« Bonne nouvelle » pour Thibaut Klein, président de l’Afges (Association fédérative générale des étudiants de Strasbourg), sa structure a « un an pour mettre en place une architecture financière suffisamment stable pour [lui] permettre de continuer à gérer la Gallia ». Vendredi 25 octobre, le conseil d’administration du Cnous (Centre national des œuvres universitaires et scolaires) à Paris a validé à l’unanimité la prorogation pour 2014 de la convention liant l’Afges et le Crous de Strasbourg pour la gestion du restaurant universitaire de la Gallia, dernier resto U tenu par une fédération d’associations étudiantes en France.
Une convention écrite sur un coin de table
Alors que la Gallia, ancienne brasserie Schutzenberger, est entre les mains de l’Afges depuis 1927, la convention actuelle a été signée entre les deux parties en 2005 et prend fin en décembre 2013. Cette convention, qui semble avoir été écrite sur un coin de table, n’est pas conforme à la législation de 1993 relative à la gestion de ce type de lieu, comme le relève la Chambre régionale des comptes dans un rapport très sévère publié en avril 2011 (voir ci-dessous, ou en PDF).
Pour la Chambre, la relation qui lie le Crous et l’Afges s’apparente à une délégation de service (DSP), ce qui supposerait un appel d’offres alternatives (mise en concurrence de l’Afges) et la transparence des comptes.
Un prix de revient par repas plus élevé
Or, le rapport pointe de nombreux problèmes, et notamment une absence de « comptabilité analytique » par l’association, « qui permettrait de dégager le prix de revient d’un repas ». Les seuls éléments en possession de la Chambre lui permettent d’écrire que les repas servis par le Crous reviendraient moins chers que ceux servis par l’Afges à la Gallia.
Thibaut Klein, président de l’Afges, veut rassurer :
« La Chambre dit qu’entre 2009 et 2010, il n’y avait pas de comptabilité analytique, mais depuis, ça a été fait. Depuis 10 ans, les comptes sont au Journal officiel et certifiés ! La gestion est tout à fait propre. »
Mais quand on lui demande d’établir le prix de revient d’un repas à la Gallia, sachant qu’environ 270 000 sont servis par an, il reconnaît :
« C’est effectivement un prix aujourd’hui qui est flou, car il est incomparable avec celui du Crous. Eux ne donnent pas toutes les données qui permettent d’évaluer le prix du repas. Nous, nous incluons tout dedans : les charges salariales, les taxes, etc. »
Conflit d’intérêts au conseil d’administration
Cette absence de transparence pose problème, notamment à un ancien représentant de l’Unef (Union nationale des étudiants de France), syndicat étudiant plus marqué à gauche, qui s’interroge :
« A quoi sert l’argent versé à l’Afges par le Cnous et les collectivités locales ? A financer leurs campagnes [lors d’élections étudiantes] ? Quand on sait que l’Afges siège au conseil administratif du Crous et qu’ils prennent part aux décisions concernant la Gallia, que faut-il en penser ? »
« Mensonges et propos diffamatoires », selon Thibaut Klein. Il n’empêche qu’un « conflit d’intérêts » est également relevé dans le rapport :
Ce que préconise la Chambre : un « retrait » des représentants de l’Afges lors des débats et des votes en CA relatif à la gestion de la restauration.
