbourg)

Mais Roland Boehler a un autre dossier en cours avec la CUS, il œuvre avec Philippe Ginestet, alors président du Racing Club pour doter Strasbourg d’un grand stade pouvant accueillir l’Euro 2016. Sans réponse de l’Etat, Strasbourg retirera sa candidature en juillet.

Entre temps, l’administration et le cabinet du maire répondent par la négative à la proposition du festival sur « Les livres, les écrivains » de Roland Boehler. Roland Ries évite ainsi une nouvelle affaire.

Quatre pages pour 30 000€, un record

Car la première commence à faire du bruit. Robert Herrmann, premier adjoint au maire, qui a repris le pilotage du Marché de Noël pour mettre fin aux bisbilles entre Eric Elkouby (adjoint aux foires et marchés), Mathieu Cahn (adjoint à l’animation) et Jean-Jacques Gsell (tourisme et commerce), cherche encore l’étude des deux consultantes d’Athéo en octobre 2008.

Le premier adjoint s’agite puis finit par obtenir cette fameuse étude. Il n’en croit pas ses yeux lorsqu’il découvre quatre pages de réflexions vagues, quelques pistes tout au plus : un TGV de Noël, un tramway de Noël, des croisières de Noël sur le Rhin…

Cliquez pour accéder à l’étude sur le Marché de Noël (doc Rue89 Strasbourg)

Robert Herrmann se tourne alors vers Roland Ries et lui indique que le travail n’a pas été fait, surtout pour une étude commandée et payée près de 30 000€. Il considère qu’à peine 30% du travail a été produit et qu’il convient d’exiger un remboursement partiel d’Athéo.

Ce sera loin d’être simple, il faudra presqu’un an de paiements échelonnés pour qu’en novembre 2010, la Ville récupère effectivement 70% du montant payé. De son côté, l’ancien Premier ministre Michel Rocard intervient en faveur de Roland Boehler pour demander à Roland Ries de payer, y compris des « prestations complémentaires ».

Dès fin 2008, une dénonciation anonyme a alerté le procureur de la République sur ce possible « travail fictif » ou « détournement de fonds publics ».

Malgré le rapport sur Noël, Roland Ries renoue sa confiance

On aurait pu croire le maire échaudé par ce rapport bidon, mais non. Roland Ries ne cesse pas la collaboration avec Roland Boehler, bien au contraire.

A la suite de la visite à Strasbourg en novembre 2008 du président du Mali, Amadou Toumani Touré, au cours de laquelle ce dernier a été particulièrement impressionné par le tramway, Roland Boehler, présenté comme consul honoraire du Mali, un titre qu’il n’a jamais eu, fait le lien entre les Maliens et Lohr Industries. L’entreprise alsacienne fabrique le Translohr, un tramway sur pneu qu’elle a bien du mal à vendre.

L’idée d’installer à tramway à Bamako naît. Et pour faire bonne mesure, Roland Boehler ajoute la Ville dans la boucle. En janvier 2009, il rencontre Patrick Pincet, alors directeur du cabinet de Roland Ries, avec Jean-François Argence, directeur commercial de Lohr Industries. De cette rencontre naît l’idée que la CUS pourrait financer l’étude de faisabilité et que Roland Ries aille à Bamako faire la promotion du tramway.

Cette fois, la Ville vote une délibération avant d’engager la dépense. Le 6 avril 2009, le conseil municipal vote, sans débat, 50 000€ pour financer cette étude. Mais patatra, la Ville ne publie pas ce marché sur son site web et ne fait pas de mise en concurrence. Elle attribue le marché à trois cabinets : Serue pour l’insertion dans la paysage urbain, Transitec pour les déplacements et Nogha Consulting pour l’urbanisme.

Pas de mise en concurrence pour Bamako

Et là débute la seconde affaire judiciaire de Roland Ries, car Bernard Debry, directeur général des services à l’époque, refuse de payer en invoquant un possible délit de favoritisme. En avril 2010, il écrit une note détaillée au maire, qui le débarque quelques jours plus tard. En juin, Bernard Debry se venge et informe à son tour le procureur de la République de ce qu’il pense être un délit, comme la loi l’y oblige.

Fin janvier 2010, les adjointes Chantal Augé et Caroline Ctorza avaient aussi écrit à Roland Ries, pour l’alerter sur l’absence de procédure encadrant ces études. Elles s’étonnaient en outre que Roland Boehler réapparaisse, avec une prestation de mise en forme des résultats des études facturée près de 8 000€.

Mais peu importe, ces études seront payées à l’été 2010, 21 310€ pour Serue, 14 850€ pour Transitec, 13 000€ pour Nogha, plus 7 650€ de frais de déplacements. Pour Roland Ries, ces études n’avaient pas à être soumises au code des marchés publics, puisqu’elles ne concernaient pas la Ville, mais Bamako, et qu’il s’agissait donc d’un acte de coopération décentralisée. La Chambre régionale des comptes n’est pas de cet avis et l’a fait savoir dans son rapport rendu en mars 2013.

Le Dr Boehler, « chargé de communication de la ville de Strasbourg »

Souci de compréhension, fossé linguistique ? L’Office de radiodiffusion et de télédiffusion du Mali présente en juillet 2010 Roland Boehler comme chargé de communication de Roland Ries, ce qu’il n’a jamais été.

Pour le procureur de la République de Strasbourg, ces dénonciations visant la municipalité strasbourgeoise commencent à faire beaucoup. Il saisit la chambre d’instruction de Nancy, pour dépayser l’enquête. Mais fin 2012, l’instruction menée par Mireille Maubert-Loeffel n’a guère progressé. Du coup, en mars 2013 la chambre d’instruction de Nancy décide de mettre deux magistrats sur ce dossier, provoquant l’audition, comme témoin, de Roland Ries début juin 2013 par la police à Strasbourg. De son côté, Roland Boehler a été entendu deux fois par les policiers.

Alors que Roland Ries se présente à nouveau devant les Strasbourgeois en mars 2014, l’opposition a décidé d’interpeller le maire sur ces affaires à chaque conseil municipal. Après avoir perdu deux directeurs de cabinet (Jean-Michel Augé et Patrick Pincet), un directeur général des services (décédé depuis) et deux adjointes, qui tous s’interrogeaient sur ces relations, Roland Ries risque de payer bien cher ses fidélités rocardiennes.

Aller plus loin

Sur Mediapart : Le maire PS de Strasbourg soupçonné de «favoritisme»

Sur Libération : Rocard et ses frères


#politique

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles
Partager
Plus d'options
Quitter la version mobile