« Les gens doivent le comprendre : certaines grèves seront pénalisantes, mais c’est notre carte à jouer pour que le gouvernement renonce », prévient Laurent Feisthauer, secrétaire départemental du Bas-Rhin de la CGT, à quelques heures du début de la mobilisation des huit principaux syndicats français contre la réforme des retraites, jeudi 19 janvier. Il anticipe déjà la stratégie du gouvernement :
« Il ne faudra pas se laisser enfermer dans le discours des macronistes. Ils essayeront d’opposer les usagers et les grévistes, en nous faisant passer pour les méchants qui pénalisent les autres. C’est leur stratégie. On sait aussi déjà qu’on aura tous les jours des reportages sur des personnes impactées par les grèves.
Mais on ne crée un rapport de force qui peut faire plier le gouvernement que si des secteurs stratégiques sont à l’arrêt dans la durée. Évidemment, une journée de grève c’est une journée de salaire en moins, mais beaucoup de salariés sont déterminés car ils comparent ça avec les années de plus à travailler et la baisse des retraites pour certains. »
Prêts à s’engager dans un mouvement long
La Première ministre Élisabeth Borne a appelé, le 12 janvier, les syndicats à « ne pas pénaliser les Français » lors de la grève contre la réforme des retraites. « C’est un non sens », pour Laurent Feisthauer : « Le principe de la grève est de faire pression en ayant des conséquences sur l’outil de travail. » Pour lui, il sera nécessaire de ne pas faire reposer le mouvement uniquement sur les cheminots et la RATP comme en 2019, lors de la tentative de réforme des retraites pendant le premier mandat d’Emmanuel Macron. « Cette grève restreinte avait facilité la tâche au gouvernement. Or il y a de nombreux autres secteurs stratégiques, comme les raffineries, l’éducation, les services publics territoriaux ou le transport routier », observe t-il.
Les grévistes dans l’enseignement peuvent avoir un rôle important. Agathe Konieczka, co-secrétaire au Snuipp-FSU, syndicat majoritaire dans les écoles du premier degré, décrit l’impact de la grève du personnel de l’éducation en maternelle et en primaire :
« Quand des écoles ferment, les parents sont obligés de trouver des solutions pour garder leurs enfants. Certains peuvent donc être entrainés dans la mobilisation. Au niveau du Snuipp-FSU, nous avons mis en place un système de caisse de grève car de nombreux enseignants se préparent à un mouvement long.
Dans des tracts et des mails, nous avons envoyé tout un argumentaire pour les profs à destination des parents : nous n’avons pas besoin de cette réforme, il y a d’autres moyens d’être à l’équilibre. Si le gouvernement a reculé en 2019 sur la réforme des retraites, ce n’est pas que grâce au Covid, c’est aussi grâce à la mobilisation. Et d’ailleurs, il ne réessaye pas de faire passer la retraite par points, ce mouvement a laissé des traces. »
« Les gens nous demandent comment faire grève »
D’après Agathe Konieczka, le nombre d’établissements qui n’accueilleront pas d’élèves jeudi n’est pas encore arrêté. Elle peut déjà annoncer que les écoles Eléonore à Hautepierre, Saint-Jean et Saint-Thomas au centre-ville, Wimpfeling à Sélestat ou encore celles de Wolfisheim, Muttersholtz et Scherwiller seront fermées. Le syndicat compte environ 54% de grévistes dans le Bas-Rhin.
