Sochaux-RCS, donc. Ainsi en a voulu le hasard. Instantanément, j’ai repensé à 2005. Le soir du 7 mai, l’ambiance en tribune visiteurs était ô combien prenante. En deuxième mi-temps, le kop meinovien se lâchait comme jamais, nonobstant l’ouverture du score de nos lionceaux préférés et la crainte d’un dénouement tragique. Je me rappelle de ces centaines de fans pris soudain d’une transe soudaine et prolongée. Une demi-heure durant, sans interruption, le même air retentissait à en faire trembler les murs de Bonal, pour une prestation vocale hors du commun. Un de mes plus beaux souvenirs de supporter.
Un classique du foot français
Historiquement parlant, Sochaux-Strasbourg est un classique du football français. Pour donner une idée, les deux clubs totalisent ensemble la bagatelle de 122 saisons de D1. Le 19 novembre dernier, le tirage au sort du huitième tour de la Coupe de France a donc désigné une belle affiche, et ce même si le rang actuel des deux formations n’est guère envieux (le FCS en D2, le Racing où l’on sait).
Côté strasbourgeois, à l’éphémère fièvre bleue a pourtant succédé un sentiment de colère noire. Programmé dans la foulée du tirage, le match se jouera le 8 décembre, soit un lundi soir, télédiffusion oblige. Le lundi, ce jour maudit pour le supporter migrateur, contraint de poser un jour de congé ou de sécher les cours, à moins de renoncer carrément à se déplacer. Face à l’affront, les associations de fans strasbourgeois ont immédiatement réagi et publié le communiqué suivant :
Au-delà du cas en présence, je voudrais profiter de l’occasion pour défendre l’idée du « Montag Ruhetag » ; autrement dit le lundi férié… footballistique. Sans doute une vaste utopie, car il faudrait déjà que nos braves institutions (fédés, ligues, cartels et autres) prennent parti pour le peuple des tribunes, contre la voracité économique des diffuseurs. Néanmoins, le concept est légitime et mérite quelques développements.
Jusqu’au dernier ballon
Plantons le décor. Traditionnellement, les compétitions nationales diverses et variées se disputent le week-end pour des raisons évidentes d’organisation et de participation du plus grand nombre. Il n’en va pas de même des coupes d’Europe qui se déroulent habituellement du mardi au jeudi. Avec l’avènement des chaînes à péage, du match à la demande et des bouquets satellite, la télé a pris la main et entrepris de modeler le calendrier footballistique à sa guise. Initialement épargné, le lundi n’échappe pas depuis une dizaine d’années à la prédation des chaînes spécialisées, lesquelles entendent bien gaver le téléspectateur jusqu’au dernier ballon.
En France, un match de Ligue 2 est décalé au lundi depuis le début des années 2000, provoquant dès lors l’ire des supporters – en particulier de matrice ultra – friands d’expéditions aux quatre coins de l’hexagone. Par exemple, le Collectif SOS Ligue 2 se mobilise depuis 2004 sous le slogan « le foot le samedi pour des stades en vie » et, plus largement, « contre la marchandisation du football ». Actuellement, on constate par ailleurs que beaucoup de championnats européens n’échappent pas au « fucking monday » : Premier League anglaise, Serie A italienne, Liga espagnole ou encore Bundesliga 2 allemande.
Télédépendance
Il est évident qu’on ne reviendra jamais à une configuration où tous les matches se disputeraient à jour et horaire fixe. Quand j’étais môme, les matches de D1/D2 avaient lieu le samedi à 20h et un bon poste de radio était indispensable pour vibrer en direct. Les enjeux économiques sont désormais pharaoniques, si bien que le budget des clubs professionnels en France dépend majoritairement de la manne des droits TV. À côté, les recettes de billetterie sont une goutte d’eau dans la mer. C’est dire si on peut objectivement parler de télédépendance pour qui n’a pas son soutien qatari à disposition.
Pour autant, le football n’est pas un produit télévisuel au sens propre du terme et par conséquent tout n’est pas acceptable. Le foot a vécu et vivrait sans la télé. Outre la problématique du lundi, on pourrait aussi discuter la pertinence de programmer l’essentiel des matches d’un même championnat (la Ligue 2 pour ne pas la citer) le vendredi. Mais focalisons-nous sur ce qui nous préoccupe ici. Précisément, pourquoi faudrait-il bannir le lundi de tout calendrier footballistique ?
Le droit au respect
D’une part, le premier argument a déjà été esquissé auparavant et concerne les supporters les plus actifs. Un peu de considération à leur endroit ne ferait pas mal, car se déplacer c’est long, coûteux et frustrant par-dessus le marché quand tu repars avec une défaite. Mais tout plaisir est un brin masochiste paraît-il. Même si le téléspectateur est infiniment plus rentable que le fan migrateur, la culture supporters fédère de vastes communautés d’individus qui se déplacent parfois par centaines ou milliers, et qui par conséquent ont également droit au respect. Par ailleurs, y compris quand ton club joue à domicile, il n’en est pas moins désagréable d’aller au stade le lundi ; l’ambiance est y souvent tristounette et l’affluence décevante.
En allant plus loin, un match télédiffusé qui se dispute devant des gradins clairsemés peut-il être savouré comme il se doit ? Le foot pro a-t-il une raison d’être sans écrin de tribunes colorées et dynamiques ? Même si l’on raisonne d’un point de vue marketing, une rencontre télévisée ne procure une satisfaction optimale qu’en présence d’un public nombreux et enthousiaste, de par son impact sonore (chants, applaudissements, cris, etc.) et visuel (drapeaux, gestuelles, banderoles, etc.). À ce propos, les réalisateurs ne s’y trompent pas et insèrent un grand nombre de plans où l’on voit les supporters à l’œuvre. Raison de plus pour ne plus les dégoûter d’aller au stade.
Respiration salutaire
D’autre part, se passer de foot le lundi permettrait une respiration salutaire dans l’emploi du temps surchargé de tout fan de foot qui se respecte, supporter ou non. Aimer le ballon rond ne signifie pas vouloir en voir tout le temps, n’importe quel jour, à n’importe quelle heure. Bien qu’elle se soit largement imposée à nous, la tendance culturelle du « 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 » est une réalité contestable, dans le football comme par ailleurs. De même que l’on peut s’opposer à l’ouverture des commerces le dimanche, il n’est pas insensé de défendre l’idée du lundi « chômé » d’un point de vue footballistique.
Ainsi le footeux pourrait-il ce jour-là, la conscience libre, vaquer à tout type d’occupation sans culpabiliser de faire l’impasse sur une belle affiche ou le match de sa propre équipe. Quant aux plus shootés, il resterait toujours les émissions radiophoniques où l’on débat, réfléchit et polémique allègrement. N’oublions jamais que le football se joue autant qu’il se parle.
À l’heure où ces lignes sont écrites, Sochaux-Strasbourg demeure fixé lundi 8 décembre. Gageons cependant que la mobilisation des supporters des deux camps saura faire infléchir les décideurs et qu’une éventuelle reprogrammation aura valeur d’exemple.
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : le blog Fièvre Bleue
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