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Riverains du Printemps : « Sacrifiés au profit des promoteurs »

Après deux mois de vacarme et de poussière, les riverains de l’îlot du Printemps sont à bout. Mais au-delà des nuisances occasionnées par la démolition du parking quai Kellermann, c’est le futur immeuble et ses fonctionnalités qui inquiètent les habitants. Parmi eux, François Weber est sévère envers les élus locaux, « qui plient devant les promoteurs ». Derrière le syndrome NIMBY, une critique de la gentrification du centre-ville. Interview.

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L’appartement de François Weber, rue Marbach, en face du parking en cours de démolition (Photo MM / Rue89 Strasbourg)

Rue89 Strasbourg : avec une douzaine de familles, vous avez créé une association de « défense des intérêts des riverains du Printemps », depuis quand et surtout, pourquoi ?

François Weber : « Tout a commencé en 2011, avec la rénovation du magasin du Printemps, côté Homme-de-Fer. Et puis il y a eu le bâtiment à côté, rue du Noyer. Côté parking, quai Kellermann, rue Marbach et rue Thomann, personne n’était au courant de ce qui allait se faire. Il y a quelques mois, des ouvriers ont commencé à faire des sondages à 8 ou 10 mètres de profondeur. On leur a demandé ce qui était prévu à la place du parking, ils nous ont parlé d’un nouveau bâtiment. Début septembre, avec une douzaine de familles, on a commencé à passer des coups de fil à la mairie, où on a été baladé de service en service, voirie, police du bâtiment… Au final, j’ai eu Robert Herrmann, l’adjoint de quartier, au téléphone, qui nous a fixé un rendez-vous le 17 septembre.

Il nous a reçu, deux voisins et moi, et nous a expliqué qu’il y aurait 73 nouveaux logements, 4 ou 5 commerces de luxe [le tout sur 8 217 m²] et un parking en sous-sol de 180 places. Il nous a assuré que ce projet était déjà lancé sous la municipalité précédente et qu’il avait pris le train en marche. Or le permis de construire a été signé cette année ! Il nous a montré des dessins, mais en nous affirmant qu’il ne savait pas où l’entrée du parking serait positionnée. Nous avons découvert par la suite en nous procurant les plans que cette entrée serait située rue Marbach, et non quai Kellermann comme c’est le cas depuis 30 ou 40 ans.

Après la réunion publique du 2 octobre, qui s’est déroulée dans la rue et a été très houleuse, nous avons décidé de nous constituer en association pour pouvoir déposer un recours en justice ou écrire au préfet. L’assemblée générale constitutive a eu lieu le 30 octobre. On n’a pas eu de mal à recruter des adhérents : c’est une réaction assez égoïste, mais les gens habitant les immeubles du secteur sont excédés, notamment à cause des nuisances du chantier de démolition… »

François Weber a pris la tête de la fronde contre le projet porté par la financière Valim (Photo MM / Rue89 Strasbourg)

R89S : ce chantier, comment le vivez-vous ? [Durant l’interview, le plancher de l’appartement au 3b rue Marbach tremble, on doit élever la voix pour s’entendre.]

François Weber : « Très mal ! Il y a de la poussière partout, les canons à eau ne suffisent pas à éviter qu’on en ait jusqu’à l’intérieur, on ne fait même plus le ménage ! Pendant 10 jours, le chantier a duré jusqu’à minuit/1h du matin [ndlr, pour éviter de gêner la circulation du tram rue du Noyer]. Les gamins des immeubles de la rue ont du mal à dormir la nuit et sont réveillés depuis des semaines le matin tôt par les engins de chantier… Les parents deviennent fous. Et puis, les murs bougent, on a fait venir des huissiers pour constater les fissures. On attend les résultats d’expertise. Dernière chose, l’entreprise de démolition [ndlr, Cardem] n’a pas prévu de lieu pour que les ouvriers puissent déjeuner, alors ils cassent la croûte dans les 5 ou 6 camions, stationnés à la file dans la rue, moteurs allumés pour avoir la radio et le chauffage, et nous on se tape les pots d’échappement ! »

En face du parking en cours de démolition, les immeubles sont poussiéreux malgré les canons à eau (Photo MM / Rue89 Strasbourg)

R89S : au-delà des nuisances qui ne dureront que quelques mois [la démolition doit s’achever en février, suivra la construction du nouvel ensemble logements-commerces], quels sont les critiques que vous émettez à l’encontre du projet ?

