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À quoi rêve le Neuhof ?

Pendant trois mois, un groupe d’étudiants de l’IEP de Strasbourg est allé à la rencontre des habitants du Neuhof afin qu’ils leur confient leurs rêves. Une démarche inspirée par le travail de l’écrivain Lancelot Hamelin, à Nanterre. Ces rêves sont maintenant entre les mains d’un illustrateur, qui leur donnera forme dimanche 3 février, dans un spectacle dessiné à découvrir à l’Espace Django. En avant-première, Rue89 Strasbourg dévoile ici quelques-uns de ces songes…

Son

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« Et vous, avez-vous un rêve à nous confier ? Oui, un rêve, de ceux que l’on fait la nuit, sans qu’on n’ait rien demandé… Un rêve qui vous aurait réveillé, marqué, effrayé ou bien enchanté ? »

Les moues sont perplexes, les mines, interrogatives. C’est que la démarche n’est pas habituelle. Jamais, cette question intime n’est posée par un inconnu, encore moins, comme ça, entre les poireaux et les carottes, sur le marché du Neuhof. Par un jeudi matin d’hiver, certains passants se sont pourtant prêtés au jeu, amusés :

« Ça va vous paraître bizarre hein… »

Pas de tabou. Le groupe de cinq étudiants du master de politique et gestion de la culture de l’Institut d’études politiques de Strasbourg était prêt à tout entendre pendant trois mois. Dans un large sourire, Samira, 41 ans, se lance dans le récit de ce cauchemar, qui l’a déjà réveillée plusieurs fois en sursaut :

« J’étais au milieu de la mer, sur une sorte de poutre, et je trouvais pas de chemin. J’étais perdue, je marchais, et j’avais peur de perdre l’équilibre à chaque fois. Et puis dès que je tombais, je sursautais, j’avais l’impression de le vivre. J’étais angoissée. (…) J’étais là et je me disais comment je vais faire pour m’en sortir. Déjà je savais pas nager. Il n’y avait aucune issue, je me disais qu’il fallait que je tienne, que je traverse, trouver une issue pour arriver sur Terre. »

Écouter Samira raconter son rêve

(dessin Finzo)

Il y a les rêves teintés d’angoisse comme celui de Samira, et d’autres au contraire qui ressemblent à des issues de secours. Cathie, grand-mère de trois petits-enfants, s’élève la nuit. Elle se transforme en oiseau.

« Je sors de mon corps, je vole, et je suis persuadée de voler mais comme un oiseau. Je peux m’arrêter quand je veux, planer. Et finalement je me sens très bien, ça me fait pas peur du tout. C’est rassurant. Je me demande si ça a pas un peu un rapport avec la famille. Je suis la seule mamie qui reste donc étant la seule mamie. C’est mamie qui fait tout, les activités… Alors est-ce que c’est rassurant ou pas, ou est-ce que c’est aussi un moyen peut-être de m’échapper ? Je ne sais pas trop mais je rêve souvent que je vole. »

Écouter Cathie raconter son rêve

(dessin Finzo)

Suzanne, elle, convoque sa vie d’avant dans ses songes nocturnes. Cette membre de la communauté des gens du voyage de 38 ans, vit depuis trois ans dans un appartement de ce quartier prioritaire de la politique de la ville, avec sa famille. Quand vient la nuit, son inconscient monte des chapiteaux :

« Je rêve de partir, je vois les chapiteaux, ce qu’on fait d’habitude quoi. On est du monde du voyage, mes parents sont évangélistes, on témoigne de l’amour de Jésus, on voit beaucoup de monde… Et puis là depuis qu’on est en maison, des fois quand je me réveille, je suis triste. (Dans mon rêve), on arrive sur les places, on installe le chapiteau, on casse des portails… notre vie quoi. Ça n’a pas vraiment changé, mais on voyage moins, les enfants font des études… On est plus Français maintenant. »