Crous-Afges, un « climat conflictuel »
D’autant que les relations entre l’Afges et le Crous sont loin d’être au beau fixe et ce, depuis plusieurs années. C’est un autre des points soulevés par le rapport de la CRC :
« La mise en œuvre des conventions s’effectue dans un climat conflictuel. (…) Il apparaît que les relations entre ces co-contractants ont toujours été difficiles, mais le dialogue apparaît aujourd’hui quasi-inexistant (…). La chambre invite les parties à placer leurs relations sous l’égide du principe de la confiance légitime et rappelle que la bonne foi dans l’exécution des conventions suppose loyauté, solidarité, proportionnalité et souci de l’équilibre contractuel. »
Malgré ces années de relations houleuses, la prorogation de la convention jusqu’en 2014 force les deux parties à trouver un terrain d’entente. Car si l’Afges n’est plus en charge du restaurant, qui prendra le relais ? Pour Lilla Mérabet, conseillère régionale UDI (proche de François Loos et Philippe Richert) chargée de la jeunesse, hors de question que l’Afges soit délogée. Selon elle, la gestion par l’Afges est emblématique d’un projet étudiant « entreprenant et volontaire » :
« Je soutiens un projet de jeunes qui tient la route. On ne peut pas balayer d’un revers de la main une association étudiante installée historiquement dans ces lieux, il faut trouver une solution. »
Soutiens politiques dans tous les camps, l’Afges intouchable ?
Avec le conseiller général UMP Philippe Meyer et la députée-maire UMP de Lampertheim Sophie Rohfritsch, Lilla Mérabet publiait en septembre dernier une tribune sur ce sujet dans les DNA. Extraits :
« Depuis près d’un siècle, l’Afges a été exemplaire grâce à la mise en œuvre d’actions en faveur de la vie étudiante dans des domaines aussi variés que l’animation du campus, le logement, la santé et la restauration universitaire, tout cela à partir des locaux bien identifiés de la Gallia, 90 ans aussi que qu’elle offre la possibilité aux désormais 44 000 étudiants à Strasbourg de les accompagner vers la voie professionnelle, mais en leur donnant surtout l’opportunité de l’apprentissage de la citoyenneté et de l’engagement dans toutes ses composantes. (…)
La longue et lente dégradation [des relations entre le Crous et l’Afges] arrive aujourd’hui à un point culminant avec en toile de fond un véritable risque de cessation d’activité pour l’association. (…) Et c’est pour cela que nous appelons les collectivités locales à être solidaires de l’Afges. Nous attendons que l’ensemble des acteurs publics s’engage ouvertement et publiquement à contribuer au règlement de cette situation en faveur du maintien de la diversité historique de la restauration étudiante à Strasbourg. »
Appuis politiques à droite, mais également à gauche, dont Catherine Trautmann, députée européenne et vice-présidente de la CUS. De là à faire de l’avenir de la Gallia un thème de campagne, il n’y a qu’un pas que l’Afges franchira probablement sans complexe, prédit-on en coulisses.
La solution espérée par le Crous : une reprise en régie
Deux options sont sur la table. D’abord, une délégation de service public, qui se rapprocherait au plus près de ce qui est pratiqué aujourd’hui, mais nécessiterait une mise en concurrence (avec, par exemple, l’Alsacienne de restauration…) et surtout, un financement par le Crous de Strasbourg. Or la manne tombe aujourd’hui de Paris, avec une enveloppe de subventions attribuée directement par le Cnous. La solution DSP apparaît donc difficilement acceptable pour Christian Chazal, directeur du Crous de Strasbourg, qui selon lui « n’a pas les moyens d’assurer une délégation de service public ».
La reprise de la gestion en direct du restaurant par le Crous est, elle, espérée. Dans ce contexte, Christian Chazal assure le passage en CDI de tout le personnel (une quarantaine de personnes) employé actuellement dans le restaurant. Cette option, qui a la préférence de quelques acteurs du dossier, notamment proches de l’Unef, permettrait de clarifier les relations entre le Crous et l’Afges, dont le rôle se bornerait alors à animer la vie étudiante et à défendre les intérêts des étudiants, comme le font les autres syndicats.
L’affaire est néanmoins loin d’être tranchée. Deux experts comptables ont été désignés, l’un par l’Afges, l’autre par le Crous, dans une volonté d’apaisement. Un premier bilan devra être exposé au recteur de Strasbourg et au directeur du Cnous avant décembre 2013.
Avec Marie Marty
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Le rapport de la Cour régionale des comptes de 2011 (PDF)
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