François Weber : « Notre contestation porte sur deux points. Vivant au centre-ville, on se doute que la ville doit bouger, qu’il faut l’embellir. Mais la municipalité aurait dû nous prévenir en amont, et les entreprises mettre plus de moyens sur la démolition (jets anti-poussière dès le démarrage, local pour les ouvriers…). Mais le plus important pour nous, c’est ce projet d’entrée/sortie de parking rue Marbach, une rue très étroite qui est déjà saturée par les dessertes de l’hôtel Mercure, du Sofitel et du magasin Printemps. Le seul intérêt de ce choix, c’est pour les promoteurs, Denis Oussadon [ndlr, l’une des plus grandes fortunes d’Alsace en 2011] et son associé de la financière Valim, qui veulent faire un beau quai Kellermann avec de somptueuses vitrines et reporter les nuisances dans nos rues, à l’arrière…

En ce moment, nous contactons les politiques, François Loos, Alain Jund et Éric Schultz, Jean-Jacques Gsell, Éric Elkouby… Ils sont tous en campagne et on en profite ! Après le mois de février, ce sera trop tard pour faire évoluer le projet. Avec Robert Herrmann, ça se passe mal. Pour nous, il plie devant les promoteurs. Il se dit socialiste, mais dans ce bâtiment qui est prévu, les logements seront à 7 000€ du mètre carré ! Il faudrait 4 mois de salaire aux filles qui vendront des foulards dans ces boutiques pour se les payer ! Le projet Oussadon, ce n’est pas un projet pour les gens du quartier, c’est un projet pour les riches étrangers. Et quand on parle bien-être et qualité de vie à Robert Herrmann ou Jean-Jacques Gsell, ils nous répondent tourisme et rayonnement de Strasbourg… Le Printemps, ce n’est déjà pas pour toutes les bourses, mais là c’est sûr, on s’achemine vers une Grande Île pour les touristes et plus pour ses habitants. »

Plan du futur bâtiment, dernier des trois projets de l’îlot Printemps (Photo MM / Rue89 Strasbourg)

Robert Herrmann dément « toute collusion » avec Denis Oussadon

De son côté, Robert Herrmann dément fermement « toute collusion » avec Denis Oussadon, en conflit avec la municipalité sur d’autres projets (Vox, Monoprix). Alors que le délai légal de recours contre le permis de construire a été purgé avant que les riverains ne bougent, l’élu assure qu’il a fait pression sur le promoteur pour que les nuisances, « réelles », soient atténuées au maximum (mise en place des sonomètres, restrictions des horaires de démolition nocturne, installation de canons à eau pour les poussières, visites d’huissiers dans les appartements avant démolition, etc.).

Il martèle : « C’est un chantier très lourd, bruyant, mais c’est le chantier le plus contrôlé aujourd’hui. Pour détruire ces dalles en béton, on ne sait pas faire avec moins de bruit. Si on y va à la petite cuillère, ça va prendre deux ans. Que dirait alors les gens ? » Concernant la présence de l’entrée du parking rue Marbach, le premier adjoint au maire de Strasbourg enchaîne :

« Il y aura aussi des logements en façade sur le quai. Pourquoi serait-ce ceux-là qui auraient les nuisances du parking ? On est dans le NIMBY, not in my backyard (pas dans mon jardin, ndlr). En revanche, ce que je dis aux riverains, c’est que dans le prochain mandat, après 6 ans de travaux, nous proposerons le réaménagement de ces rues [Marbach et Thomann], où le square est dégradé et la chaussée pourrait devenir une zone de rencontre. Un autre débat doit s’engager. »


#Denis Oussadon

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