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« Il ne faut pas en vouloir aux événements » : une exposition énigmatique au CEAAC

Il ne faut pas en vouloir aux événements : derrière ce titre énigmatique se cachent les sculptures, peintures, photographies, films et installations de 14 artistes contemporains de la région tri-rhénane sélectionnés par l’équipe du CEAAC dans le cadre de la Regionale 20. L’exposition est visible jusqu’au 16 février.

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Pour sa 20e année, la plateforme de création artistique Regionale dynamise l’art contemporain en exposant les artistes du bassin rhénan (Suisse du nord-est, Bade du sud et Alsace).

Instaurée depuis 10 ans à Strasbourg par l’association Accélérateur de particules, elle est devenue un événement important de la scène artistique locale. À Strasbourg, c’est au Centre Européen d’Actions Artistiques Contemporaines (CEAAC), ancien magasin de verrerie au décor Art nouveau à la Krutenau, que l’on peut découvrir l’exposition Il ne faut pas en vouloir aux événements.

Ce titre, emprunté à l’empereur et philosophe romain Marc Aurèle, suscite la réflexion : de quels événements est-il question ? Les sens du visiteur sont éveillés par les travaux des 14 artistes exposés (Mali Arun, Sylvain Baumann & Florine Leoni, Patric Binda, Petra Blocksdorf, Sofia Durrieu, Pawel Ferus, Jérémy Gigandet, Jan Hostettler, Inès P. Kubler, Camillo Paravicini, Bianca Pedrina, Vera Sebert & Lara Hampe). Les « événements » qu’ils saisissent sont variables, incertains et fluctuants. En somme, ces artistes explorent le caractère aléatoire du monde et de l’existence.

Le commissariat collectif formé par l’équipe du CEAAC invite à cheminer dans la scénographie linéaire pour poser un regard original sur les phénomènes banaux qui habitent le monde.

Au rez-de-chaussée, l’œuvre interactive Dancing Companion (2019) de Sofia Durrieu incarne à sa manière la notion même d’événement. Composée d’objets monopolisant autant l’ouïe que l’odorat ou le toucher, elle est dissimulée au premier regard par une cimaise. À gauche, disposés sur une étagère, une bougie et une cigarette éteintes, une plante, un smartphone, ainsi qu’un verre de whisky. À droite, une forme organique blanche est suspendue à un mécanisme métallique. Épinglées au mur, les instructions sont simples : choisissez la musique qui vous plaît, prenez la forme blanchâtre dans votre main puis dansez !

Danse mécanique

Les interfaces humain-machine, c’est-à-dire les outils qui favorisent les interactions entre l’individu et la machine, se développent de plus en plus. Être invité à danser un slow avec un mécanisme est donc un événement qui questionne la manière de vivre actuelle et future. Enivré dans cette danse solitaire, le danseur en oublie la dernière instruction « laissez gentiment le bras se poser. » En lâchant la tige, la magie se brise. Un bruit sourd résonne dans tout l’espace, et ramène brutalement le danseur à la réalité. 

« On se sent observé. C’est dommage, c’est une belle expérience, » confie un jeune homme après avoir partagé une danse avec l’œuvre. En effet, la scénographie propose une ambiance tamisée, favorisant l’intimité et la liberté. Le visiteur souvent timide, ne se sent généralement pas autorisé à toucher l’œuvre. Du fait du manque d’intimité, du regard omniprésent de l’Autre, l’expérience n’est pas aisée.

Sofia Durrieu, Dancing Companion, 2019 (Photographie : Bum-Erdene Od-Erdene)

Solitude et multiplicité

Toujours au rez-de-chaussée, l’œuvre How close we are (2009) des artistes Sylvain Baumann et Florine Leoni siège au centre de l’espace à la manière d’un chantier abandonné. Paradoxalement aussi massive qu’aérienne, la structure est poinçonnée de part en part tel un grillage. Un vestige apocalyptique ? Un chantier ? Les murs d’une cage ? Un jeu de regard entre spectateurs s’opère à travers la structure alvéolée. Entre le jeu de cache-cache et les effets de voyeurisme encouragés par les architectures des grands ensembles dans les villes contemporaines, l’oeuvre met le spectateur dans la position de l’observateur observé.

Sylvain Baumann et Florine Leoni, How close we are, 2009 (Photographie : Bum-Erdene Od-Erdene)

En montant à l’étage pour observer dans sa totalité How close we are, le visiteur rencontre l’œuvre de Patric Binda, Schuhleiste (2018). Chacun trouve chaussure à son pied grâce à ce mur d’embauchoirs aux formes pour le moins curieuses. À la manière d’un bestiaire fantastique, l’univers parallèle et anachronique de l’artiste met en jeu l’hybridation, celle des corps et des identitées. La notion de normalité s’en trouve questionnée à nouveau frais.

Patric Binda, Schuhleiste, 2018 (Photographie: Bum-Erdene Od-Erdene)

Penser en relation

Placée à l’entrée de l’exposition, l’oeuvre Pay Attention Motherfuckers Remastered (after Bruce Nauman) (2018) de Pawel Ferus débute et clôt la parcours circulaire de l’exposition sur une note déconcertante. Inclassifiable, l’oeuvre découle selon lui du « sentiment de colère face à la condition humaine. »

Bruce Nauman, auquel Ferus fait référence, est un artiste contemporain américain pluriel ayant fondamentalement marqué l’histoire du l’art du XXe siècle à travers la performance, l’art vidéo, la sculpture et l’installation. En 1973 ce dernier avait encré en miroir sur une feuille de papier les mots “Pay Attention Motherfuckers”, forçant les regardeurs à un effort de décryptage. Pawel Ferus lui, choisit de graver ces mots sur la pierre. La dalle de marbre, qui fait figure de pierre tombale, rappelle le motif du memento mori (souviens-toi que tu vas mourir). En disposant face au bloc de pierre une glace, il mâche le travail de lecture en rendant à l’écriture son sens originel (droite à gauche). L’oeuvre déroute, car le spectateur ne sait pas sur quel élément porter son attention.

Pawel Ferus, Pay Attention Motherfuckers Remastered (after Bruce Nauman), 2018 (Photographie: Alice Andrieux)

Le commissariat de l’exposition Il ne faut pas en vouloir aux événements est collectif : c’est l’équipe du CEAAC (de la chargée de communication jusqu’au régisseur) qui a choisi les oeuvres, développé un fil conducteur et une scénographie.

Face aux 700 candidatures proposées à leur commissariat par la Regionale, le collectif a souhaité « un retour à la base, à la création qui fait du bien, » ce qui les a amené à exposer plusieurs oeuvres de mêmes artistes pour développer une vision globale de leur travail. Malgré un aspect vivant et interactif, l’exposition demeure difficile à comprendre car les oeuvres sont complexes. Il faut tenter l’expérience, prendre le temps de s’y attarder, pour que les différentes strates de sens se dévoilent.

En sondant les préoccupations des artistes contemporains de la tri-région, la Regionale 20 leur donne une voix commune. Le fil rouge de l’événement s’articulait cette année autour de l’écologie, qu’elle soit corporelle ou environnementale. La manifestation a fait état d’une conscience collective tournée vers le monde et l’Autre.


#Art contemporain

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