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Des retables profanes chez Jean-François Kaiser

Dans le bel appartement bourgeois qui abrite la galerie Jean-François Kaiser au centre-ville de Strasbourg, treize artistes réinterprètent la forme religieuse du retable. Irrévérence, humour, évocations métaphysiques se croisent dans cette exposition variée qui met à l’honneur des artistes phares de la galerie et quelques nouvelles découvertes.

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Etude pour Cabane gaspésienne – Thibaut Honoré (photo CM-Rue89Strasbourg)

Dans la rue des Charpentiers à Strasbourg, le numéro 6 héberge pas moins de trois galeries. Au rez-de-chaussée, Jean-Pierre Ritsch-Fisch a pignon sur rue. Après avoir été son assistant pendant quinze ans, Jean- François Kaiser a eu envie d’avoir sa propre galerie et s’est installé à l’étage en janvier 2015, à côté de la galerie Yves Iffrig.
Il ne faut pas hésiter à sonner pour monter au premier, où M. Kaiser expose dans trois pièces tout en parquet et hauts plafonds les artistes qu’il repère tant au niveau local qu’international.
L’idée de l’exposition Retables est née de l’une des œuvres exposées, Laure, comme l’explique le galeriste :

« J’aime beaucoup Laure de Laure André, c’est cette œuvre qui m’a donné envie de faire une exposition thématique, l’été dernier. J’ai contacté plusieurs artistes, et la plupart ont réalisé une pièce exprès pour l’occasion. »

Le retable – en anglais altar piece (pièce d’autel) – est l’oeuvre picturale principale d’une église et représente différents moments de la vie du Christ. Les panneaux sont ouverts ou repliés selon les moments de l’année, l’extérieur peut également être peint, ou non. Ce jeu de montré-caché et la déclinaison d’un sujet sur plusieurs images offre une base formelle inspirante, que les artistes se sont appropriée chacun à leur manière.

Laure – Laure André (doc. remis)

Le minimalisme et le sacré

L’œuvre à l’origine de l’exposition, Laure, est un objet précieux en bois d’ébène laqué qui renferme un délicat découpage de papier. Tout en blanc, il évoque la spiritualité et fait référence aux travaux minutieux et méditatifs pratiqués par les moines. Les motifs réalisés avec la technique du canivet dessinent une croix, ou le plan d’une basilique. L’artiste a joué avec son prénom, qui désigne dans la tradition orthodoxe un lieu de rencontre et de prière pour des moines ermites. Une sorte de silence lumineux émane de cette œuvre à la fois contemporaine et pleine de références anciennes.

Triptyque de la Trinité, Joris Tissot (photo CM-Rue89Strasbourg)

Sur le mur perpendiculaire, Joris Tissot présente un dessin en triptyque minimaliste où l’on s’abîme facilement dans l’interprétation des symboles. Dans l’ordre, un crâne de buffle, un Christ crucifié vu d’un angle Dali-esque et un utérus – mort, spiritualité et vie ? – s’alignent dans une étonnante similitude de formes. Je rencontre l’artiste, 24 ans et griffonné de tatouages, devant son œuvre, et lui demande pourquoi ces éléments planent au-dessus d’un paysage dépouillé :

« J’aime les espaces vides, le calme, c’est comme un espace vierge pour la création. Les montagnes sur l’horizon, ce sont sûrement mes origines jurassiennes. Et les deux petits personnages qui cheminent ensemble, ce sont deux facettes de moi-même qui dialoguent quand je dessine. On les retrouve souvent sur mes dessins. »

Quant à l’interprétation, tous les chemins sont bons, et de nouveaux s’ouvrent en discutant avec des visiteurs.

La réflexion métaphysique peut continuer devant Obsur chemin dans les confins de Joseph Bey, cinq volets en bois noir constellés de nuées cosmiques, formant un petit monument aux mystères de l’univers…

Aurélie de Heinzelin (à l’arrière-plan, Joseph Bey)

Érotisme et héroïsme

Mais on trouve aussi des interprétations du retable truculentes et irrévérencieuses. Dans la version d’Aurélie de Heinzelin, des moines et des sœurs à l’air un peu grotesque s’avèrent être des personnages costumés, comme l’explique l’artiste :

« Mon monde pictural est un carnaval dans lequel tout est permis. Les mêmes personnages se retrouvent sur les panneaux extérieurs dans des scènes érotiques, issues de mes rêves et dont je ne connais pas la signification. J’ai emprunté une image de corps body-buildé sur internet qui est elle aussi comme un costume. Je suis plutôt bien élevée dans la vraie vie, mais dans ma peinture rien n’est censuré. »

The birth of Robin Hood, Tom Poelmans (doc remis)

Le belge Tom Poelmans préfère les (super)-héros aux figures religieuses, et l’un de ses dessins foisonnants de détails raconte La naissance de Robin des Bois. Tom décrypte ce titre :

« Je m’interroge sur ce qui a déclenché leur vocation chez les héros. Pour Robin des Bois, je l’ai imaginé contemplant le commun du peuple occupé à des activités banales, et décidant qu’il ne voulait pas d’une telle vie. »

Ce qui explique l’air pédant du personnage aux allures de Prince de Lu posté à l’avant-plan. D’un trait tantôt cartoonesque, tantôt faussement enfantin, le dessinateur écrit une légende dans le sens originel du terme, usant en ce sens aussi de la forme du retable comme support de biographies illustres. Mais il garde ses distances avec ces grandes références : un simple stylo bleu et un ton humoristique sont ses instruments de prédilection.

De nombreuses autres variations autour du retable sont à découvrir, dans un aperçu global des artistes de la galerie. Certains y ont déjà eu une exposition personnelle, pour d’autres, c’est à venir…

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