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Au cœur du Ried, « les Alsaciens en ont marre de ce bordel de France »

À Friesenheim, Diebolsheim et Bindernheim, communes isolées d’Alsace centrale, les habitants sont divisés. Certains n’ont aucun espoir dans la politique. D’autres ne comprennent pas la montée du vote d’extrême-droite dans des villages si propres et si sûrs. Mais une baisse du pouvoir d’achat, la réforme des retraites et le sentiment d’injustice alimentent cette expression contestataire.

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« Vous pouvez écrire que malgré tout on est heureux ici. On se fait une vie à notre image. » À Bindernheim près de Sélestat, Solange garde un sourire quasi-permanent en cet après-midi du mercredi 25 mai. La présidente du club de retraités Rayon de soleil profite d’une partie de pétanque avec une dizaine de personnes.

À côté de l’église, le boulodrome, les jeux pour enfants et le city stade semblent neufs. Dans ce village tranquille du centre Alsace, les façades des maisons sont propres, les jardins bien ordonnés, rien ne traine sur le trottoir. Ici, 55% des électeurs qui se sont déplacés ont voté Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle.

Des prix qui augmentent, pas les retraites

Entre deux lancers précis de boules, Solange réagit à ce score du Rassemblement national. Ancienne auxiliaire de vie à domicile, elle se plaint « des prix qui ont augmenté et des retraites qui n’augmentent jamais ». Elle refuse de communiquer son vote tout en dressant un constat clair sur le quinquennat d’Emmanuel Macron : « Tout est négatif, rien de positif. Que des promesses, rien de concret. On est allé au fond. »

Le lancer précis de Solange, auxiliaire de vie à domicile à la retraite. Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

De l’autre côté du terrain de pétanque, Marie-Louise ne s’explique pas le vote RN dans sa commune voisine, Friesenheim (65% des voix pour Marine Le Pen au second tour). Présidente du club de retraités, le Duo dynamique du Ried, elle décrit son association et ses 78 adhérents, « dont certains vont moins au restaurant, comme cette femme veuve avec un loyer à payer ». « Personnellement, je pense que c’est juste le pouvoir d’achat qui pose problème. « Macron est pour les riches. C’est ce que les gens disent. »

À gauche, Solange, la présidente du club des retraités de Bindernheim. À droite, Marie-Louise, présidente du club des retraités de Friesenheim. Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

Le « bordel » en France et la baisse des services publics

Participant à la partie de pétanques, Jean-Paul Imbs, ancien maire de Bindernheim donne volontiers son analyse de l’électorat local. En polo gris, lunettes de soleil style aviateur, il affirme avec assurance :

« Nous les Alsaciens, on est carré, un peu comme l’Allemagne. Alors quand ils voient des manifestations à la télé, avec des casseurs qui ne sont jamais condamnés, les Alsaciens en ont marre de ce bordel de France. »

Cet ancien élu Modem déplore que « les services publics ont diminué, avec une Poste qui est de plus en plus fermée, le Crédit Mutuel qui a fermé il y a dix ans et les bus dont les fréquences ont aussi baissé. »

Une aversion pour la réforme des retraites

À l’entrée du parc, Isabelle et Julie (les prénoms ont été modifiés) discutent à côté de leurs voitures tandis que leurs enfants sont impatients d’aller jouer. La première travaille à Europa Park depuis 25 ans. Elle éprouve une aversion profonde pour le président de la République et sa volonté de repousser l’âge de départ à la retraite. Salariée de la multinationale de la famille Mack, elle vit sa propre situation et celles de ses voisins comme une injustice :

« Si je pars à la retraite à 67 ans, en 2045 donc, je gagnerai 900 euros par mois. Et je connais des veuves dans ma rue, qui vivent avec 600 euros par mois. Ma voisine fait des pâtisseries toute la journée du matin au soir. Elle produit tellement en masse qu’elle m’en donne chaque semaine. Dans sa cave, elle a 200 litres de jus de pommes. Elle a aussi une poule pour économiser les œufs. Ici, si les gens ne bossent pas jusqu’à 80 ans, ils crèvent. »

Tout semble neuf à côté de l’Église de Bindernheim. Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

De son côté, Julie a voté Macron en estimant qu’ « avec les Gilets jaunes, le Covid puis la guerre en Ukraine, il n’a eu qu’à peine deux ans pour appliquer son programme ». Mais les deux mères partagent une aversion pour « ces gens qui restent à la maison et profitent des aides ». « Des fois je me dis moi aussi je ferais mieux de me foutre cassos », lance Julie.

« Toujours les mêmes qui reçoivent des aides »

Ce discours résonne avec les propos de deux mères de famille au bord du stade de l’Association sportive de Diebolsheim Friesenheim. Il est près de 17 heures. Sur la pelouse, l’un de ses deux enfants termine l’entrainement. Sur le parvis du club-house, Jennifer répond d’emblée :

« J’ai voté Le Pen, parce que ce sont toujours les mêmes qui travaillent et qui sont taxés, et ce sont toujours les mêmes qui reçoivent des aides. »

Esthéticienne à son propre compte, Jennifer cherche une employée depuis six mois sans obtenir de candidature sérieuse. Alors l’entrepreneure de 33 ans fustige elle-aussi les aides sociales, « il faudrait les baisser pour donner envie de travailler aux gens. » Comme souvent dans ces villages alsaciens, le sentiment d’injustice est exacerbé par la situation de certains retraités précaires : « Quand je pense aux retraités qui ont bossé toute leur vie et qui doivent vivre avec une retraite de misère… »