Bertrand Augé est salarié de l’usine chimique Novares à Ostwald. Il est aussi délégué syndical central de Force ouvrière pour les huit sites français de Novares. Selon lui, si des industriels sont à l’arrêt ou ralentis à cause de la grève, une partie du patronat pourrait aussi être amenée à faire pression sur le gouvernement pour que l’économie reparte. Ce dernier se dit très surpris par l’ampleur de la mobilisation :
« Les gens sont vent debout, y compris les non-syndiqués. Ils nous demandent comment faire grève, pour beaucoup c’est la première fois. Je n’ai pas du tout eu besoin de convaincre. Il y a une grande impatience, tout le monde est dans les starting blocks. Notre préavis est déposé uniquement pour le 19 janvier car nous discuterons en intersyndicale de la suite. Mais nous avons acté que cette journée ne sera que le départ d’une puissante mobilisation. »
L’Unsa CTS favorable à un blocage du réseau bus et tram
Même discours pour Bettina Winterstein, secrétaire départementale de la CGT métallurgie : « Nos élus hallucinent, ce sont les salariés qui viennent à eux et pas l’inverse, pour demander où va partir la manifestation de jeudi. » Elle indique que des bus partiront de plusieurs petites villes en Alsace, comme Saverne, vers Strasbourg :
« Si on croit qu’on va faire plier le gouvernement avec une seule grande manifestation, on rêve. Mais les gens sont déterminés cette année, je n’ai jamais vu ça. Il y a un grand ras-le-bol, une volonté de protester, aussi à cause de l’inflation. Je pense que les grèves vont s’amplifier petit à petit si le gouvernement n’écoute pas les revendications, car cela va énerver tout le monde. »
Du côté de la Compagnie des transports strasbourgeois (CTS), Éric Vautherot, délégué Unsa, le syndicat majoritaire, assure que la mobilisation du 19 janvier sera également importante, avec plus de 450 grévistes sur 542 personnes censées être en service :
« Notre grève sera massive. Elle empêchera une bonne partie du trafic. La majorité des salariés, que ce soit les conducteurs, le personnel technique ou les agents de maîtrise, sont concernés par la réforme et y sont opposés. Nous avons beaucoup de retours de personnes qui craignent la réforme, notamment des conducteurs au bout du rouleau à cause des horaires difficiles que nous avons. Nous savons bien que cela impactera des usagers, mais il faudra choisir entre quelques jours de grève et des années supplémentaires à travailler pour tout le monde. »
La CFDT annonce 3 à 5 000 de ses adhérents dans la rue jeudi
Il est évident qu’une forte mobilisation des chauffeurs de camion de transit aurait des retombées importantes. Pascal Vaudin, secrétaire général de la CFDT Transport routier dans le Bas-Rhin en est conscient :
« Imaginez un mouvement qui implique que les stations service ou les denrées alimentaires ne sont pas livrées. Nous sommes déterminés à faire reculer le gouvernement et nous n’hésiterons pas à organiser un grève sur plusieurs jours ces prochaines semaines. Nous remarquons que même certains patrons facilitent la grève de jeudi car ils se sentent aussi impactés. »
Rien que la CFDT du Bas-Rhin estime que ses adhérents seront entre 3 et 5 000 dans la rue à Strasbourg jeudi. Les syndicats interrogés affirment demander à leurs élus de terrain de faire de la pédagogie sur les lieux de travail pour vulgariser ce qu’est la réforme des retraites. Les militants distribuent aussi des tracts devant les commerces, collent des affiches et font du porte à porte pour expliquer l’importance de la mobilisation.
Des grèves stratégiques
« On doit être inventifs, rendre les manifestations festives, aller dans les villes moyennes, faire des opérations escargot », liste Laurent Feisthauer, insistant aussi sur l’aspect stratégique de certaines grèves. Parfois, si quelques travailleurs nécessaires à une activité s’arrêtent, cela peut suffire à avoir un impact important et il est plus simple de les soutenir avec une caisse de grève. Le simple fait que les agents du centre opérationnel de gestion des circulations de la SNCF seront en grève jeudi provoquera la suppression de la totalité des TER en Alsace.
Les syndiqués interrogés espèrent une mobilisation semblable à celle de 1995, quand le gouvernement avait renoncé à une réforme des retraites suite à des grèves dans de nombreux secteurs. Au niveau national, l’intersyndicale se réunit régulièrement pour planifier ces grèves impactantes et imposer un rapport de force au gouvernement. Le projet de loi devrait être présenté à l’assemblée autour du 30 janvier.
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