Un adolescent trisomique peut-il passer plus d’une heure chaque matin et autant chaque soir dans une voiture pour se rendre dans son établissement scolaire ? Pour la mère de Raoul, Sophie Claudepierre, c’est non. Habitante de Wolfisheim, elle a découvert avec effarement durant l’été le trajet proposé par l’Association de parents, de personnes handicapées intellectuelles et de leurs amis (Apedi Alsace) pour que son enfant de 14 ans, atteint de trisomie 21, rejoigne son école à Schiltigheim.
Alors que l’établissement n’est qu’à une vingtaine de minutes de son domicile, la fiche trajet envoyée par l’Apedi prévoit cinq étapes supplémentaires, à Oberhausbergen ou Cronenbourg, pour récupérer autant d’enfants vers le même établissement scolaire. Raoul étant le plus éloigné, et donc le premier à partir et le dernier à revenir, il est prévu qu’il reste 1h15 chaque matin dans le taxi à sept places et autant le soir.
Depuis la réception du courrier de l’Apedi, Sophie Claudepierre alerte toutes les structures concernées par l’aide au handicap (Agence régionale de santé, Maison départementale du handicap, Collectivité européenne d’Alsace…) pour trouver une solution, en vain jusqu’à ce jour :
« Raoul ne peut pas vivre sa scolarité sereinement dans ces conditions. Sur-sollicité par les bruits du trajet, et la présence de cinq autres enfants, avec en plus des pathologies et handicaps divers, il voudra interagir, ce qui devrait se traduire par des coups de pieds dans le siège par exemple, comme il fait avec moi quand quelque chose ne lui va pas et qu’il ne parvient pas à l’exprimer. Ce transport est inadapté à son handicap et à la situation. »
Sophie Claudepierre a déménagé en cours d’année dans une ancienne ferme alsacienne à Wolfisheim. C’est Raoul qui ouvre le portail ce lundi 9 août, vite rejoint par Nao, une petite chienne d’un an, type border collie, qui escorte l’adolescent partout où il va.
L’année précédente, Raoul était scolarisé à l’école Léonard de Vinci de l’Elsau. Pendant trois ans, ses trajets n’ont duré qu’une vingtaine de minutes avec seulement deux autres étapes. Suivi par un institut médico-éducatif (IME), Raoul aurait dû rejoindre à la rentrée un IMPro, une autre structure qui permet de suivre les soins et de préparer les adolescents handicapés mentaux au monde du travail et à la société en général. Mais les places en IMPro sont trop rares et la candidature de Raoul n’a pas été retenue. Pour qu’il puisse néanmoins évoluer, l’équipe en charge de l’adolescent a décidé qu’il serait scolarisé en septembre à l’école Rosa Parks de Schiltigheim.
Imbroglio d’acteurs, un classique de la prise en charge du handicap
Sophie Claudepierre ne sait plus comment réagir. Son déménagement à Wolfisheim lui est reproché à mots couverts tandis que la poursuite de la scolarité de Raoul à Schiltigheim est hors de son ressort. Elle a contacté Mobistras qui indique ne pouvoir prendre en charge le transport scolaire. Cette compétence est du ressort du Département, la Collectivité européenne d’Alsace, mais… pas pour les élèves suivis en IME. En dernier ressort, la MDPH lui propose une indemnisation kilométrique, si elle conduit son fils par ses propres moyens.
Séparée du père de Raoul et avec deux autres enfants à charge au foyer, Sophie Claudepierre a quitté il y a dix ans son emploi pour pouvoir se consacrer à l’accompagnement de son fils trisomique :
« J’ai pu reprendre un travail de secrétaire dans l’entreprise de mon frère, en jonglant avec les horaires de bureau et ceux du taxi de Raoul, en grignotant 15 minutes par ci, 15 minutes par là, nous avons réussi à établir un contrat presque à temps complet afin d’être présente jusqu’au départ de Raoul le matin et à son retour l’après-midi. Mais au bout de deux ans, ça n’a plus été possible notamment en raison des vacances scolaires… Je suis désormais accompagnante d’élèves handicapés (AESH), un petit contrat mais dont les horaires impliquent d’être présente dans les établissements aux horaires scolaires. »
Raoul s’approche alors de sa mère et demande à pouvoir faire des bulles. Sophie et Swan, une des sœurs de Raoul, cherchent alors le précieux tube de savon et d’eau. Un fois trouvé, Raoul s’assoit sur les marches de la maison, à quelques mètres, et souffle en riant aux pitreries et cascades de Nao, la jeune chienne, qui tente d’attraper les bulles.
Le transport, phase négligée par l’État
Sophie revient sur les conséquences d’un trajet long sur le comportement de son fils :
« Raoul gère mal ses relations avec ses camarades du fait de sa maladie et des troubles du comportement. Un tel temps de trajet ne peut que les détériorer encore plus. Il a déjà tendance à donner des coups, parfois à harceler tellement il relance…Il arrivera à l’école épuisé par l’énervement. Il est déjà sous traitement neuroleptique, pour l’apaiser. Je n’ai pas envie d’aller voir son pédopsychiatre pour faire augmenter la dose, suite à des mots dans le carnet signalant une dégradation des comportements ! »
Raoul est atteint d’une forme « modérée à sévère » de trisomie 21, associée à un trouble du comportement et du langage. Au quotidien, pour les parents, les cris, les mouvements brusques et autres crises, par manque de moyens d’exprimer des sentiments ou des sensations, sont épuisants.
Du côté de l’Apedi, son président André Wahl reconnaît que le taxi mutualisé pour six enfants n’est pas satisfaisant. Mais la structure n’a guère le choix selon lui :
« Nous proposons cette prestation de transport personnalisé, du domicile à l’établissement scolaire mais sans avoir l’assurance d’être remboursé par l’État. Le financement est fléché comme “budget complémentaire”, c’est à dire qu’il est remis en cause chaque année. En outre, le montant alloué à cette mission de transport diminue chaque année tandis que les frais des taxis augmentent. Donc on n’a pas le choix en réalité… On doit mutualiser les véhicules pour simplement conserver l’existence de cette mission. »
À ce jour, chacun des 76 enfants et environ la moitié des adolescents de l’IME Le Tremplin, où est suivi Raoul, sont convoyés à la charge de l’Apedi. Mais André Wahl ne sait pas bien combien de temps il pourra maintenir ce service.
Contactée, l’Agence régionale de santé (ARS) se contente de répondre laconiquement, et par écrit, que l’État « poursuivra son engagement dans le suivi de cette situation avec la direction de l’IME pour envisager les différentes options qui peuvent être proposées. » Quant à l’Eurométropole, la collectivité répond également par écrit « rechercher une solution pour cette situation, symptomatique du transport des enfants handicapés, dont on ne peut accepter qu’ils passent des heures interminables en voiture à cause de réductions budgétaires ».
Manque de moyens, manque de places, la situation de cette famille à quelques semaines de la rentrée scolaire n’est sans doute pas isolée. Sophie Claudepierre compte sur une évolution concrète de la prise en compte des formes de handicap dans les familles :
« La société actuelle tend vers le plus d’inclusion possible des enfants handicapés, et c’est très bien. Encore faut-il que cette inclusion se fasse avec des moyens adéquats. Il est attendu des enfants en situation de handicap qu’ils s’adaptent au monde, mais c’est impossible ! L’inclusion, c’est la société qui s’adapte à ces enfants. »
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