Au numéro 33 de la rue Kageneck, au pôle photographie Stimultania, la porte s’ouvre toujours sur un autre monde. Jusqu’au 15 avril, l’espace d’exposition nous immerge dans la P’tite Cafète, la cafétéria voisine du pôle psychiatrie de l’hôpital de Niort. Le photographe Frédéric Stucin s’y est installé un an, au milieu des patients qui viennent passer un moment, boire un café, manger une glace, discuter entre eux ou avec les soignants. Le regard de l’artiste ici n’a rien de voyeuriste. Le texte introductif de l’exposition précise sa démarche :
« Une semaine par mois, le photographe va proposer aux patients ou aux soignants de créer, ensemble, de « vrais portraits rêvés ». Une photographie qui les raconte, qui dit ce que l’on a envie de dire de soi, à ce moment-là. Le pari de ce projet est que le regard extérieur ne soit plus un empêchement, mais au contraire l’occasion d’un partage. »
L’autre, c’est nous
La première pièce de l’exposition installe le décor de cette cafétéria grise, ses rideaux jaunes et sa végétation. Quelques courts textes de la journaliste Ondine Millot suffisent à décrire par leurs phrases courtes et simples, par les détails qui disent beaucoup, l’atmosphère du lieu qu’on visite :
« Sur les baies vitrées en rotonde de La P’tite Cafète, les visages pâles du matin se reflètent. La nuit d’hiver, encore noire, a changé les vitres en miroirs, enfermé dans un cocon hors du temps le bar et ses occupants. S’y réverbèrent aussi le comptoir, le ventre rond d’Éric L., son sourire, sa casquette, Martin qui s’affaire, ses mouvements concentrés pour vider le lave-vaisselle, remplir le percolateur. Il est huit heures, infirmiers et patients se lèvent avant le soleil. Le petit-déjeuner le moins cher de France – un euro les tartines, jus d’orange et boisson chaude – a ses habitués que ni le froid bruineux du dehors, ni le labyrinthe des bâtiments massifs de l’hôpital n’arrête. Au contraire, ils en connaissent le moindre recoin, empruntent machinalement le chemin jusqu’ici. Ils viennent même lorsque c’est fermé, le week-end. Les infirmiers Éric L. et Éric B. laissent des chaises dehors, on partage une clope à défaut d’un café. »
Extrait du livre « Les interstices », avec les photos de Frédéric Stucin et les textes d’Ondine Millot
Puis l’exposition s’ouvre sur une immense série de portraits. Les premiers, en grand format, montrent des visages, dont certains s’effacent presque sous une sorte de filtre, ici terreux, là d’acier. Un peu plus loin, une succession de plus petites photographies au fond noir. Une jeune femme au visage fin, un élégant collier autour du cou, fixe le spectateur dans les yeux. A côté, un homme tatoué regarde en biais, les cheveux grisonnants, l’air désabusé. Plus loin, une dame porte chapeau de paille. Ses yeux comme embués se perdent dans le vide. Autant de visages de cet autre monde, souvent fantasmé, de l’hôpital psychiatrique, « l’asile ». Certains regards peuvent sembler énigmatiques, étranges, d’autres paraissent plus familiers. En passant face à chacun de ces visages, on finit par se rendre compte que nous ne sommes jamais loin d’être « l’autre ».
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