C’est sur la grande scène du Point d’eau à Ostwald que les deux danseuses se retrouvent enfin. Survêtement gris, baskets et cheveux ramenés en chignon pour Hyacinthe Gau Lopez. T-shirt bordeaux, pantalon noir et pointes qui crissent sur le parquet pour Émeline Clerc. Les deux femmes entament le troisième volet d’une résidence artistique. Les projecteurs sont allumés, mais les gradins sont vides, l’atmosphère est feutrée. Elles ont la scène rien que pour elles : ensemble, elles suivent le tempo doucement balancé qui s’échappe d’une enceinte posée au sol.
L’idée de cette chorégraphie commune est née dans une école de danse où elles enseignaient toutes les deux, raconte Émeline, 28 ans.
« À la fin de l’année on a senti que nos élèves avaient envie de voir leurs professeurs sur scène. Pour leur faire plaisir, et pour nous faire plaisir aussi, on a décidé de faire un petite chorégraphie. Un duo hip hop classique. On a aimé le peu de temps qu’on a passé ensemble à créer cette pièce-là et sur scène, ça a été aussi une révélation. Il s’est passé quelque chose et on a eu envie d’approfondir. »
Grâce et performance
Pour la durée de la résidence, Émeline a rejoint la compagnie Corps et Graph’ créée par Hyacinthe il y a 3 ans. Chacune a découvert et apprivoisé la discipline de l’autre. La chorégraphe et danseuse hip hop de 35 ans, apprécie ce qu’elle a découvert de la danse classique :
« C’est très gracieux. C’est une danse qui permet d’aller très loin dans ses mouvements, on a l’impression que notre corps dessine des lignes et c’est comme si le dessin était parfait. C’est moins saccadé, les lignes sont fluides. La difficulté ? C’est vraiment la souplesse, la force dans les jambes, on n’imagine pas mais la force est énorme dans les jambes. »
Émeline, a aussi changé sa vision de la danse hip hop :
« D’abord j’ai découvert que ce n’était pas une danse mais plusieurs et j’ai appris deux disciplines : debout et le breakdance au sol. Donc double challenge ! J’ai dû faire un gros travail de musculation : le dos, les bras, ça a été dur. La chose que j’ai vraiment aimé, c’est la performance, c’est vraiment un show, il n’y a pas le même regard que sur la danse classique et ça me plaît. »
Si les deux danseuses sont soulagées d’avoir repris les entraînements et la création, leurs activités de cours et ateliers (établissements scolaires, studios, centres socio-culturels) sont totalement arrêtées ou presque. La situation financière est difficile même si certaines structures maintiennent les activités en visioconférence : « on garde le lien avec nos élèves, mais on perd beaucoup, regrette Hyacinthe. Sur 15 élèves on va en retrouver 5 parce que les autres n’ont pas la place à la maison ou n’ont pas pu se connecter. »
Sentiment d’injustice
Les deux artistes ressentent une réelle injustice avec ce nouveau confinement, la culture « non essentielle » est durement frappée selon Émeline et beaucoup en souffrent :
« En septembre j’ai retrouvé mes élèves présents et sur-motivés, ils ont besoin de la culture pour grandir. On fait avec pour sauver les meubles et garder le moral des troupes. J’envoie des vidéos, mais je vois bien que c’est eux aussi qui font vivre mes cours de danse et sans eux, je perds mon dynamisme de professeur. »
Hyacinthe craint aussi les conséquences plus sévères pour les athlètes d’un certain niveau :
« Beaucoup se sont blessés à la reprise car ils n’avaient pas eu de suivi pendant quatre mois de confinement, parce qu’ils ont perdu la musculature, pas fait suffisamment d’étirements etc. Ceux qui sont dans des sections spécifiques peuvent continuer mais beaucoup sont arrêtés et le corps est mis à rude épreuve. »
En vertu des dernières annonces, la réouverture des salles de danse et studios n’est prévue que le 20 janvier 2021. En attendant, les deux danseuses poursuivent leur création au long cours, leur plongée dans l’univers de l’autre, avec en tête l’espoir de pouvoir faire découvrir cette création à un public à nouveau autorisé en salle : « C’est pour ça aussi que ça s’appelle spectacle vivant, on vit avec le public, et on vit à chaque représentation », sourit Hyacinthe.
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