« Je ne veux pas former des esclaves », « Les enfants qu’on a en classe ont droit à une formation, ils ne sont pas une main d’œuvre exploitable, corvéable à merci », « Nos jeunes ne sont pas de la chair à canon »… Les formulations choisies par les enseignants présents devant le rectorat de l’académie de Strasbourg jeudi 17 novembre sont fortes. Ils sont une cinquantaine à manifester contre une réforme des lycées professionnels, dans le cadre d’une journée de grève nationale.
L’un des principaux points de tension est la volonté du gouvernement de doubler le temps de stage en entreprise et donc de diminuer d’autant le temps en classe. En tout, les élèves passeraient alors un tiers de leur formation en apprentissage.
Laurent Feisthauer, de la CGT, indique que cette diminution du nombre d’heures de cours menace l’équivalent de 8 000 postes d’enseignants. Ce projet intervient alors que la Région Grand Est envisage de fermer le lycée polyvalent de Pulversheim en 2025, et une dizaine d’autres établissements ces prochaines années. Giulia Vinci enseigne la matière prévention santé environnement au lycée professionnel Haute-Bruche à Schirmeck et craint des conséquences néfastes pour les élèves :
« Moi je leur apprends quels sont leurs droits, qu’est ce qu’un contrat, qu’est ce que la sécurité au travail… C’est là qu’on leur tient un discours différent de celui qu’ils entendent dans les entreprises. On ne forme pas juste des futurs travailleurs corvéables à merci, mais des citoyens. C’est le rôle de l’école en théorie. D’où la présence de matières générales dans le cursus. On leur apprend à bien s’exprimer, à rédiger des lettres de motivation, des CV, il y a des enseignements culturels, c’est indispensable. »
« Notre métier ne s’improvise pas, je le fais depuis 35 ans »
Une dizaine de professeurs du lycée Schweisguth de Sélestat, spécialisé dans le secteur tertiaire, sont présents. Ils ont crée le collectif « Touche pas à mon LEP (Lycée d’enseignement professionnel, NDLR) » spécialement pour lutter contre la réforme. Parmi eux, Sandrine Legrand, professeure d’économie, de gestion et de vente, estime qu’il n’est pas souhaitable que la formation repose plus sur les entreprises :
« Déjà, les boîtes avec lesquelles nous sommes en contact ne le veulent pas. C’est un métier d’être enseignant. Le gouvernement pense que les jeunes doivent apprendre directement sur le tas, dans l’environnement professionnel. C’est complètement déconnecté de la réalité. Nous avons des jeunes qui ont parfois de grosses difficultés, des problèmes de comportement, que des entreprises nous renvoient parce qu’elles n’arrivent pas à les gérer ou parce qu’ils sont largués et ne comprennent pas ce qu’ils doivent faire.
Le but de nos enseignements, c’est aussi leur apprendre à être autonomes. Cela ne s’improvise pas, moi je le fais depuis 35 ans. Dans la profession, nous sommes donc massivement opposés à cette réforme. Il faut une part d’immersion dans l’entreprise évidemment, mais elle ne peut pas remplacer les cours. »
Le ministère de l’Éducation nationale a créé des groupes de travail avec notamment des syndicats pour orienter la réforme, même si ses grandes lignes sont déjà écrites. Elle devrait être présentée en 2023. « On mobilise très en amont parce que nos métiers, l’idée du lycée professionnel, est en train de mourir », considère Pascal Thil, représentant syndical de FSU. Les représentants de la CGT, de Solidaires, de l’Unsa, du Snalc, du Snetaa et du Snuep-FSU prennent la parole successivement et sont applaudis par l’assemblée. Sandrine Legrand insiste : « On parle de la jeunesse populaire évidemment. Ce ne sont pas les enfants des politiciens et des patrons qu’on a en lycée professionnel. »
Une carte de formation adaptée au bassin d’emploi
Raphaël Dargent, du syndicat Snalc, est professeur de Lettres et d’Histoire au lycée de Sélestat. Il dénonce d’autres éléments de la réforme :
« Le plan, c’est aussi que la carte des formations soit davantage dessinée par la Région, en fonction du bassin d’emploi. Nous pensons que les jeunes doivent avoir le choix, et ne pas dépendre des industries présentes. On veut également qu’ils aient la possibilité de continuer les études, par exemple en BTS. »
« Même pour l’apprentissage des métiers c’est problématique, parce que les professionnels des entreprises ne sont pas habitués à montrer les gestes. Être professeur d’usinage demande des compétences particulières », ajoute un militant. Les syndicats préviennent qu’ils seront mobilisés dans la durée, toute l’année, avec des actions variées dans les lycées et dans la rue.
Chargement des commentaires…