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Radicalisation en prison : les conseillers d’insertion cherchent leur rôle

Les plans de lutte anti-terroriste du gouvernement prévoient, entres autres, d’agir dans le milieu pénitentiaire. Les Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (SPIP) se voient dotés d’agents supplémentaires, dédiés à cette question. À Strasbourg, les conseillers ont encore du mal à s’y retrouver.

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La vague d’attentats qui a touché la France en 2015 a soulevé le phénomène de radicalisation terroriste de jeunes individus, particulièrement en prison. L’État a alors mis en place au printemps 2015 un Plan de Lutte Anti Terroriste (PLAT) puis le Plan Anti Radicalisation Terroriste (PART) en 2016 pour tenter d’endiguer cette tendance. Le PLAT comprend une enveloppe supplémentaire pour la Justice de 181 millions d’euros sur 2015-2017, et la création de 950 nouveaux emplois.

Pour soutenir le travail des Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (SPIP), qui aident les détenus ou les personnes condamnées à une peine alternative à ne pas se couper de la société, il a été décidé de déployer une centaine d’éducateurs spécialisés et de psychologues sur toute la France.

Un éducateur et psychologue recrutés dans le Bas-Rhin

Ces moyens se déclinent aussi dans le Bas-Rhin où travaillent 28 Conseillers Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (CPIP) auprès des Tribunaux de Grande Instance de Saverne et de Strasbourg, de la Maison d’arrêt de l’Elsau, du centre de détention régional d’Oermingen, et du centre de semi-liberté de Souffelweyersheim. Deux agents ont été recrutés pour identifier et suivre les individus suspectés de radicalisation. Ce binôme est composé d’un éducateur spécialisé et d’un psychologue.

Si le Ministère de la Justice veut faire preuve de réactivité et de volontarisme, le fossé semble grand entre les mesures sur papier et la réalité du terrain. L’objectif est que tous les CPIP, le binôme anti-radicalisation et la cellule de renseignement pénitentiaire (liée aux renseignements de l’État), travaillent en coopération, de l’identification jusqu’à une prise en charge particulière. Après quelques mois, les CPIP disent avoir du mal à trouver leur rôle dans ce jeune dispositif.

Des entretiens individuels

L’administration explique qu’en plus du soutien aux acteurs du terrain et l’évaluation des phénomènes de radicalisation, les nouveaux agents doivent mettre en place des actions collectives :

« Les binômes sont chargés de mettre en place des programmes adaptés de déconstruction du discours et de contre-discours. »

Les deux recrues ont été placées dans les bureaux du SPIP et sont censées travailler à la fois en milieu fermé et en milieu ouvert (avec les personnes en travaux d’intérêt généraux, sursis, liberté conditionnelle, ou avec bracelet électronique).

Leur tâche est de rencontrer régulièrement les personnes concernées en entretien individuel (de manière hebdomadaire pour certains), pour effectuer un suivi. Ces personnes sont signalées aux cellules de renseignement.

Des « grilles de radicalisation » remises aux conseillers

Pour procéder à l’identification de personnes éventuellement radicalisées, les conseillers se sont vus remettre des grilles d’évaluation avec des questions comme « le détenu présente-t-il des signes ostensibles ou physiques de sa confession ? », « Adopte-t-il un discours empreint de références au religieux, quelque soit le sujet abordé ? », « Refuse-t-il d’avoir affaire avec le personnel féminin ? »… Elles doivent être complétées par les termes « repéré », « non-repéré », ou « élément manquant ».

Des intitulés qui font débat. Le syndicat CGT dénonce notamment « une volonté de repérage à grande échelle » et « un risque important de stigmatisation ». Delphine Colin, secrétaire nationale de la CGT Insertion Probation, avance :

« On focalise sur l’Islam alors que des radicalisations de tous bords sont possibles. En faisant cela, on génère une rancœur qui va alimenter justement ce risque de radicalisation. »

Le syndicat pointe aussi comme écueils possibles de la nomination d’agents spécialement dédiés à cette mission, dont la mission, ce qui pourrait « stigmatiser » les personnes ciblées et les mettre sur la défensive.

Pire selon Delphine Colin, ces grilles ont mené au licenciement d’un ex-détenu qui avait retrouvé un emploi :

« Il y a eu le cas d’un collègue dans le sud de la France un collègue avait fait remonter certains éléments, concernant une personne en voie de réinsertion. Quelques jours plus tard, l’ex-détenu a perdu son emploi car son employeur avait été contacté. Il faut faire attention à cette psychose ambiante. »

Du côté de l’administration, on nuance :

« Les grilles sont adaptées pour chaque métier concerné, elles sont distribuées aux surveillants, personnel d’encadrement et CPIP, et le but est d’avoir de nombreux avis différents. C’est en les recoupant que l’on peut cerner la complexité d’un individu. Nous faisons attention à dissocier une idée, ou un simple rapprochement vers la religion, d’un engagement violent. C’est une commission pluridisciplinaire qui se charge de l’évaluation des détenus signalés. C’est là que les binômes sont en première ligne et apportent un soutien dans l’identification d’une radicalisation violente. »

A l’intérieur de la maison d’arrêt de Strasbourg (Photo : CGLPL)

Les radicalisés du Bas-Rhin transférés dans d’autres prisons

Les personnes qui seraient repérées à Strasbourg comme en voie de radicalisation seraient alors soumis à un “plan d’accompagnement” et transférés à Fresnes ou à Fleury-Mérogis pour une évaluation. Les individus les plus dangereux seraient placés à l’isolement, et d’autres rejoindraient des « unités dédiées » avec des programmes spécifiques. Enfin, ceux identifiés comme moins dangereux réintégreraient la détention classique, tout en pouvant être signalés à la police, à la préfecture et aux magistrats.