Écouter Suzanne raconter son rêve

(dessin Finzo)

Le voyage, la nostalgie d’une vie passée, l’argent font partie des thèmes récurrents des songes que les habitants du Neuhof ont accepté de livrer. Pierre Chaput, directeur de l’Espace Django, a accueilli ce projet avec curiosité :

« Sonder les rêves des habitants du Neuhof, c’est une façon de continuer à faire connaissance avec toute une série de personnes, des jeunes, des moins jeunes. Découvrir leur imaginaire, leurs peurs, leurs désirs, mêmes les plus enfouis. Les thèmes qui semblent ressortir de cette récolte renvoient tous quelque part à l’idée de liberté. Sans doute le bien le plus précieux. Et une aspiration qui revient souvent dans le quartier. Sortir de son appartenance, s’affranchir de son propre sort. Que rien ne soit écrit d’avance. »

En recueillant ces confidences, les étudiants se plaçaient dans la lignée de l’Assemblée des rêves, un projet de l’écrivain Lancelot Hamelin et du metteur en scène et chercheur Duncan Evenou. En résidence au Théâtre des Amandiers à Nanterre, l’écrivain avait constitué une équipe de 20 cueilleurs de rêves. Par groupe de deux, l’un muni d’un enregistreur, l’autre d’un carnet, ils étaient allés demander aux habitants de Nanterre à quoi ils rêvaient à l’approche de l’élection présidentielle. Depuis le projet s’est diffusé jusqu’au Caire et New-York.

(dessin Finzo)

Une trentaine de songes plus tard, la question de la restitution s’est posée aux étudiants. Sous quelle forme rendre aux habitants les rêves qu’ils ont bien voulu confier ? Les étudiants ont fait appel à un illustrateur, enseignant à l’école des Arts décos : Finzo. Car qui mieux qu’un dessinateur pourrait donner des formes et des couleurs à ces rêves ? Finzo a l’habitude de proposer des « concerts dessinés » et dimanche 3 février, il restituera une partie des rêves, devant le public de Django, avec ses crayons et d’autres instruments.

À partir d’un scénario pré-établi, il donnera à voir une histoire faite d’images préparées et projetées sur un écran. Ces images, il va, soit les compléter en dessinant par-dessus, soit les animer avec un dispositif qui tient à la fois du théâtre d’objet et du livre « pop-up ». Sous l’œil du public, il complétera ce qui deviendra une sorte de dessin animé.

Pour écrire son scénario, Finzo a écouté, un par un, la trentaine de rêves récoltés :

« J’ai pu relever des accents lointains parmi les personnes interrogées, et des narrations qui semblaient aller de pair avec le quotidien sûrement difficile d’une population immigrée qui cherche trouver sa place dans la société, par le travail en tout premier lieu. Tel cet homme tenant une petite pizzeria, fabriquant des centaines de pizzas tous les jours de la semaine, et qui, finalement, n’arrivait pas à rêver d’autre chose que de pizzas. Ça m’a fait penser aux “Temps modernes” de Chaplin. »

Le pizzaïolo qui rêve de pizzas

Ce travail sur les rêves n’a qu’une ambition : donner à entendre ce qui remue, préoccupe, enthousiasme des habitants à l’échelle d’un quartier, puis y donner un prolongement artistique. Si l’idée peut sembler intrusive, Lancelot Hamelin lui, est convaincu que les rêves méritent d’être observés, sortis de la pénombre :

« Certes, les rêves ont quelque chose d’intime et de secret mais ils révèlent aussi quelque chose des collectifs que nous formons et en cela, ils méritent d’être mis en commun et de circuler. »

Pour ceux qui n’ont pas eu l’occasion de confier leurs rêves, il n’est pas trop tard. Des étudiants en illustration de la Haute école des arts du Rhin (Hear) proposeront dimanche un atelier de dessin en direct.


#illustration

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