Contre le passe sanitaire et une droite perdue

De l’autre côté des tribunes de béton, un couple d’ouvriers patiente au bord du stade. Joana est employée chez Hager à Obernai. Lui travaille chez Transgourmet à Schiltigheim. Chacun fait plus de 70 kilomètres pour travailler, chaque jour. Avec l’augmentation du prix de l’essence, « quand on passe le chariot à la caisse, on peut plus acheter le petit jouet pour le gamin », regrette la mère, qui fustige aussi le passe sanitaire. Son conjoint a refusé de se vacciner. Elle l’a accepté « pour mon fils, qu’on puisse aller ensemble au cinéma ». Mais son vote Le Pen date de 2017 pour l’ouvrière de 40 ans : « Je savais que Macron n’était pas de notre côté… »

Au club-house de l’Association Sportive de Friesenheim Diebolsheim. Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

Au bord d’une route, Bernard (le prénom a été modifié) cueille des cerises. Il semble gêné par nos questions, « ici les gens ne parlent pas de politique ». Ancien mécanicien de la Coop à Strasbourg, puis conducteur de machines en Allemagne, il décrit son principe politique : « Ma mère disait toujours quand on est propriétaire on vote à droite. » L’homme porte une casquette en jean siglée Alain Afflelou, une sorte de combinaison agricole et un seau rouge. Pour l’élection présidentielle 2022, le retraité d’une soixantaine d’années estime que « la droite n’avait pas une bonne candidate. Mélenchon, c’est le communisme alors ça surtout pas. » Il refuse de s’exprimer plus en détail sur son choix, évoquant le RN comme « une mauvaise conscience si on en parle, on fait tout de suite un lien avec le racisme… »

« Ici, on est sur une île, les gens sont repliés sur eux-mêmes »

De l’autre côté de l’échiquier politique, plusieurs habitants témoignent de leur incompréhension face au vote RN dans ces villages d’Alsace centrale. Il y a Boris, qui se promène tous les jours avec son chien et qui « croise tous les jours les mêmes personnes. Il n’y a jamais de discussion ». Cet habitant de Diebolsheim ne mâche pas ses mots quand on l’interroge sur les raisons de la montée de l’extrême-droite dans son village :

« On ne peut pas comprendre quelqu’un qui ne réfléchit pas. Et puis les gens ne disent pas qu’ils votent RN. C’est de la bêtise et de la fermeture d’esprit. Ici, on est comme sur une île, les gens sont repliés sur eux-mêmes. Et même s’ils sont riches, ils ont pas envie de partager. »

Dans l’un des seuls lieux de rencontre de Diebolsheim, l’épicière Charline Maugin fait d’abord part de son incompréhension. Soutien de Christiane Taubira lors de sa candidature éphémère pour l’élection présidentielle, l’ancienne professeure de français décrit un village qui donne « l’impression d’un monde de bisounours, où les gens sont gentils, les rues sont propres et fleuries ». Derrière son comptoir, cette habitante de Rhinau égrène les points positifs pour les habitants de la commune :

« Je suis originaire de Mayenne, et je peux vous dire qu’ici ce n’est pas un désert médical. Il n’y a pas de chômage, on manque même de main d’œuvre. Il n’y a pas beaucoup de personnes qui ont des soucis financiers. Les gens continuent d’aller en vacances. Ils sont conscients de vivre dans un cadre privilégié et ils ont peur que ça change. »

Les raisons de la colère, selon le maire de Friesenheim

La maire de Diebolsheim n’a pas donné suite à nos demandes d’interview, le maire de Friesenheim, René Eggermann, se montre plus bavard. La montée du vote RN le préoccupe d’autant plus que Marine Le Pen a récolté 65% des suffrages au second tour de l’élection présidentielle dans son village. Il est à la tête d’une majorité « apolitique ». Ancien infirmier à l’hôpital psychiatrique d’Erstein, il décrit à son tour un territoire où le chômage est bas, notamment grâce à l’hôpital, à l’entreprise d’équipements électriques Socomec à Benfeld et à Europa Park, de l’autre côté de la frontière. « Au niveau de la commune, on n’a aucune demande d’aide sociale », ajoute-t-il.

René Eggermann, maire de Friesenheim, sans étiquette politique. Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

Pour René Eggermann, « le vote Marine Le Pen était un vote contre Macron, qui n’a rien fait pour gagner la confiance des électeurs ici ». « Notre gros souci, c’est la mobilité, enchaîne le maire. Ici, il n’y a qu’un bus le matin et un autre le soir, on est donc dépendant de la voiture et du tarif à la pompe. Forcément, à la campagne on se sent lésé… »

Le vote RN a permis d’exprimer une accumulation de colères, selon René Eggermann :

« Il y a tout d’abord la baisse du pouvoir d’achat, puis le passe sanitaire et les restrictions de liberté. Or ici les gens n’aiment pas qu’on leur dise ce qu’ils doivent faire. Il y a aussi une hausse du sentiment d’insécurité. Nous avons fait installer une caméra de sécurité à côté de la salle polyvalente. Dix ans en arrière, les gens n’auraient jamais trouvé ça normal. Il y a aussi les conséquences de la politique de « zéro artificialisation nette », qui rend la construction d’une habitation de plus en plus chère. C’est un rêve qui s’éloigne pour certains. Et puis il y a enfin une tendance liée à la politique française. A la campagne, 90% des gens ont toujours été de droite. Et aujourd’hui, de plus en plus, les électeurs trouvent leur droite à l’extrême-droite. »


#rassemblement national

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