Le dispositif est expérimental et cherche encore ses marques. À Schiltigheim, où sont basés les CPIP travaillant en milieu ouvert, on le découvre. « On n’a jamais entendu parler de ces grilles d’évaluation », témoigne une conseillère.

Delphine Colin, de la CGT, ajoute qu’il n’a pas été testé partout :

« Dans certains services cela ne s’est même pas fait, car l’effectif était insuffisant. Parfois, certains collègues n’ont pas voulu l’appliquer car cela leur posait de véritables problèmes de conscience ».

Plusieurs conseillers interrogés expriment en effet la crainte d’un détournement de leur métier, et veulent rappeler que leur mission première est l’accompagnement et la réinsertion, non l’identification et le signalement. Emmanuelle Wilt, secrétaire de la section CFDT Justice Alsace, appuie ce constat :

« Nous sommes des travailleurs sociaux, et nous sommes face à de l’humain. Il faut apporter la réponse appropriée à chaque personne ».

Plusieurs individus déjà signalés

Sur place, même les premiers concernés ne visualisent pas bien le travail des deux nouveaux agents. Bastien Peden, secrétaire départemental du syndicat SNEPAP-FSU, explique qu’on en est encore aux premiers pas :

« Les procédures ne sont pas encore tout à fait établies, nous ne sommes pas encore rodés en ce qui concerne le travail en coopération des différents agents. Nous avons maintenant l’obligation de signaler toute personne identifiée comme en radicalisation à la cellule de renseignement,  mais on n’a pas toujours de retour, donc de visibilité et de suivi sur ces dossiers-là… On a encore des questionnements sur le travail en lui-même, notamment en milieu ouvert. A partir de quand peut-on identifier ces personnes comme en radicalisation, comment sait-on si on a assez d’éléments pour les signaler ? Mais tout cela est en amélioration. D’ailleurs, plusieurs personnes ont déjà été signalées et suivies à Strasbourg ».

La Direction de l’administration pénitentiaire explique de possibles incompréhensions par le caractère jeune du dispositif :

« Ce sont des dispositifs expérimentaux, nous ne prétendons pas faire de la science exacte. Nous sommes en évaluation permanente. D’ailleurs, les premiers retours sont assez positifs. Cette dynamique de recoupage des visions marche assez bien ».

Flou sur les recrutements

Les CPIP, dont les syndicats saluent néanmoins “une réelle volonté d’agir” du gouvernement, espéraient des recrutements pour avoir moins de détenus à suivre, et être plus efficaces et alertes dans leur suivi. À Strasbourg, un conseiller peut suivre « jusqu’à 150 personnes différentes », d’après la section CFDT Justice Alsace. Cette revendication nationale avait été appuyée par un mouvement de grève au printemps.

Le gouvernement a annoncé un recrutement de 84 CPIP au niveau national, mais pour le moment, on ne sait pas comment cela se traduira à Strasbourg, selon Bastien Peden :

« Normalement des agents à Strasbourg, mais très peu. Cela reste une amélioration, mais vraiment à la marge ».

Dans ce contexte, l’arrivée de personnes extérieures n’est pas toujours bien vue, et les représentants de la CGT regrettent la manière d’employer les moyens :

« Si nous étions en nombre suffisant pour accompagner les personnes, nous pourrions participer à ce travail d’identification de dérives. Mais on constate aujourd’hui qu’il y a soudainement énormément d’argent pour embaucher des contractuels extérieurs à l’administration pénitentiaire ».

Une journée de formation mais pas pour tous

Le processus aurait du mal à se mettre en place en raison d’une gestion des profils du personnel pas tout à fait adaptée, d’après les syndicats et certains CPIP. Une conseillère regrette ainsi que les CPIP ne soient pas assez pris en compte dans cette orientation d’identification de radicalisation :

« Nous ne sommes pas considérés comme étant en première ligne. Pourtant, nous suivons chacun en moyenne 130 individus, avec qui nous sommes évidemment régulièrement en contact. Mais nous ne sommes pas inclus dans le dispositif anti-radicalisation ».

Cela alors que le métier consiste à établir une relation de confiance avec la personne et à la réinsérer socialement. Elle explique qu’une seule journée de formation a été proposée pour le moment :

« Ceux qui ont eu le temps d’y aller sont restés sur leur faim. On oublie qu’il y a des outils et du personnel déjà existant. On a le potentiel pour faire ce travail d’identification et d’accompagnement. Ce qu’il faudrait, c’est de l’organisation et une meilleure formation ».

Emmanuelle Wilt suggère que cela serait plus efficace et plus approprié de mobiliser les conseillers :

« L’isolement, l’enfermement, cela peut être judicieux pour une personne, mais contre-productive pour une autre. Il y a autant de réponses que d’individus. Ce sont les professionnels de terrain, qui suivent les personnes depuis longtemps, qui peuvent faire cette analyse du comportement et trouver la réponse adéquate, tout cela dans une démarche pluridisciplinaire ».

L’amertume de ne pas avoir davantage été considéré lors l’élaboration du plan et des premiers pas encore approximatifs augure de nouveaux échanges tendus entre l’administration pénitentiaire et ses conseillers d’insertion pour son application concrète.


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